Par un arrêt dont la portée est significative, la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser l’articulation du règlement (UE) n° 650/2012 sur les successions internationales, spécifiquement quant à la faculté de choix de la loi applicable par le de cujus.
En l’espèce, un litige successoral était né concernant le patrimoine d’un ressortissant d’un État tiers, lequel résidait habituellement dans un État membre de l’Union au moment de son décès. Ce défunt avait, de son vivant et par une disposition à cause de mort, exprimé sa volonté de soumettre l’ensemble de sa succession à la loi de l’État dont il possédait la nationalité.
Saisie du règlement de la succession, une juridiction nationale polonaise s’est trouvée confrontée à une double difficulté d’interprétation du droit de l’Union. La première tenait à la faculté même pour un ressortissant d’un pays tiers de se prévaloir de l’article 22 du règlement pour choisir sa loi nationale. La seconde portait sur l’effet d’une convention bilatérale, conclue antérieurement au règlement par l’État membre du for avec l’État tiers concerné, qui semblait exclure une telle option. Face à cette incertitude, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. Il était ainsi demandé à la Cour, d’une part, si le choix de loi prévu par l’article 22 du règlement est ouvert aux ressortissants d’États tiers. D’autre part, il s’agissait de déterminer si une convention bilatérale préexistante entre un État membre et un État tiers pouvait faire obstacle à l’exercice de cette faculté de choix par un ressortissant dudit État tiers résidant dans cet État membre.
La Cour répond par l’affirmative à la première interrogation, affirmant qu’« un ressortissant d’un État tiers résidant dans un État membre de l’Union européenne peut choisir la loi de cet État tiers comme loi régissant l’ensemble de sa succession ». Elle nuance cependant cette faculté au regard de la seconde question, en jugeant que le règlement ne s’oppose pas à ce que l’application d’un accord bilatéral antérieur puisse priver ce même ressortissant de cette possibilité.
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**I. La consécration d’une conception universaliste du choix de loi successorale**
La décision de la Cour de justice étend explicitement la faculté de professio juris, initialement perçue comme un mécanisme intra-européen, aux ressortissants d’États tiers (A), ce qui renforce la prévisibilité et l’autonomie de la volonté au cœur du règlement (B).
**A. L’extension du bénéfice de la professio juris aux ressortissants d’États tiers**
En premier lieu, la Cour interprète l’article 22 du règlement de manière extensive, en se fondant sur l’absence de toute condition de nationalité dans le texte. Elle énonce clairement qu’« un ressortissant d’un État tiers résidant dans un État membre de l’Union européenne peut choisir la loi de cet État tiers comme loi régissant l’ensemble de sa succession ». Cette solution lève une ambiguïté importante, car le règlement aurait pu être interprété comme ne visant qu’à faciliter les successions présentant des liens exclusifs avec les États membres. En adoptant une lecture littérale et téléologique, la Cour confirme que la faculté de choix de loi est un droit accordé à toute personne, indépendamment de sa nationalité, pour autant qu’elle choisisse la loi de l’État dont elle la possède. Le critère déterminant n’est donc pas la citoyenneté de l’Union du disposant, mais bien le lien de nationalité avec l’État dont la loi est choisie.
**B. Une solution conforme à la finalité du règlement européen**
En second lieu, cette interprétation libérale est parfaitement cohérente avec les objectifs du règlement n° 650/2012, qui sont d’assurer la prévisibilité de la loi applicable et de respecter l’autonomie de la volonté du défunt. Permettre à un individu de planifier sa succession en fonction d’un système juridique qu’il connaît et auquel il se sent attaché, celui de sa nationalité, constitue le fondement même de la professio juris. Une solution contraire aurait créé une discrimination injustifiée entre les citoyens de l’Union et les ressortissants d’États tiers résidant sur le territoire de l’Union, affaiblissant ainsi l’attractivité et la cohérence de l’espace judiciaire européen. La décision garantit donc une sécurité juridique accrue pour des millions de résidents étrangers, leur assurant que leur volonté quant au règlement de leurs biens sera, en principe, respectée. Toutefois, la portée de cette affirmation de principe se trouve significativement tempérée par la solution que la Cour apporte à la seconde question.
**II. La persistance d’une exception conventionnelle au principe du libre choix**
Si la Cour ancre solidement le principe du libre choix dans une perspective universelle, elle en admet aussitôt une limite de taille en donnant effet aux conventions bilatérales antérieures (A), ce qui conduit à une application du règlement à géométrie variable et potentiellement inéquitable (B).
**A. La primauté reconnue aux accords bilatéraux antérieurs**
La Cour de justice se fonde sur l’article 75 du règlement pour articuler l’application de ce dernier avec les conventions internationales préexistantes. Ce texte dispose en effet que le règlement ne porte pas atteinte à l’application des conventions internationales auxquelles un ou plusieurs États membres sont parties au moment de l’adoption du règlement. La Cour en déduit logiquement que le règlement « ne s’oppose pas à ce que […] un ressortissant de cet État tiers […] ne puisse pas choisir la loi dudit État tiers ». L’interprétation est ici purement technique et ne laisse que peu de place au doute. Le législateur européen a lui-même prévu cette clause de sauvegarde pour préserver les engagements internationaux des États membres. La Cour ne fait donc qu’appliquer la volonté du législateur, en reconnaissant que le droit de l’Union, en l’occurrence le règlement sur les successions, se retire face à une obligation conventionnelle spécifique et antérieure.
**B. Une dérogation source de complexité et d’inégalité**
Bien que juridiquement fondée, cette solution est critiquable au regard de ses conséquences pratiques. Elle fragmente l’espace judiciaire européen que le règlement visait précisément à unifier. La possibilité pour un ressortissant d’un État tiers de choisir sa loi nationale dépendra désormais du lieu de sa résidence habituelle et de l’existence ou non d’une convention bilatérale entre cet État membre et son pays de nationalité. Une telle situation engendre une inégalité de traitement manifeste entre des personnes se trouvant dans des situations objectivement similaires. Elle réintroduit une complexité considérable pour les praticiens du droit, qui devront, pour chaque succession internationale impliquant un ressortissant d’un État tiers, non seulement maîtriser le règlement, mais aussi vérifier l’état des conventions bilatérales de l’État de résidence. Cette exception conventionnelle vient ainsi directement heurter l’objectif de prévisibilité et de simplification qui était au cœur de l’ambition européenne.