Cour de justice de l’Union européenne, le 12 octobre 2023, n°C-726/21

Par un arrêt du 14 septembre 2023, la Cour de justice de l’Union européenne apporte des précisions essentielles sur les modalités d’application du principe *ne bis in idem*. Cette décision s’inscrit dans le cadre d’un renvoi préjudiciel portant sur l’interprétation de l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen.

Des dirigeants de sociétés civiles font l’objet d’un acte d’accusation en Croatie pour des abus de confiance commis entre les années 2004 et 2006. Ces agissements concernent des acquisitions immobilières réalisées à des prix surévalués au détriment d’une structure hôtelière locale. Les autorités autrichiennes avaient préalablement engagé des poursuites contre les mêmes personnes pour complicité d’abus de confiance lors de l’octroi de crédits bancaires. Un jugement définitif d’acquittement est intervenu en Autriche tandis qu’une partie de l’enquête fut classée sans suite par le parquet de Klagenfurt.

Le Županijski sud u Puli, saisi de l’affaire en Croatie, s’interroge sur l’existence d’une identité de faits entre les deux procédures pénales nationales. La juridiction de renvoi demande si l’examen de cette identité doit se limiter aux seuls dispositifs des actes de procédure ou inclure les motifs. Le problème juridique porte sur le périmètre des éléments textuels que le juge national doit comparer pour garantir l’effectivité de la protection contre les doubles poursuites. La Cour de justice énonce que le respect du principe impose de prendre en compte les motifs du jugement ainsi que les informations relatives à l’instruction.

**I. La primauté de l’identité matérielle des faits sur le formalisme procédural**

**A. L’identité des faits comme critère autonome de protection**

Le principe constitutionnel interdit de poursuivre pénalement une personne pour une infraction pour laquelle elle a déjà été acquittée ou condamnée par un jugement définitif. Le critère pertinent aux fins d’apprécier l’existence d’une même infraction repose exclusivement sur l’identité des faits matériels sans égard pour leur qualification juridique. Cette identité s’entend comme un « ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles » qui ont conduit à la décision pénale devenue définitive. Les juges de Luxembourg rappellent que les intérêts juridiques protégés par les législations nationales ne sauraient altérer l’appréciation souveraine de cette réalité factuelle.

L’appréciation de l’identité matérielle exige un examen global des événements impliquant le même auteur et liés entre eux dans le temps comme dans l’espace. La Cour souligne que la condition impose que les faits matériels soient identiques et non pas seulement similaires pour déclencher l’interdiction de nouvelles poursuites. Cette approche concrète préserve la sécurité juridique des citoyens exerçant leur droit à la libre circulation tout en évitant les cumuls de sanctions injustifiés. L’identité des faits doit ainsi primer sur les divergences procédurales existant entre les différents systèmes répressifs des États membres de l’Union.

**B. L’exclusion d’une lecture restrictive limitée au dispositif**

Une pratique judiciaire nationale imposant de n’avoir égard qu’aux informations contenues dans les seuls dispositifs des actes de procédure méconnaîtrait les objectifs du droit européen. Le libellé de l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen ne contient aucune restriction quant aux éléments textuels à considérer. Limiter l’examen au dispositif empêcherait le juge de vérifier si les circonstances concrètes de la cause ont déjà été effectivement tranchées au fond. La protection conférée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne saurait dépendre de la présentation formelle des décisions judiciaires nationales.

La Cour affirme que l’appréciation du respect du principe suppose d’examiner « non seulement les faits mentionnés dans le dispositif de l’acte d’accusation » mais l’intégralité du contenu décisionnel. Une lecture purement formelle des actes de procédure risquerait de vider de sa substance le droit fondamental à ne pas être jugé deux fois. Les juges nationaux doivent donc dépasser les apparences textuelles pour rechercher si les événements matériels reprochés ont fait l’objet d’un premier jugement définitif. Cette interprétation téléologique assure une protection uniforme des justiciables quelle que soit la structure de la décision rendue par la première juridiction saisie.

**II. Une coopération judiciaire renforcée pour garantir l’effectivité du droit**

**A. L’obligation d’examen des motifs et des éléments de l’instruction**

Le juge du second État membre est désormais tenu de prendre en considération les faits mentionnés dans les motifs des décisions rendues par les autorités étrangères. Cette obligation s’étend aux faits « sur lesquels a porté la procédure d’instruction mais qui n’ont pas été repris dans l’acte d’accusation ». L’obscurité éventuelle du dispositif d’un jugement d’acquittement ou d’une ordonnance de non-lieu doit être levée par l’analyse détaillée du raisonnement suivi. Cette démarche permet d’identifier précisément les agissements qui ont été couverts par l’autorité de la chose jugée lors de la première procédure pénale.

Le cadre de coopération instauré permet aux autorités compétentes de demander les renseignements pertinents aux autorités de l’État membre sur le territoire duquel la décision fut rendue. Les informations recueillies par ce biais doivent être impérativement prises en considération pour décider de la suite à réserver à la procédure pénale en cours. L’effet utile de l’entraide judiciaire suppose que le juge national puisse accéder à l’ensemble du dossier factuel ayant servi de base au premier jugement. Cette analyse exhaustive garantit que les poursuites postérieures ne portent pas sur des faits ayant déjà fait l’objet d’une appréciation au fond.

**B. La consolidation de la confiance mutuelle entre États membres**

Le principe de confiance mutuelle implique que chaque État accepte l’application du droit pénal en vigueur dans les autres États membres sans exiger d’harmonisation préalable. Cette confiance ne peut toutefois prospérer que si le second État est en mesure de s’assurer de la nature définitive de la décision étrangère communiquée. L’examen des motifs devient l’outil indispensable permettant de vérifier que les autorités du premier État ont porté une appréciation réelle sur les faits. La Cour précise que la décision doit constituer un obstacle procédural définitif à toute nouvelle poursuite selon le droit de l’État ayant rendu le jugement.

Le renforcement de cette confiance mutuelle exige une transparence totale sur les faits matériels visés par les procédures d’instruction antérieures afin d’éviter tout conflit de compétence. Les juridictions nationales doivent accepter les constatations factuelles étrangères même si la mise en œuvre de leur propre droit national conduirait à une solution différente. La solution retenue par la Cour de justice favorise une intégration judiciaire plus étroite en plaçant la réalité des faits au centre du dialogue juridictionnel. La protection du citoyen européen contre l’arbitraire des poursuites multiples sort ainsi consolidée par cette exigence de rigueur analytique imposée aux juges.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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