Le 12 octobre 2023, la Cour de justice précise l’interprétation des règles anticumul applicables aux prestations de sécurité sociale des travailleurs migrants. Un assuré perçoit des pensions de retraite de deux États et demande le bénéfice d’une pension de survie auprès d’une institution nationale. L’administration applique une limitation de cumul en divisant le montant du dépassement par le nombre de prestations perçues par le demandeur. L’intéressé conteste ce calcul et soutient que la division doit porter sur l’intégralité des revenus pris en compte par la règle nationale. Saisi d’un renvoi préjudiciel par le tribunal du travail francophone de Bruxelles, le juge européen doit interpréter le règlement de coordination. La question posée porte sur les modalités de division des revenus lorsque le bénéfice de prestations de nature différente implique l’application de clauses nationales. La Cour décide que le droit de l’Union autorise tant la division du montant total que celle de la seule part excédant le plafond. Cette solution consacre la liberté des États dans la mise en œuvre technique de la coordination européenne de sécurité sociale.
**I. La reconnaissance d’une marge d’appréciation dans le calcul des prestations**
**A. Une lecture littérale autorisant une pluralité de méthodes comptables**
L’article 55 du règlement n° 883/2004 dispose que les institutions divisent les revenus « tels qu’ils ont été pris en compte » par le nombre de prestations. La Cour relève que cette rédaction ne contient aucune indication explicite imposant aux États membres de tenir compte d’un montant prédéterminé. En attribuant à cette expression son sens habituel, il faut comprendre que le texte vise les montants dont les institutions ont effectivement tenu compte. Le libellé laisse ainsi aux autorités nationales la faculté de déterminer l’assiette de la division selon les modalités de leur propre législation. Les juges considèrent que cette souplesse textuelle permet de diviser soit le montant total des revenus, soit la seule part excédant le plafond légal. Cette interprétation s’appuie sur une lecture sobre de la norme européenne qui refuse de créer une contrainte technique absente de la lettre du texte. L’absence de méthode unique souligne la volonté du législateur de ne pas figer les pratiques comptables des institutions nationales de sécurité sociale.
**B. La finalité protectrice limitée à l’atténuation des effets du cumul**
Le législateur européen souhaite protéger les survivants contre « une application trop rigoureuse des clauses nationales de réduction, de suspension ou de suppression ». La Cour précise que les dispositions relatives aux clauses anticumul ont pour vocation de limiter les effets particulièrement défavorables pour les travailleurs mobiles. Toutefois, l’article 55 « n’oblige aucunement les États membres à accorder aux travailleurs concernés les montants les plus élevés ». L’objectif de protection est atteint dès lors que l’application de la règle européenne empêche une réduction disproportionnée des droits acquis dans différents États. En l’espèce, le calcul administratif permet à l’assuré de percevoir une prestation de survie dont il aurait été privé sans l’intervention du droit de l’Union. Le mécanisme de division par le nombre de prestations suffit à corriger la rigueur du droit interne sans exiger une optimisation financière systématique. La protection des migrants réside dans la coordination des systèmes et non dans la recherche du montant de prestation le plus avantageux.
**II. La préservation de la souveraineté nationale au sein de la coordination**
**A. La distinction fondamentale entre la coordination et l’harmonisation sociale**
Le système européen repose sur le principe de « respecter les caractéristiques propres aux législations nationales de sécurité sociale » afin d’élaborer une simple coordination. La Cour rappelle que le règlement n’instaure pas un régime commun mais laisse subsister des régimes nationaux distincts et souverains dans leur organisation. Les États demeurent compétents pour fixer les conditions de droit aux prestations et les règles de non-cumul pour des avantages de nature différente. L’absence de définition d’un mode particulier de calcul dans le règlement confirme que cette compétence appartient à l’ordre juridique de chaque État membre. Les institutions nationales conservent ainsi le pouvoir d’aménager leurs propres mécanismes de réduction tant qu’elles respectent les limites fixées par le droit communautaire. Cette solution évite une uniformisation rampante des méthodes de liquidation des pensions qui ignorerait les spécificités techniques des régimes de solidarité nationaux. L’autonomie des États est préservée car le droit de l’Union se borne à encadrer l’exercice de leur compétence sans se substituer à eux.
**B. La conformité des modalités nationales aux impératifs de libre circulation**
Le pouvoir d’appréciation des États membres doit s’exercer dans le respect du droit de l’Union et des principes régissant la libre circulation des personnes. Il incombe au législateur européen de « déterminer les limites dans lesquelles peuvent s’appliquer les dispositions du droit national en matière de diminution ». La Cour vérifie si la méthode consistant à diviser la part excédant le plafond de cumul porte atteinte à l’effet utile du règlement. Elle constate qu’une telle pratique n’est pas particulièrement défavorable pour les travailleurs migrants par rapport aux sédentaires bénéficiant de prestations purement internes. La décision souligne que la genèse du texte confirme la volonté d’atténuer les effets néfastes d’une application cumulative des clauses nationales de réduction. Tant que le mécanisme national de division prévient une suppression excessive de la prestation, il demeure compatible avec les exigences de la coordination européenne. La solution rendue valide la diversité des pratiques administratives observées entre les différents États membres pour le calcul des pensions de survie.