Par un arrêt rendu le 13 décembre 2012 dans l’affaire C-11/12, la première chambre de la Cour de justice précise l’étendue de la responsabilité des agriculteurs. Cette décision porte sur l’interprétation du règlement relatif au système de conditionnalité des aides octroyées dans le cadre de la politique agricole commune. Une société civile bailleresse avait consenti le louage d’une parcelle agricole à un groupement d’exploitants pour la réalisation d’une culture d’oignons. Le bail autorisait la bailleresse à épandre de l’engrais avant l’entrée en jouissance effective du preneur sur les terres concernées. Or, cette opération fut réalisée en méconnaissance de la législation environnementale nationale sur les émissions polluantes lors des épandages. L’exploitant preneur sollicita par la suite des paiements directs pour l’année civile en cours en déclarant la parcelle litigieuse dans sa demande. L’autorité administrative compétente décida de réduire les aides de vingt pour cent en raison du caractère intentionnel de l’infraction initiale. Le demandeur contesta cette décision devant le College van Beroep voor het bedrijfsleven qui, par décision du 12 octobre 2011, saisit la Cour de justice. Saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice doit déterminer si le manquement commis par le cédant est imputable à l’agriculteur demandeur d’aide. Elle juge que le non-respect des règles de conditionnalité par le cédant doit être intégralement imputé à celui qui présente la demande d’aide. L’interprétation retenue s’appuie sur la structure du régime de soutien direct afin de garantir l’efficacité des contrôles administratifs (I), tout en respectant le principe de proportionnalité (II).
**I. L’imputation intégrale du manquement à l’agriculteur demandeur**
L’imputation du manquement à l’agriculteur repose sur une lecture objective de la réglementation européenne (A) laquelle fait fi de l’identité du véritable contrevenant (B).
**A. Une responsabilité objective née de la simplification administrative**
La Cour rappelle d’abord l’évolution législative ayant supprimé l’obligation de détenir les parcelles pendant une période minimale de dix mois consécutifs. Cette réforme visait à alléger la charge administrative des exploitants tout en facilitant la circulation des terres agricoles au sein de l’Union européenne. Toutefois, cet assouplissement accroît mécaniquement le risque que le demandeur d’aide n’ait pas eu la jouissance effective du terrain lors d’un manquement. Les juges considèrent que cette simplification implique nécessairement une centralisation de la responsabilité sur la personne identifiée comme le demandeur unique du soutien financier. L’agriculteur acceptant de solliciter des aides publiques s’inscrit librement dans un système où la conformité du terrain prime sur l’identité de l’auteur. L’absence de lien direct entre le demandeur et l’infraction constatée n’empêche pas l’imputation de la responsabilité telle que définie par le règlement (B).
**B. L’indifférence du lien matériel entre le demandeur et l’infraction**
Le texte prévoit explicitement que la réduction s’applique lorsque le non-respect est dû à un acte directement imputable à l’auteur de la cession. La Cour précise que « le non-respect des règles de la conditionnalité par le bénéficiaire ou l’auteur de la cession des terres agricoles » doit être imputé au demandeur. Cette règle ne distingue pas selon que l’infraction résulte d’une simple négligence ou d’un acte délibéré commis par le cédant de la parcelle. L’agriculteur doit donc supporter les conséquences financières des agissements d’autrui, même s’il n’a eu aucune connaissance réelle de la violation des normes environnementales. Cette solution garantit que chaque unité de surface déclarée soit soumise aux mêmes exigences de contrôle indépendamment des successions de détenteurs. Si cette responsabilité peut paraître rigoureuse, elle demeure toutefois conforme aux objectifs de la politique agricole et au principe de proportionnalité (II).
**II. La validité du mécanisme au regard des principes généraux du droit**
La validité de cette imputation intégrale s’apprécie au regard des objectifs de santé publique (A) et de la préservation nécessaire du principe de proportionnalité (B).
**A. La promotion des objectifs de la conditionnalité**
Le système de conditionnalité constitue un instrument administratif spécifique destiné à promouvoir le respect des normes de base en matière de santé et d’environnement. La Cour souligne que l’octroi du soutien financier reste subordonné à l’exigence impérieuse que son bénéficiaire respecte l’ensemble des règles de gestion agricole. L’imputation du manquement permet d’assurer l’intégration effective des préoccupations écologiques au sein des organisations communes de marchés prévues par la politique agricole commune. En sanctionnant le demandeur pour un acte intentionnel d’autrui, les juges renforcent l’efficacité dissuasive du dispositif technique de protection des milieux naturels. Ce mécanisme assure que les fonds publics ne subventionnent que des pratiques agricoles strictement conformes aux standards législatifs européens en vigueur. L’efficacité du contrôle administratif s’accompagne toutefois d’une préservation de la proportionnalité grâce aux mécanismes de l’autonomie contractuelle (B).
**B. La préservation de la proportionnalité par l’autonomie contractuelle**
Le principe de proportionnalité exige que les moyens mis en œuvre soient aptes à réaliser l’objectif visé sans excéder ce qui est nécessaire. La Cour estime que la responsabilité exclusive du demandeur vis-à-vis de l’administration ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts financiers des exploitants. Rien n’empêche en effet les parties à un contrat de cession de convenir de clauses spécifiques relatives à la répartition des risques financiers encourus. Les mécanismes classiques du droit civil permettent également au demandeur d’exercer un recours contre le véritable auteur du trouble pour obtenir réparation. La décision préserve ainsi l’équilibre entre la rigueur nécessaire de la surveillance administrative et la liberté contractuelle des acteurs économiques du monde rural.