Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne a clarifié les conditions dans lesquelles le membre de la famille d’un citoyen de l’Union, ressortissant d’un État tiers, peut se prévaloir d’un droit de séjour dans l’État membre d’origine de ce citoyen après que ce dernier a exercé son droit à la libre circulation. En l’espèce, deux ressortissants d’États tiers, conjoints de citoyennes néerlandaises, se sont vu refuser un titre de séjour par les autorités des Pays-Bas à leur retour dans ce pays. Le premier requérant, de nationalité nigériane, avait séjourné en Espagne avec son épouse, citoyenne de l’Union. Le second, de nationalité marocaine, avait vécu en Belgique avec sa partenaire néerlandaise avant de l’épouser. Dans les deux cas, les citoyennes de l’Union avaient fait usage de leur liberté de circulation avant de revenir dans leur État membre d’origine, accompagnées ou rejointes par leur conjoint. Saisie par le Raad van State néerlandais, la Cour de justice a été interrogée sur l’existence et les conditions d’un droit de séjour dit « de retour » pour ces membres de famille. Il était donc demandé à la Cour de déterminer si le droit de l’Union, et plus particulièrement l’article 21 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, confère un droit de séjour dérivé au membre de famille lorsque le citoyen de l’Union retourne dans son propre État membre, après avoir séjourné dans un autre État membre. La Cour y répond par l’affirmative, mais assortit ce droit de conditions strictes liées à la réalité du séjour antérieur. Cette solution, qui consacre un droit de retour pour le membre de famille d’un citoyen de l’Union (I), est néanmoins subordonnée à la démonstration d’un séjour effectif dans l’État membre d’accueil, afin de préserver l’intégrité du droit de l’Union (II).
I. La consécration d’un droit de séjour fondé sur l’effectivité de la citoyenneté de l’Union
La Cour établit que le droit de séjour du membre de la famille au retour du citoyen de l’Union ne découle pas directement de la directive 2004/38, dont le champ d’application est jugé insuffisant pour cette situation spécifique (A). C’est donc en se fondant sur l’article 21 TFUE que la Cour garantit l’effet utile du droit de circuler en étendant la protection à la vie familiale du citoyen de l’Union qui retourne dans son État d’origine (B).
A. Le champ d’application de la directive 2004/38 jugé insuffisant
La Cour commence son raisonnement en examinant la portée de la directive 2004/38. Elle constate que, selon une interprétation littérale, systématique et téléologique, ce texte ne vise pas la situation du citoyen de l’Union retournant dans son propre État membre. En effet, l’article 3, paragraphe 1, de la directive définit ses bénéficiaires comme « tout citoyen de l’Union qui se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi [que les] membres de sa famille ». Le texte ne couvre donc que les situations de mobilité vers un État membre d’accueil, et non le retour vers l’État membre d’origine. La Cour souligne que les autres dispositions de la directive, en se référant à « un autre État membre » ou à « l’État membre d’accueil », confirment cette lecture restrictive. Par conséquent, un ressortissant d’un État tiers ne peut, sur le seul fondement de la directive, revendiquer un droit de séjour dans l’État membre dont son conjoint citoyen de l’Union possède la nationalité.
Face à cette lacune textuelle, la Cour se fonde sur la disposition primordiale relative à la citoyenneté pour garantir la substance du droit à la libre circulation.
