La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 6 octobre 2025, statue sur l’articulation entre le droit au séjour et les procédures de retour. Un ressortissant d’un pays tiers séjourne en Bulgarie depuis l’année 1996 mais voit ses multiples demandes de protection internationale systématiquement rejetées par les autorités administratives compétentes. Celui-ci invoque son état de santé dégradé ainsi que la durée considérable de son séjour pour solliciter un statut humanitaire prévu par la législation nationale bulgare. Saisi d’un recours, le tribunal administratif de Sofia surseoit à statuer pour interroger la Cour sur la compatibilité des normes nationales avec les directives européennes applicables. La juridiction de renvoi cherche notamment à savoir si la Charte des droits fondamentaux impose l’octroi d’un titre de séjour après vingt-six ans de présence irrégulière.
La Cour répond que les États peuvent accorder une protection nationale discrétionnaire si elle se distingue clairement des statuts de réfugié ou de protection subsidiaire. Elle précise toutefois que le droit de l’Union n’oblige pas à régulariser un étranger au seul motif de la durée prolongée de sa résidence sur le territoire. Cette décision consacre ainsi l’autonomie des protections nationales tout en encadrant strictement l’influence des droits fondamentaux sur les procédures de délivrance des titres de séjour.
I. L’autonomie des protections nationales face au régime de protection internationale
A. La nécessaire distinction entre les statuts humanitaires et la protection subsidiaire
La Cour rappelle que les États membres conservent la faculté d’adopter des normes nationales de protection plus favorables en dehors du champ d’application de la directive 2011/95. Le droit de l’Union ne s’oppose pas à l’octroi d’un droit de séjour pour des motifs humanitaires « qui ne présentent aucun lien avec la nature » de la protection. Cette protection nationale ne doit cependant pas porter atteinte à l’économie générale du système européen en créant une confusion entre les différents titres de séjour accordés. Les juges précisent que « cette protection nationale ne doit pas pouvoir être confondue avec le statut de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire » par les autorités. La coexistence de ces régimes impose une identification rigoureuse des fondements juridiques pour préserver l’effet utile des normes européennes régissant l’asile et la protection internationale.
Le législateur national doit donc veiller à ce que les critères d’attribution du statut humanitaire interne soient substantiellement différents de ceux régissant la protection subsidiaire européenne. La simple identité de dénomination ou l’insertion des dispositions dans un texte commun ne suffit pas à invalider le dispositif si les régimes restent juridiquement séparés. L’appréciation de cette séparation appartient à la juridiction nationale qui doit vérifier si le statut octroyé ne constitue pas un détournement des règles de l’Union européenne. La reconnaissance d’une marge de manœuvre étatique permet ainsi de répondre à des situations de dénuement matériel extrême sans pour autant dénaturer le droit d’asile classique. Cette autonomie décisionnelle des États membres trouve néanmoins son prolongement nécessaire dans le respect scrupuleux des garanties fondamentales dues aux personnes en situation de séjour irrégulier.
B. La préservation de la dignité humaine durant l’attente de l’éloignement
L’absence de droit au séjour n’exonère pas l’État d’assurer les besoins élémentaires de l’individu dont l’éloignement est suspendu en raison de circonstances techniques ou sanitaires. La Cour souligne que les autorités doivent veiller à ce qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique ne se trouve pas dans une situation de dénuement matériel. Les dispositions de la Charte interdisent les traitements inhumains ou dégradants qui résulteraient de l’indifférence totale des services publics face à une précarité manifeste et persistante. Les États membres garantissent ainsi « les soins médicaux d’urgence ainsi que le traitement indispensable des maladies » conformément aux exigences de la directive relative au retour. Le respect de la dignité humaine constitue un socle indépassable qui s’impose même lorsque l’étranger ne peut prétendre à aucun titre de séjour pérenne sur le territoire.
