Cour de justice de l’Union européenne, le 12 septembre 2018, n°C-69/17

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 12 septembre 2018, une décision importante relative au régime des déductions de la taxe sur la valeur ajoutée. Une société établie en Roumanie a été déclarée inactive par les autorités fiscales nationales pour avoir manqué à ses obligations de déclaration durant un semestre civil complet. Cette mesure administrative a entraîné l’annulation de son numéro d’identification individuel, empêchant temporairement toute opération régulière au regard du droit fiscal interne. Durant cette période d’inactivité, l’entreprise a pourtant réalisé plusieurs acquisitions nécessaires à la maintenance et au montage de parcs éoliens sur le territoire national.

Un contrôle fiscal ultérieur a conduit l’administration à rejeter la déduction de la taxe acquittée au motif que le numéro d’identification n’était plus valide. Le contribuable a alors saisi la Cour d’appel de Bucarest le 10 juin 2016 afin de contester cet avis d’imposition assorti de lourdes pénalités financières. La juridiction roumaine a sursis à statuer pour interroger la Cour européenne sur la conformité de cette réglementation nationale avec la directive du 28 novembre 2006. Le litige porte sur la possibilité pour un État de refuser le droit à déduction suite à une simple omission formelle de présentation des déclarations fiscales.

La Cour de justice juge que le droit de l’Union s’oppose à une pratique nationale privant l’assujetti de son droit à déduction pour ce seul motif. Elle rappelle que les conditions de fond doivent prévaloir sur les exigences de forme dès lors que la réalité des opérations économiques est parfaitement établie. L’arrêt souligne que la déduction ne peut être limitée que si les manquements empêchent d’apporter la preuve certaine de la satisfaction des exigences matérielles. Cette solution repose sur la primauté des conditions substantielles (I) et impose un encadrement strict des sanctions administratives par le principe de proportionnalité (II).

I. La primauté des conditions substantielles sur les formalités administratives

A. L’enracinement du droit à déduction dans la neutralité fiscale

Le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée repose sur la faculté pour les opérateurs économiques de récupérer l’impôt payé lors de leurs achats professionnels. La Cour rappelle fermement que ce « droit des assujettis de déduire… la TVA due ou acquittée… constitue un principe fondamental du système commun » de l’Union européenne. Cette prérogative vise à garantir une neutralité parfaite de la charge fiscale pour toutes les activités économiques, sans égard pour les résultats de ces dernières. Le bénéfice de la déduction doit être accordé immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont par le contribuable assujetti. La réalisation des conditions de fond, liées à la qualité d’assujetti et à l’usage des biens pour des opérations taxées, suffit en principe à ouvrir ce droit.

B. La fonction purement probatoire de l’identification à la taxe

Les formalités administratives, telles que l’attribution d’un numéro individuel, ne doivent pas être confondues avec les critères substantiels qui font naître la créance de taxe. L’identification prévue par la directive européenne ne constitue qu’une « exigence formelle à des fins de contrôle » qui ne saurait remettre en cause la déduction elle-même. La Cour précise qu’un assujetti ne peut être empêché d’exercer son droit au motif qu’il n’était pas valablement identifié au moment de l’acquisition des biens. Les informations nécessaires à la vérification des opérations sont disponibles, obligeant l’administration fiscale à accepter la régularisation opérée après la réactivation du numéro d’identification. Le respect des obligations de comptabilité demeure secondaire face à la réalité économique des échanges et à l’absence démontrée de toute intention frauduleuse de l’opérateur.

Cette prééminence du fond sur la forme oblige les États membres à adapter leurs mesures de contrôle pour ne pas entraver inutilement le fonctionnement du marché commun.

II. La limitation des prérogatives de contrôle des administrations nationales

A. Le caractère disproportionné de la sanction d’inactivité

La lutte contre la fraude fiscale autorise les États à prévoir des obligations déclaratives, mais ces mesures ne doivent jamais excéder ce qui est strictement nécessaire. Le refus systématique du droit à déduction en cas d’inactivité administrative « va clairement au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif » d’assurer l’exacte perception. Les autorités nationales disposent d’autres moyens, comme les amendes ou les sanctions pécuniaires, pour punir les retards ou les omissions sans anéantir le droit substantiel. La Cour impose une analyse au cas par cas afin de vérifier si les manquements formels ont réellement empêché l’administration de contrôler les opérations. Une réglementation nationale trop rigide heurte le principe de proportionnalité en transformant une simple défaillance déclarative en une perte définitive de créance fiscale.

B. La fraude comme obstacle unique au bénéfice de la déduction

Le refus du droit à déduction demeure légitime uniquement dans les hypothèses où la violation des règles formelles facilite la dissimulation d’une activité illicite ou abusive. La Cour de justice réaffirme que la déduction peut être refusée « s’il était établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement ». En l’absence de telles preuves, l’administration ne peut se retrancher derrière le calendrier des factures ou des déclarations pour rejeter les demandes de l’assujetti. La neutralité fiscale interdit de sanctionner un opérateur de bonne foi dont les acquisitions ont effectivement servi à réaliser des ventes soumises à la taxe. Les États membres doivent privilégier la régularisation des situations administratives plutôt que l’annulation pure et simple des droits financiers garantis par les traités européens.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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