B. Le recours à l’article 21 TFUE pour assurer l’effet utile du droit de circuler
La Cour rappelle que l’objectif principal des droits dérivés accordés aux membres de la famille est d’éviter de dissuader le citoyen de l’Union d’exercer sa liberté de circulation. Le refus d’accorder un droit de séjour au conjoint lors du retour du citoyen dans son État d’origine constituerait une telle entrave. La Cour affirme que « le refus de reconnaissance d’un tel droit est de nature à porter atteinte à la liberté de circulation du citoyen de l’Union, en le dissuadant d’exercer ses droits d’entrée et de séjour dans l’État membre d’accueil ». S’appuyant sur sa jurisprudence antérieure, notamment les arrêts *Singh* et *Eind*, elle étend cette logique, initialement appliquée aux travailleurs, à tout citoyen de l’Union ayant fait un usage effectif de son droit de séjour en vertu de l’article 21 TFUE. L’octroi d’un droit de séjour dérivé au retour vise ainsi à garantir que le citoyen de l’Union puisse poursuivre dans son État membre d’origine la vie familiale qu’il a « développée ou consolidée » dans l’État membre d’accueil. Cette solution assure la cohérence du statut de citoyen de l’Union, en protégeant non seulement son départ mais aussi son retour.
Cependant, ce droit de séjour au retour n’est pas inconditionnel et la Cour en précise les limites strictes.
II. Un droit de séjour conditionné par l’effectivité du séjour antérieur
Pour éviter que ce droit de retour ne devienne un moyen de contourner les règles nationales d’immigration, la Cour le subordonne à des critères stricts. Elle exige la preuve d’un séjour effectif ayant permis de développer une vie familiale réelle dans l’État membre d’accueil (A). Ce faisant, elle préserve la capacité des États membres à lutter contre les abus de droit (B).
A. L’exigence d’une vie familiale développée ou consolidée lors d’un séjour effectif
La Cour opère une distinction fondamentale entre les différents types de séjours prévus par la directive 2004/38. Un simple séjour de courte durée, inférieur à trois mois, relevant de l’article 6 de la directive, est jugé insuffisant pour créer un droit au retour pour le membre de la famille. De tels séjours, même répétés, comme des vacances ou des visites de fin de semaine, ne démontrent pas une installation réelle propice à la consolidation d’une vie familiale. En revanche, le droit de séjour au retour naît lorsque le citoyen de l’Union a séjourné dans l’État membre d’accueil dans le respect des conditions de l’article 7 de la directive, c’est-à-dire pour une durée de plus de trois mois en tant que travailleur, personne disposant de ressources suffisantes ou étudiant. Un tel séjour, et a fortiori un séjour ayant conduit à l’acquisition d’un droit de séjour permanent au titre de l’article 16, témoigne d’une installation effective. C’est à l’occasion de ce séjour effectif que la vie familiale a pu être créée ou consolidée. La Cour affirme ainsi que « l’effet utile des droits que le citoyen de l’Union concerné tire de l’article 21, paragraphe 1, TFUE exige que la vie de famille que ce citoyen a menée dans l’État membre d’accueil puisse être poursuivie lors de son retour ». Le droit de séjour au retour n’est donc pas automatique ; il est la conséquence d’une intégration réelle dans un autre État membre.
En posant cette condition, la Cour offre également aux États membres les moyens de se prémunir contre les utilisations détournées du droit de l’Union.
B. La préservation de la lutte contre les abus de droit
La Cour prend soin de rappeler que l’application des règles du droit de l’Union ne saurait couvrir des pratiques abusives. Elle rappelle la définition de l’abus de droit, qui requiert la réunion de deux éléments. D’une part, « un ensemble de circonstances objectives d’où il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l’Union, l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint ». D’autre part, un élément subjectif consistant en la volonté d’obtenir un avantage en créant artificiellement les conditions requises. L’exigence d’un séjour effectif et d’une vie familiale consolidée constitue précisément un rempart contre de telles pratiques. Elle permet aux autorités nationales de vérifier que le séjour dans un autre État membre n’a pas été un simple artifice destiné à se prévaloir des droits de l’Union pour contourner les règles d’immigration de l’État membre d’origine. La Cour précise également qu’une carte de séjour délivrée par l’État membre d’accueil n’a qu’un caractère déclaratif et ne lie pas les autorités de l’État membre d’origine, qui doivent procéder à leur propre examen des conditions de fond.