La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 13 décembre 2012, une décision fondamentale concernant l’application de la libre circulation des travailleurs. Elle examine ici si les aides étatiques à l’embauche peuvent légalement être réservées aux demandeurs d’emploi résidant sur le territoire national. Une travailleuse de nationalité luxembourgeoise, résidant en Allemagne mais ayant effectué toute sa carrière au Luxembourg, fut engagée à cinquante-deux ans par une société privée. L’employeur sollicita le remboursement des cotisations de sécurité sociale, prévu par la législation nationale pour favoriser l’emploi des chômeurs âgés de plus de quarante-cinq ans. L’administration de l’emploi rejeta cette demande au motif que la salariée n’était pas inscrite comme demandeur d’emploi auprès de ses services. Le Tribunal administratif de Luxembourg rejeta le recours formé contre cette décision par un jugement du 14 juillet 2010. Saisie en appel, la Cour administrative de Luxembourg décida, le 14 juillet 2011, d’interroger le juge européen sur la conformité de cette exigence. La question centrale consiste à déterminer si une condition d’inscription préalable, liée à une résidence nationale, constitue une entrave illicite au droit de circulation. La Cour répond par l’affirmative, soulignant que de telles règles désavantagent les travailleurs exerçant leur droit à la mobilité.
I. Une entrave caractérisée à la liberté de circulation des travailleurs
A. L’applicabilité du droit de l’Union aux travailleurs frontaliers
Le juge européen réaffirme que tout ressortissant ayant exercé une activité professionnelle dans un État membre autre que celui de sa résidence relève du traité. La qualité de travailleur produit des effets après la cessation de la relation de travail, incluant les personnes recherchant réellement un nouvel emploi. L’arrêt précise que « pour être efficace et utile, le droit des travailleurs d’être engagés sans discrimination doit avoir comme complément le droit des employeurs de les engager ». Par cette approche, la Cour permet à la société employeuse de se prévaloir des droits directement reconnus aux travailleurs par l’article 45 du Traité. Cette solution assure une protection effective de la mobilité professionnelle au sein du marché intérieur, indépendamment de la qualité juridique du demandeur.
B. La reconnaissance d’une restriction discriminatoire indirecte
La réglementation litigieuse introduit une différence de traitement entre les demandeurs d’emploi résidant sur le territoire national et ceux établis dans un autre État. En réservant l’aide financière aux seuls employeurs recrutant des résidents inscrits, la mesure nationale « est susceptible de dissuader un employeur d’engager un demandeur d’emploi » frontalier. Une telle condition de résidence constitue une restriction car elle rend l’accès au marché de l’emploi plus difficile pour les citoyens non-résidents. La Cour conclut que ce traitement moins avantageux pour les travailleurs frontaliers entrave la liberté reconnue par le droit primaire de l’Union européenne. L’existence d’un obstacle étant ainsi démontrée, il convient d’analyser les éventuelles justifications avancées par l’autorité nationale.
II. L’absence de justification de la mesure nationale restrictive
A. Le constat d’un défaut de motifs impérieux d’intérêt général
Toute entrave à une liberté fondamentale ne peut être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec les traités européens. Il incombe aux États membres de prouver que la mesure restrictive est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué par le gouvernement. En l’espèce, le gouvernement concerné ne s’est pas attaché à décrire l’objectif spécifique poursuivi par la condition de résidence imposée aux travailleurs. La décision relève que l’État n’a pas avancé « le moindre élément en vue de justifier cette condition de résidence au titre des raisons impérieuses d’intérêt général ». Faute de justifications étayées par une analyse de proportionnalité, la restriction ne peut être validée au regard des exigences du droit de l’Union.
B. L’inadéquation de la résidence comme critère d’intégration
La Cour souligne qu’une condition de résidence est généralement inappropriée pour apprécier l’intégration des travailleurs migrants ou frontaliers sur un marché du travail national. Le lien d’intégration résulte de l’exercice d’une activité salariée et des contributions fiscales versées dans l’État d’accueil pendant la carrière professionnelle. Une travailleuse ayant accompli l’ensemble de sa carrière professionnelle dans un État membre « apparaît intégrée au marché du travail » de celui-ci malgré sa résidence étrangère. L’article 45 du Traité s’oppose donc à ce qu’une aide à l’embauche soit subordonnée à une inscription bureaucratisée excluant de fait les non-résidents. Le juge européen privilégie ainsi une approche concrète du lien économique sur les critères formels de domicile pour protéger les droits des citoyens.