La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 13 décembre 2012 une décision précisant l’application des règles de concurrence aux accords d’importance mineure. Un partenariat commercial entre une société de transport ferroviaire et un prestataire de services de voyage en ligne visait la création d’une filiale commune. L’autorité nationale a sanctionné cette entente le 5 février 2009, considérant qu’elle favorisait indûment la nouvelle structure au détriment des autres entreprises. La Cour d’appel de Paris a confirmé cette analyse le 23 février 2010 en soulignant la faculté de poursuite malgré des parts de marché réduites. Le demandeur au pourvoi conteste l’appréciation des parts de marché et invoque le bénéfice des seuils de tolérance définis par la Commission européenne. La juridiction de renvoi s’interroge sur la portée juridique de la communication dite de minimis pour les autorités de concurrence des États membres. Il convient de déterminer si le dépassement des seuils de part de marché constitue une condition impérative pour l’application de l’interdiction des ententes. La Cour répond que les autorités nationales peuvent sanctionner un accord sous les seuils dès lors qu’il restreint sensiblement la concurrence. L’examen portera d’abord sur la valeur informative de la communication de la Commission avant d’analyser le régime spécifique des restrictions par objet.
I. La valeur informative des seuils de parts de marché
A. L’absence de caractère obligatoire de la communication de minimis
Le juge de l’Union rappelle que la communication de la Commission n’est pas contraignante à l’égard des États membres ou de leurs juridictions. La publication d’un tel texte dans la série C du Journal officiel confirme son caractère de simple recommandation sans portée juridique propre. La Cour énonce qu’une « communication de la Commission, telle que la communication de minimis, n’est pas contraignante à l’égard des États membres ». Elle ajoute que les autorités nationales peuvent « prendre en considération les seuils établis » sans pour autant être légalement obligées de les respecter rigoureusement. Ce document administratif sert uniquement à guider l’action de la Commission lorsqu’elle agit elle-même en tant qu’autorité de la concurrence de l’Union. Les entreprises ne peuvent donc pas se prévaloir d’une confiance légitime pour échapper aux sanctions nationales sur le seul fondement de ces seuils.
B. La préservation du pouvoir d’appréciation des autorités de concurrence
Les autorités nationales conservent une marge de manœuvre substantielle pour qualifier le caractère sensible d’une restriction de concurrence sur leur territoire. Le règlement relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence impose l’application parallèle du droit européen sans restreindre les poursuites locales. La Cour précise que les seuils « ne constituent en effet que des indices parmi d’autres » pour apprécier l’impact réel d’un accord litigieux. Cette souplesse permet au régulateur de tenir compte du cadre économique réel et des objectifs spécifiques poursuivis par les entreprises parties au contrat. Le respect du droit primaire de l’Union demeure la seule obligation absolue pour les instances nationales chargées de veiller au bon fonctionnement du marché. La reconnaissance de cette autonomie décisionnelle s’articule nécessairement avec la distinction entre les types de restrictions apportées au jeu de la concurrence.
II. La prééminence du critère qualitatif de la restriction par objet
A. La présomption de sensibilité des infractions par objet
La décision souligne que certains comportements collusoires présentent une dangerosité intrinsèque telle qu’une analyse de leurs effets concrets devient totalement superflue. La qualification d’infraction par objet repose sur la nature même des dispositions contractuelles et sur les objectifs anticoncurrentiels qu’elles visent ouvertement. La Cour affirme qu’un « accord ayant un objet anticoncurrentiel constitue, par sa nature et indépendamment de tout effet concret de celui-ci, une restriction sensible ». Cette approche rigoureuse dispense l’autorité de poursuite de démontrer un impact négatif réel sur le marché intérieur dès lors que l’intention prohibée est établie. La gravité de l’atteinte au marché justifie une sanction immédiate sans égard pour la puissance économique relative des entreprises impliquées dans l’entente.
B. L’indépendance de la répression face aux critères quantitatifs
L’existence d’un objet anticoncurrentiel rend inopérant le recours aux seuils de parts de marché pour écarter l’application de l’article cent un du traité. La protection du jeu normal de la concurrence prime sur les considérations liées à la taille des acteurs ou au volume des échanges affectés. Les juges considèrent que la communication de la Commission ne saurait modifier la portée de l’interdiction fondamentale édictée par le droit primaire européen. La pratique litigieuse demeure sanctionnable même si les parts de marché des entreprises concernées restent inférieures aux limites de dix pour cent fixées administrativement. Cette solution garantit une vigilance constante contre les ententes les plus nocives, quelle que soit l’importance apparente des parts de marché cumulées par les participants. La cohérence du droit de l’Union est ainsi assurée par la primauté de la règle de fond sur les simples directives de procédure.