Cour de justice de l’Union européenne, le 13 décembre 2012, n°C-670/11

Dans une décision préjudicielle rendue sur renvoi du Conseil d’État français, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conséquences d’une irrégularité affectant les conditions d’éligibilité d’une aide agricole. Une société française avait perçu des aides de l’Union pour le stockage de moûts de raisins concentrés. Des contrôles ultérieurs ont révélé que la majeure partie des moûts avait été acquise auprès d’un fournisseur italien inexistant, rendant ainsi incertaines tant l’origine communautaire du produit que la qualité de propriétaire de l’opérateur français. L’organisme payeur national a alors exigé le remboursement intégral des aides versées. Saisi du litige, le tribunal administratif de Montpellier, par un jugement du 15 juin 2007, a annulé cette décision, estimant que l’irrégularité ne justifiait qu’un remboursement partiel proportionné à sa gravité, en application du règlement sectoriel applicable. La cour administrative d’appel de Marseille a confirmé cette analyse par un arrêt du 15 juin 2009. L’organisme national s’est pourvu en cassation, soutenant que la gravité des manquements viciait la validité même des contrats de stockage et justifiait un retrait total de l’avantage sur le fondement du règlement général relatif à la protection des intérêts financiers de l’Union. Le Conseil d’État a alors interrogé la Cour de justice sur l’articulation des régimes de sanction sectoriels et du régime général de protection du budget de l’Union face à une irrégularité substantielle. Il s’agissait de déterminer si la découverte d’une telle irrégularité commandait l’application d’une sanction graduée prévue par un texte spécifique ou autorisait une mesure de recouvrement total fondée sur un texte général. La Cour répond que le non-respect d’une condition essentielle d’octroi de l’aide, comme l’origine communautaire du produit, place l’opération hors du champ de l’aide et impose une restitution intégrale, non pas au titre d’une sanction, mais d’une mesure administrative de retrait de l’avantage indûment obtenu.

Cette solution conduit à examiner la primauté des conditions d’éligibilité sur les mécanismes de sanction prévus par la réglementation sectorielle (I), avant d’analyser le recours au droit commun de la protection financière de l’Union comme fondement d’une obligation de recouvrement intégral (II).

I. La primauté des conditions d’éligibilité sur les sanctions sectorielles

La Cour de justice établit une hiérarchie claire entre les conditions de fond ouvrant droit à une aide et les règles sanctionnant son exécution. Elle écarte ainsi l’application du régime de sanction sectoriel en démontrant d’abord que l’irrégularité constatée constitue un manquement à une condition d’éligibilité fondamentale (A), rendant par conséquent le mécanisme de sanction spécifique inapplicable (B).

A. La disqualification de l’aide pour manquement à une condition substantielle

La Cour examine en premier lieu la nature de l’obligation méconnue. Le règlement n° 822/87, qui institue l’aide au stockage, réserve celle-ci aux moûts de raisins « produit[s] dans la Communauté ». Cette condition d’origine communautaire est donc un prérequis fondamental à l’octroi de l’aide. En l’espèce, le fait que le fournisseur d’une grande partie des moûts soit une société fictive empêchait d’établir avec certitude cette origine. La Cour en déduit logiquement que le produit en cause ne relevait pas du champ d’application du régime d’aide. Elle affirme que « dans la mesure où il ne pouvait pas être considéré que celles-ci étaient des moûts de raisins d’origine communautaire, un tel opérateur ne saurait en tout état de cause être considéré comme ayant acquis des moûts de raisins relevant du champ d’application du règlement n o 822/87 ». Ce faisant, elle évite de se prononcer sur la notion de « propriétaire » au sens du règlement d’application n° 1059/83, une question plus complexe et dépendante des droits nationaux. En se concentrant sur le critère objectif de l’origine du produit, la Cour établit que le manquement ne réside pas dans une mauvaise exécution du contrat de stockage, mais dans une absence de conformité de l’objet même de ce contrat. L’aide est donc privée de sa base légale dès l’origine, ce qui rend l’avantage perçu entièrement indu.

