Par un arrêt rendu en réponse à une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions temporelles de production des documents justificatifs nécessaires à l’obtention d’un taux de droit antidumping individuel. En l’espèce, une société avait importé des articles en céramique originaires de Chine, lesquels étaient soumis à un droit antidumping. Lors de la déclaration en douane, la facture commerciale présentée n’était pas conforme aux exigences d’un règlement d’exécution, car il y manquait une déclaration spécifique du fabricant. En conséquence, l’autorité douanière a appliqué le taux de droit antidumping résiduel, plus élevé, prévu pour « toutes les autres sociétés » non expressément listées.
Postérieurement au dédouanement et à la liquidation du droit définitif, la société importatrice a soumis une facture corrigée et a sollicité le remboursement de la différence entre le droit acquitté et le droit individuel plus favorable auquel elle estimait avoir droit. Cette demande a été rejetée par l’administration douanière au motif qu’une facture conforme aurait dû être présentée au moment de l’acceptation de la déclaration en douane. Saisi du litige, le tribunal national a interrogé la Cour de justice sur la possibilité de présenter une facture commerciale conforme postérieurement à la déclaration en douane pour bénéficier d’un taux de droit antidumping spécifique. La question de droit qui se posait était donc de savoir si la production d’une facture commerciale régulière est une condition de fond qui doit être satisfaite impérativement au moment de la déclaration en douane, ou si sa régularisation peut intervenir a posteriori.
La Cour y répond positivement, en jugeant que l’article 1er, paragraphe 3, du règlement d’exécution n° 412/2013 « doit être interprété en ce sens qu’il autorise à présenter, postérieurement à la déclaration en douane, une facture commerciale en bonne et due forme ». Cette solution est cependant subordonnée à la condition que les autres prérequis pour l’obtention du taux spécifique soient remplis et que la correcte application des droits soit assurée. Par cette décision, la Cour privilégie une approche matérielle des obligations douanières, reconnaissant une possibilité de régularisation documentaire (I), tout en encadrant cette faculté par la nécessité de garantir les objectifs de la réglementation antidumping (II).
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**I. La consécration d’une approche matérielle des exigences documentaires**
La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation combinée du règlement antidumping et du code des douanes, qui favorise la régularisation des déclarations incomplètes. Elle écarte un formalisme excessif en se fondant sur l’absence de délai explicite dans le texte (A), pour ensuite s’appuyer sur le mécanisme général de révision des déclarations en douane (B).
**A. L’interprétation littérale du règlement face au silence des textes**
Le raisonnement de la Cour prend pour point de départ une analyse stricte du règlement d’exécution. L’article 1er, paragraphe 3, de ce dernier subordonne l’application du taux de droit antidumping individuel à la présentation d’une facture conforme, mais, comme le soulignent les juges, « ledit libellé ne précise nullement le moment auquel une telle facture doit être présentée ». Cette absence de précision temporelle est déterminante, car elle empêche d’opposer au déclarant un délai de forclusion qui n’est pas formellement prévu par la législation applicable. La Cour en déduit qu’une interprétation littérale n’interdit pas une présentation postérieure à la déclaration initiale.
Cette lecture est renforcée par une analyse contextuelle, la Cour relevant que d’autres règlements antidumping peuvent contenir des dispositions plus strictes sur ce point, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Le silence du règlement n° 412/2013 ne saurait donc être interprété comme une interdiction implicite. En s’abstenant d’ajouter une condition de délai non écrite, la Cour adopte une posture respectueuse du principe de légalité des obligations imposées aux opérateurs économiques. La simple omission d’un document ou une erreur formelle sur celui-ci ne doit pas automatiquement priver l’importateur du bénéfice d’un droit plus favorable si la réalité matérielle de l’opération y donne droit.