Cette obligation positive de protection minimale s’applique durant toute la période où le ressortissant étranger demeure physiquement présent sous la juridiction de l’État membre concerné. L’application des droits fondamentaux tempère la rigueur des procédures d’éloignement en imposant la prise en compte de la vulnérabilité spécifique des individus concernés par la décision. Le droit de rester sur le territoire durant l’examen d’un recours ne doit pas être confondu avec un droit à un titre de séjour définitif et stable. L’exigence de protection de la dignité humaine doit désormais être confrontée aux limites structurelles du droit au séjour imposées par le cadre législatif de l’Union européenne.
II. Les limites de l’influence des droits fondamentaux sur le droit au séjour
A. L’absence d’obligation d’octroi d’un titre de séjour fondé sur la Charte
La Cour affirme avec fermeté que la durée prolongée d’un séjour irrégulier ne saurait constituer un motif autonome obligeant l’État à délivrer un titre de séjour. Aucune disposition du droit de l’Union n’impose la régularisation d’un ressortissant d’un pays tiers au seul titre du respect de sa vie privée et familiale. Les juges considèrent que « les articles 1er, 4 et 7 de la Charte » ne sauraient fonder une compétence pour contraindre les autorités à accorder une résidence stable. L’État membre conserve son pouvoir souverain d’appréciation pour décider s’il convient d’utiliser les clauses humanitaires facultatives prévues par la directive relative aux procédures de retour. La situation de l’étranger reste régie par le droit national dès lors que les conditions d’octroi de la protection internationale ne sont pas formellement réunies ou établies.
Le droit de rester temporairement pour les besoins de la procédure contentieuse n’équivaut pas à une reconnaissance d’un droit permanent à l’établissement sur le sol national. La protection contre le refoulement immédiat protège l’intégrité physique de la personne sans pour autant lui conférer les prérogatives attachées à un statut de résident légal. Cette distinction fondamentale préserve la cohérence des politiques migratoires européennes tout en assurant une protection minimale conforme aux valeurs fondamentales portées par les traités de l’Union. L’équilibre ainsi maintenu entre les prérogatives régaliennes et les droits de l’homme limite l’effet direct de la Charte en matière de régularisation administrative des sans-papiers. Ce constat n’exclut cependant pas la nécessité pour l’administration de formaliser la situation précaire de l’individu par un document écrit attestant de sa présence tolérée.
B. L’obligation de confirmation écrite de la suspension de l’éloignement
La sécurité juridique commande que l’étranger en séjour irrégulier dispose d’une preuve matérielle de l’impossibilité temporaire de son renvoi forcé vers son pays d’origine. La Cour juge que l’État doit délivrer « une confirmation écrite du fait que la décision de retour le concernant ne sera temporairement pas exécutée » par les services. Cette mesure vise à protéger l’individu contre des arrestations répétées ou des détentions arbitraires durant la période de suspension de la mesure administrative d’éloignement du territoire. La délivrance de ce document constitue une garantie procédurale essentielle prévue par la directive 2008/115 pour assurer la transparence des relations entre l’administration et l’étranger. Le défaut de mise à exécution de l’éloignement impose cette formalité afin de stabiliser provisoirement la situation juridique de la personne humaine dans l’attente du départ.
L’obligation de délivrer cette confirmation écrite pèse sur les autorités dès lors que le délai d’exécution de la mesure de retour est légalement ou techniquement dépassé. Ce certificat ne vaut pas titre de séjour mais atteste simplement du caractère temporairement non exécutoire de la mesure d’expulsion prise à l’encontre de l’intéressé par l’État. Le droit à cette confirmation découle directement de l’article 14 de la directive et s’impose à l’administration sans qu’une demande préalable de l’étranger ne soit toujours nécessaire. La protection des droits fondamentaux trouve ainsi une application concrète dans cette formalité administrative qui prévient toute ambiguïté sur le statut réel de l’occupant sans titre. La solution ainsi dégagée par la Cour concilie efficacement l’exigence d’efficacité des retours avec le respect minimal dû à la personne humaine durant son séjour forcé.