La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 12 mai 2022, une décision majeure portant sur l’interprétation du Protocole de la Haye de 2007.
Un litige opposait un père résidant au Royaume-Uni à ses deux enfants mineurs, représentés par leur mère, concernant le paiement d’une créance à caractère alimentaire.
Les enfants avaient été illicitement retenus sur le territoire polonais, entraînant une injonction de retour non exécutée au moment de la demande de pension alimentaire.
Le Sąd Okręgowy w Poznaniu a sollicité l’interprétation de l’article 3 dudit protocole afin de désigner la loi régissant les obligations alimentaires en cause.
La question posée visait à déterminer si un enfant peut acquérir une nouvelle résidence habituelle dans l’État de refuge malgré l’existence d’une décision ordonnant son retour.
La Cour répond que l’illicéité de la situation n’empêche pas systématiquement l’acquisition d’une résidence habituelle, laquelle doit faire l’objet d’une appréciation factuelle par le juge.
I. La primauté d’une approche factuelle de la résidence habituelle
A. Le critère de la stabilité du séjour du créancier
Le Protocole de la Haye ne définit pas précisément la résidence habituelle, imposant une interprétation autonome et uniforme fondée sur le contexte des dispositions et les objectifs poursuivis.
La Cour précise que « le critère de la résidence habituelle implique une certaine stabilité », excluant par conséquent une simple présence à caractère temporaire ou occasionnel sur un territoire.
L’objectif de cette règle est de garantir la prévisibilité de la loi applicable en privilégiant le lieu présentant le lien le plus étroit avec la situation familiale.
B. L’indifférence relative de l’illicéité du déplacement
L’existence d’une décision ordonnant le retour de l’enfant dans son État d’origine n’interdit pas de constater une installation durable au sein de l’État de sa présence physique.
Les juges soulignent que cette circonstance ne suffit pas à empêcher l’acquisition d’une résidence habituelle si l’environnement familial et social démontre un degré suffisant de stabilité.
Le juge national doit dès lors apprécier concrètement le lieu où se situe le centre de vie de l’enfant au jour de sa demande de pension alimentaire.
II. L’affirmation de l’autonomie fonctionnelle du Protocole de la Haye
A. Le rejet d’une analogie avec le droit de la responsabilité parentale
La juridiction européenne refuse d’interpréter le Protocole de la Haye à la lumière de l’article 10 du règlement n° 2201/2003 relatif aux déplacements illicites de mineurs.
Elle relève que ce texte « ne prévoit aucun tempérament » neutralisant le transfert de résidence habituelle, contrairement aux règles strictes encadrant la compétence juridictionnelle en matière de garde.
Cette autonomie normative assure que le régime des aliments demeure focalisé sur les besoins immédiats du créancier plutôt que sur la sanction du comportement des parents.
B. La protection de l’intérêt supérieur de l’enfant créancier
L’application de la loi du lieu de vie effectif permet d’évaluer le montant de l’obligation en tenant compte des conditions économiques réelles de l’environnement social considéré.
La décision garantit ainsi que « le créancier d’aliments bénéficie de ressources suffisantes eu égard à l’environnement familial et social dans lequel il est amené à vivre ».
Cette approche pragmatique privilégie l’intérêt supérieur de l’enfant en rattachant sa créance à la société concrète au sein de laquelle ses dépenses quotidiennes sont effectivement réalisées.