B. Le champ d’application restreint du mécanisme de sanction sectoriel

Une fois établi que l’aide a été perçue sans que la condition d’origine du produit soit remplie, la Cour se penche sur la sanction applicable. Le règlement d’application n° 1059/83 prévoit, en son article 17, paragraphe 1, sous b), une sanction consistant en une simple diminution de l’aide en fonction de la gravité de l’infraction. Les juridictions administratives françaises du fond avaient appliqué cette disposition. La Cour censure cette interprétation en procédant à une analyse téléologique et systémique de l’article 17. Elle observe que cette disposition vise à sanctionner les manquements aux obligations qui incombent au producteur « en vertu du présent règlement ou du contrat ». Or, ces obligations concernent principalement les modalités d’exécution du stockage. La Cour souligne que ce mécanisme de sanction proportionnée ne saurait être appliqué « pour sanctionner des vices graves affectant la validité même d’un contrat de stockage présenté à l’appui d’une demande d’aide au stockage, lesquels vices remettent directement en cause l’éligibilité du producteur aux aides ». La violation d’une condition fondamentale d’éligibilité n’est donc pas une simple irrégularité dans l’exécution d’un contrat, mais un défaut qui empêche la formation même d’un droit à l’aide. Le régime de sanction sectoriel, conçu pour des fautes de moindre importance, est par conséquent inapplicable.

La mise à l’écart du régime de sanction sectoriel oblige la Cour à rechercher dans un autre instrument le fondement juridique du recouvrement de l’aide. C’est le règlement général n° 2988/95 qui va fournir la base d’une récupération intégrale.

II. Le règlement général de protection financière comme fondement du recouvrement

La Cour se tourne vers le règlement n° 2988/95, qui établit un cadre juridique commun pour lutter contre les atteintes aux intérêts financiers de l’Union. Elle y puise le principe d’un recouvrement obligatoire en distinguant soigneusement la notion de mesure administrative de celle de sanction (A), ce qui la conduit à affirmer l’obligation pour les autorités nationales de récupérer l’intégralité de l’aide (B).

A. La distinction fondamentale entre mesure administrative et sanction

L’apport majeur de la décision réside dans la distinction claire que la Cour opère entre les articles 4 et 5 du règlement n° 2988/95. L’article 5 énumère des « sanctions administratives », telles que des amendes ou l’exclusion du bénéfice d’un avantage, qui ne peuvent être infligées que si elles reposent sur une base légale claire et non ambiguë, que ce soit dans un règlement sectoriel ou en droit national. En l’absence d’une telle base, une sanction ne peut être prononcée. En revanche, l’article 4 prévoit que toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l’avantage indûment obtenu. La Cour qualifie ce retrait de « mesure administrative » et non de sanction. Elle rappelle que « l’obligation de restituer un avantage indûment perçu au moyen d’une pratique irrégulière ne méconnaît pas le principe de légalité ». Cette restitution est la simple conséquence de la constatation que les conditions d’obtention de l’avantage n’étaient pas remplies. Par conséquent, l’obligation de rembourser ne nécessite pas de base légale spécifique autre que le règlement n° 2988/95 lui-même, qui ne fait que consacrer un principe général du droit de l’Union. Le recouvrement n’est donc pas une peine, mais un simple rétablissement de la légalité budgétaire.

B. L’obligation de recouvrement intégral et le sort des produits mélangés

Tirant les conséquences de cette qualification, la Cour affirme que les autorités nationales n’ont aucune marge d’appréciation. Elles « sont tenues d’appliquer une mesure administrative, au sens de l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, du règlement n o 2988/95, consistant à exiger le remboursement de ces aides indûment perçues ». Cette obligation assure une application uniforme du droit de l’Union et une protection efficace de son budget. La Cour va plus loin en se prononçant sur la situation, fréquente en pratique, où des produits éligibles et inéligibles sont mélangés. Elle indique qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier si les moûts d’origine communautaire certaine ont été mélangés à ceux d’origine douteuse. Si tel est le cas, et s’ils ne peuvent plus être identifiés ni séparés, l’irrégularité contamine l’ensemble des contrats de stockage. L’intégralité des aides versées au titre de ces contrats devient alors indue et doit être remboursée. Cette solution fait peser sur l’opérateur économique la charge de la traçabilité de ses produits et le risque de la confusion. En cas de mélange rendant toute distinction impossible, l’ensemble du lot est réputé inéligible, justifiant une récupération totale des fonds publics engagés.

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Hassan KOHEN
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