Par l’arrêt soumis à commentaire, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la compatibilité d’une législation fiscale nationale avec le principe de libre circulation des capitaux. Elle interprète à cet effet les dispositions du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ainsi que celles d’un accord international conclu par l’Union.
En l’espèce, un contribuable résident d’un État membre percevait des revenus d’intérêts issus de titres de créance. Ces revenus provenaient à la fois d’entités établies dans cet État et d’entités situées dans un autre État membre ainsi qu’en Confédération suisse. La législation de son État de résidence prévoyait cependant un traitement fiscal différencié selon la provenance de ces revenus, ce qui aboutissait à une charge fiscale plus élevée pour les intérêts de source étrangère.
Ce contribuable a contesté le régime fiscal qui lui était appliqué devant les juridictions nationales. Celles-ci, confrontées à une difficulté d’interprétation du droit de l’Union, ont saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle. Il était donc demandé à la Cour de déterminer si l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’oppose à une législation nationale qui impose plus lourdement les revenus d’intérêts de source étrangère que ceux de source nationale. La question portait également sur l’interprétation d’un accord spécifique entre l’Union et la Confédération suisse.
La Cour répond par l’affirmative, en jugeant qu’une telle réglementation constitue une restriction prohibée. Elle estime que cette différence de traitement fiscal est de nature à dissuader les résidents d’investir leurs capitaux dans des entités établies hors de leur État de résidence. Cette décision, qui précise les contours de l’interdiction des entraves à la circulation des capitaux (I), réaffirme l’obligation pour les États membres d’assurer une cohérence fiscale au sein du marché intérieur (II).
I. La consécration d’une restriction à la libre circulation des capitaux
La Cour de justice établit sans ambiguïté que la différence de traitement fiscal mise en œuvre par l’État membre constitue une restriction à la libre circulation des capitaux. Elle fonde son raisonnement sur la caractérisation d’une discrimination fiscale (A), qu’elle étend ensuite logiquement aux relations spécifiques avec la Confédération suisse (B).
A. La caractérisation d’une discrimination fiscale
La Cour examine en premier lieu le traitement fiscal réservé aux revenus d’intérêts selon leur origine géographique. La législation nationale en cause appliquait un taux libératoire de 20 % aux revenus provenant de titres émis par des entités résidentes. En revanche, les revenus issus de titres émis par des entités d’un autre État membre étaient soumis à un taux progressif pouvant atteindre 40 %. Cette disparité crée une situation manifestement défavorable pour les investissements transfrontaliers.
La Cour juge qu’une telle législation « s’oppose à une réglementation d’un État membre soumettant les revenus d’intérêts perçus par les contribuables de cet État membre à un taux d’imposition progressif pouvant aller jusqu’à 40 % lorsque ces revenus d’intérêts proviennent d’obligations et de titres de créance émis par une entité d’un autre État membre ». Le traitement fiscal moins favorable réservé aux revenus de source étrangère a pour effet direct de décourager les résidents de cet État d’investir dans des titres émis par des sociétés établies dans d’autres États membres. Une telle mesure constitue une restriction à la libre circulation des capitaux, prohibée par l’article 56 du traité.
B. L’extension de la solution aux relations avec la Confédération suisse
La Cour applique un raisonnement similaire à la situation des revenus provenant de la Confédération suisse. Elle s’appuie sur l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse prévoyant des mesures équivalentes à celles de la directive sur la fiscalité de l’épargne. Cet accord vise à assurer une imposition effective des revenus de l’épargne et à éviter les distorsions au sein du marché.
La Cour interprète cet accord en ce sens qu’il « s’oppose à une réglementation d’un État membre soumettant les revenus d’intérêts perçus […] à un taux d’imposition progressif pouvant aller jusqu’à 40 % lorsque lesdits revenus d’intérêts […] sont versés par un agent payeur suisse, tandis que, lorsque les mêmes revenus d’intérêts sont versés par un agent payeur résident, ils sont imposés à un taux libératoire inférieur de 20 % ». En liant l’accord au principe de non-discrimination, la Cour assure la cohérence du système et empêche qu’un État membre ne contourne ses obligations en appliquant un traitement défavorable aux revenus provenant d’un État tiers partie à un accord spécifique.
La reconnaissance de cette restriction n’est pas isolée ; elle s’inscrit dans un cadre jurisprudentiel bien défini dont il convient de mesurer la portée.
II. La portée de la condamnation d’une fiscalité discriminatoire
En censurant cette législation fiscale, la Cour ne fait pas œuvre d’innovation mais réaffirme une solution solidement ancrée dans sa jurisprudence (A). Cette décision emporte néanmoins des conséquences importantes pour les législations fiscales des États membres, qui sont tenues d’assurer une parfaite neutralité fiscale aux investissements au sein du marché intérieur (B).
A. Le rappel d’une jurisprudence établie
Cette décision s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence constante de la Cour de justice. Celle-ci a maintes fois rappelé que si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent exercer cette compétence dans le respect des libertés fondamentales garanties par le traité. Le principe de libre circulation des capitaux, en particulier, impose aux États de ne pas introduire de discriminations arbitraires ou de restrictions déguisées fondées sur l’origine des capitaux.
La Cour considère que des situations objectivement comparables ne sauraient être traitées différemment sans une justification valable. En l’espèce, les revenus d’intérêts, qu’ils soient de source nationale ou étrangère, présentent la même nature pour le contribuable. L’application d’un taux d’imposition supérieur pour les seuls revenus étrangers n’est justifiée par aucune raison impérieuse d’intérêt général admise par le droit de l’Union, telle que la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal ou de lutter contre la fraude fiscale. La solution retenue est donc une application orthodoxe des principes fondamentaux du marché intérieur.
B. Les conséquences pour les législations nationales
La portée de cet arrêt est significative pour les États membres. Il leur est clairement interdit de maintenir ou d’introduire des régimes fiscaux qui, par des taux ou des modalités de calcul différents, pénalisent les investissements réalisés dans d’autres États membres ou dans des États tiers liés par des accords similaires. Les législations nationales doivent garantir une égalité de traitement fiscal entre les revenus de capitaux mobiliers nationaux et étrangers.
Cette décision contraint ainsi les administrations fiscales à éliminer toute forme de discrimination, directe ou indirecte, dans le traitement des revenus de l’épargne. Elle renforce la sécurité juridique pour les investisseurs et contribue à l’achèvement d’un véritable marché unique des capitaux. Tout contribuable s’estimant lésé par une législation similaire pourra désormais se prévaloir de cette jurisprudence devant ses juridictions nationales pour obtenir le dégrèvement des impositions indûment perçues. La Cour rappelle ainsi fermement que l’autonomie fiscale des États membres trouve sa limite dans les exigences du droit de l’Union.