**B. La mobilisation du mécanisme de révision du code des douanes**
Pour conforter son analyse, la Cour articule les dispositions spécifiques du règlement antidumping avec le cadre général du droit douanier. Elle se réfère explicitement à l’article 78 du code des douanes, qui organise la révision des déclarations après la mainlevée des marchandises. Ce mécanisme permet aux autorités douanières, d’office ou à la demande du déclarant, de contrôler les documents et, le cas échéant, de régulariser la situation si la déclaration initiale reposait sur des « éléments inexacts ou incomplets ».
La Cour rappelle que la finalité de cette procédure est « d’aligner la procédure douanière sur la situation réelle ». En permettant la prise en compte de nouveaux éléments après la déclaration, cet article consacre un droit à la rectification. La présentation d’une facture commerciale mise en conformité constitue précisément un de ces nouveaux éléments. Par conséquent, exclure la possibilité de présenter a posteriori une facture régulière viderait de sa substance le mécanisme de révision prévu par le code. La facture commerciale n’est donc pas traitée comme une pièce intangible cristallisant les droits au moment du dédouanement, mais comme un élément de preuve dont la régularité peut être assurée, même tardivement, dans le cadre d’une procédure de contrôle et de régularisation.
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**II. Une flexibilité documentaire subordonnée à la finalité de la législation antidumping**
Si la Cour admet une souplesse quant au moment de la production des documents, elle ne consacre pas pour autant un droit inconditionnel à la régularisation. Cette faculté est strictement encadrée par la poursuite des objectifs de la réglementation (A), ce qui confère à la solution une portée de principe mesurée (B).
**A. La garantie de la bonne application des droits comme condition substantielle**
La permission de régulariser une facture n’est pas absolue. La Cour la conditionne au fait que « le respect de la bonne application des droits antidumping est assuré ». Cette exigence renvoie à la finalité même du règlement, qui, selon son considérant 229, vise à « réduire au minimum les risques de contournement ». Le droit antidumping a pour objectif de protéger l’industrie de l’Union contre des importations à des prix préjudiciables. L’existence de taux différents selon les entreprises exportatrices crée un risque que des importateurs tentent frauduleusement de bénéficier du taux le plus bas.
Ainsi, la présentation tardive d’une facture ne doit pas ouvrir la voie à de telles manœuvres. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier que la régularisation ne dissimule pas une tentative de fraude. Dans l’affaire au principal, ce risque semblait écarté, puisque les autorités douanières avaient elles-mêmes identifié dès le départ le véritable fabricant des marchandises, lequel figurait sur la liste des sociétés bénéficiant d’un taux réduit. La présentation tardive de la facture conforme ne faisait donc que confirmer une réalité matérielle déjà connue de l’administration. La solution aurait sans doute été différente si l’identité du producteur ou l’origine des marchandises avait été douteuse.
**B. La portée de la solution : un principe de proportionnalité en matière de preuve**
En définitive, cet arrêt illustre l’application du principe de proportionnalité en droit douanier. Sanctionner une simple omission formelle par la perte d’un avantage substantiel serait disproportionné lorsque la réalité de l’opération n’est pas contestée et qu’aucun risque de fraude n’est avéré. La Cour établit un équilibre entre la nécessité d’une procédure administrative rigoureuse et le droit des opérateurs à être taxés selon la nature et l’origine réelles de leurs marchandises.
La portée de cette décision dépasse le seul cas des importations d’articles en céramique. Elle a vocation à s’appliquer à des situations similaires où un avantage tarifaire est conditionné par la présentation d’un document. Tant que la législation spécifique n’impose pas un délai de forclusion explicite, la possibilité de régularisation a posteriori, dans le cadre de l’article 78 du code des douanes, demeure ouverte. La solution érige en principe que la substance doit l’emporter sur la forme, à condition que les finalités de la réglementation, notamment la prévention de la fraude, soient pleinement respectées. Il s’agit moins d’un arrêt d’espèce que d’un rappel que les exigences documentaires sont des instruments de preuve au service de l’exacte perception du droit, et non des fins en soi.