Cour de justice de l’Union européenne, le 12 novembre 2009, n°C-12/09

Cet arrêt, rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, porte sur les conséquences du non-respect par un État membre de son obligation de transposer une directive dans le délai prescrit. En l’espèce, une procédure en manquement a été engagée contre un État au motif qu’il n’avait pas adopté les dispositions nationales nécessaires pour se conformer à la directive 2006/17/CE, relative à certaines exigences techniques pour le don, l’obtention et le contrôle de tissus et de cellules d’origine humaine. La Commission européenne, gardienne des traités, a saisi la Cour afin de faire constater cette omission, considérant qu’elle était constitutive d’une violation du droit de l’Union. La question juridique posée à la Cour était donc de savoir si la simple expiration du délai de transposition, en l’absence de mesures nationales d’exécution, suffisait à caractériser un manquement aux obligations incombant à l’État membre mis en cause. La Cour de justice répond à cette question par l’affirmative, en jugeant qu’« en n’ayant pas adopté, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive […], [l’État membre] a manqué aux obligations qui lui incombent ». La solution, classique, rappelle la rigueur avec laquelle les institutions de l’Union veillent à la bonne application du droit dérivé.

L’analyse de cette décision conduit à examiner la manière dont la Cour constate de manière objective le manquement de l’État à son obligation de transposition (I), avant d’envisager la portée de cette constatation qui, bien que déclaratoire, constitue un mécanisme essentiel à l’effectivité de l’ordre juridique de l’Union (II).

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I. La consécration d’un manquement objectif à l’obligation de transposition

La Cour de justice fonde sa décision sur une conception stricte de l’obligation de transposition des directives qui pèse sur les États membres. Ce faisant, elle s’appuie sur le caractère inconditionnel de cette obligation (A) et procède à une appréciation purement matérielle du non-respect du délai imparti (B).

A. Le caractère inconditionnel de l’obligation de transposition des directives

L’obligation de transposer les directives découle directement de l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cet article dispose que la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Si cette liberté de mise en œuvre est réelle, elle ne saurait en aucun cas remettre en cause le caractère obligatoire du résultat prescrit ni le respect du délai fixé pour y parvenir. Le délai de transposition n’est pas une simple indication, mais un élément impératif qui conditionne la bonne application du droit de l’Union sur l’ensemble de son territoire.

L’arrêt commenté réaffirme ce principe fondamental. L’obligation de prendre les mesures nationales appropriées dans le délai fixé est une exigence juridique absolue. La directive 2006/17/CE, en harmonisant des exigences techniques en matière de santé publique, visait à garantir un niveau de sécurité et de qualité élevé et équivalent pour les tissus et cellules humains dans toute l’Union. Le respect du délai de transposition était donc essentiel pour atteindre cet objectif sans retard et éviter des distorsions ou des lacunes réglementaires entre les États membres.

B. L’appréciation matérielle du non-respect du délai de transposition

Pour constater le manquement, la Cour de justice se livre à un contrôle objectif et factuel. Elle vérifie uniquement si, à la date d’expiration du délai de transposition, l’État membre concerné a formellement adopté et publié les dispositions nationales nécessaires à la mise en conformité de son ordre juridique interne. La jurisprudence constante de la Cour considère que les difficultés d’ordre interne, qu’elles soient de nature politique, administrative ou juridique, ne sauraient justifier un retard dans l’exécution des obligations européennes.

En l’espèce, le manquement est donc constitué par le seul fait matériel de l’omission à la date butoir. La Cour n’a pas à rechercher les raisons de ce retard ni à en apprécier la légitimité. Cette approche formaliste est une garantie essentielle de l’égalité des États membres devant les traités et de l’application uniforme du droit de l’Union. Admettre des justifications reviendrait à affaiblir la force contraignante des directives et à compromettre la prévisibilité et la sécurité juridique pour les citoyens et les entreprises.

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II. La portée de l’arrêt en manquement dans l’ordre juridique de l’Union

La condamnation prononcée par la Cour n’est pas une simple réprimande symbolique. Elle constitue un instrument juridique fondamental qui garantit l’intégrité du système normatif de l’Union (A) et ouvre la voie, en cas de persistance du manquement, à d’éventuelles sanctions financières (B).

A. La garantie de l’effectivité et de l’uniformité du droit de l’Union

L’arrêt en manquement a une fonction essentielle : il vise à assurer l’effet utile (l’effectivité) du droit de l’Union. En constatant officiellement la violation, la Cour met l’État défaillant face à ses responsabilités et l’enjoint implicitement à mettre fin à l’infraction. Cette procédure est indispensable pour que le droit de l’Union ne reste pas lettre morte et produise ses effets de manière homogène sur tout le territoire de l’Union. Elle incarne le principe de coopération loyale, qui impose aux États membres de prendre toutes mesures propres à assurer l’exécution des obligations découlant des traités.

Dans le cas présent, l’absence de transposition de la directive 2006/17/CE créait une faille dans le cadre réglementaire de la santé publique. En sanctionnant cette défaillance, la Cour rappelle que l’uniformité des règles techniques et de sécurité est une condition de la confiance mutuelle entre les États, indispensable au bon fonctionnement du marché intérieur et à la protection de la santé des citoyens. La décision a donc une valeur qui dépasse le cas d’espèce, en réaffirmant la primauté et l’application cohérente du droit de l’Union.

B. Une sanction déclaratoire, prélude à d’éventuelles sanctions pécuniaires

L’arrêt en manquement est de nature déclaratoire, c’est-à-dire qu’il se limite à constater la violation du droit de l’Union. Il n’impose pas lui-même de sanction pécuniaire. Conformément à l’article 260, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’État condamné est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour. La première conséquence de la décision est donc d’obliger juridiquement l’État à remédier au manquement constaté dans les plus brefs délais.

Cependant, si l’État membre persiste dans sa défaillance et ne se conforme pas à l’arrêt, la Commission peut engager une seconde procédure, prévue à l’article 260, paragraphe 2. Cette nouvelle saisine peut alors aboutir à la condamnation de l’État au paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte. La décision commentée, bien que seulement déclaratoire, constitue ainsi une étape nécessaire et un avertissement formel, pouvant servir de prélude à des sanctions financières dissuasives si l’inaction de l’État devait perdurer.

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