Cour de justice de l’Union européenne, le 13 février 2014, n°C-152/12

Par l’arrêt commenté, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur l’étendue des obligations des États membres en matière de tarification de l’infrastructure ferroviaire, dans le cadre de la transposition de la directive 2001/14/CE.

En l’espèce, la Commission européenne a introduit un recours en manquement à l’encontre d’un État membre, estimant que sa législation nationale relative au calcul des redevances d’infrastructure ferroviaire n’était pas conforme au droit de l’Union. La Commission reprochait principalement à cet État d’inclure dans l’assiette de la redevance des coûts qui n’étaient pas « directement imputables à l’exploitation du service ferroviaire », et d’utiliser une méthode de calcul jugée inappropriée. La procédure a débuté par des demandes d’informations et une lettre de mise en demeure, suivies d’un avis motivé auquel l’État membre n’a pas entièrement donné suite. Devant la Cour, l’État membre mis en cause, soutenu par un autre État membre intervenant, a contesté les griefs formulés par la Commission, arguant notamment de la marge d’appréciation dont il disposait pour définir sa méthode de tarification.

La question juridique posée à la Cour était donc de savoir si la notion de « coût directement imputable à l’exploitation du service ferroviaire », au sens de l’article 7, paragraphe 3, de la directive, autorisait l’inclusion de charges fixes telles que les rémunérations du personnel et les cotisations sociales. Il s’agissait également de déterminer si la Commission apportait la preuve que la méthode de tarification retenue par l’État membre, fondée sur le poids des trains, méconnaissait les exigences de la directive.

La Cour de justice a répondu à cette question de manière différenciée. D’une part, elle a jugé que l’intégration des coûts liés au personnel dans le calcul des redevances constituait un manquement, car ces derniers ne sont pas directement liés à l’usage de l’infrastructure. D’autre part, elle a rejeté le surplus des demandes de la Commission, considérant que celle-ci n’avait pas suffisamment démontré en quoi la méthode de calcul choisie par l’État membre était contraire à la directive. La Cour consacre ainsi une interprétation stricte de la notion de coût direct tout en réaffirmant le rôle de la charge de la preuve dans le contentieux du manquement.

Cette décision conduit à examiner la clarification apportée par la Cour sur la nature des coûts imputables (I), avant d’analyser la portée de sa décision quant aux limites du contrôle exercé par la Commission (II).

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I. La clarification de la notion de coût directement imputable

La Cour de justice, dans sa décision, opère une distinction essentielle entre les différentes catégories de coûts engagés par le gestionnaire d’infrastructure. Elle exclut fermement les coûts de personnel de l’assiette de la redevance (A), tout en reconnaissant une latitude aux États membres pour d’autres types de frais (B).

A. L’exclusion des charges de personnel du calcul de la redevance

Le cœur du raisonnement de la Cour repose sur une interprétation littérale et finaliste de l’article 7, paragraphe 3, de la directive. En vertu de cette disposition, la redevance doit correspondre au « coût directement imputable à l’exploitation du service ferroviaire ». La Cour considère que les rémunérations du personnel et les cotisations sociales ne répondent pas à ce critère. Elle constate que l’État membre mis en cause « n’a pas contesté l’argument de la Commission selon lequel ces éléments ont été pris en compte dans le calcul des coûts d’exploitation et selon lequel ils ne sont pas déterminés en fonction de l’usure réelle de l’infrastructure imputable au trafic ».

Par conséquent, de telles charges, qui sont par nature fixes et indépendantes du nombre de trains circulant ou de l’usure effective du réseau, ne sauraient être qualifiées de « directement imputables ». La Cour juge donc qu’en incluant ces éléments, « la République de Bulgarie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 7, paragraphe 3, de la directive 2001/14 ». Cette position établit une frontière claire entre les coûts variables, directement générés par la circulation ferroviaire, et les coûts de structure généraux, que le gestionnaire d’infrastructure doit supporter indépendamment de l’intensité du trafic. La solution est logique, car elle vise à ce que les entreprises ferroviaires ne financent, via la redevance de base, que les coûts qu’elles engendrent effectivement.

Cette exclusion rigoureuse des coûts de personnel est cependant tempérée par une approche plus souple concernant d’autres frais d’exploitation.

B. La reconnaissance d’une marge d’appréciation pour les autres coûts d’exploitation

Si la Cour se montre stricte sur le principe pour les charges salariales, elle rappelle que la directive ne fournit pas de définition précise de la notion de « coût directement imputable ». Elle en déduit qu’« en l’état actuel du droit de l’Union, les États membres jouissent d’une certaine marge d’appréciation aux fins de la transposition et de l’application de ladite notion en droit interne ». Cette affirmation est capitale, car elle préserve une part de la souveraineté des États dans la mise en œuvre technique des principes de tarification.

La Cour admet ainsi que certains coûts, bien que présentant un caractère fixe, peuvent être partiellement liés à l’exploitation. Elle énonce que « les coûts liés à la signalisation, à la gestion du trafic, à la maintenance et aux réparations sont susceptibles de varier, au moins partiellement, en fonction du trafic et peuvent par conséquent être considérés comme étant en partie directement imputables à l’exploitation du service ferroviaire ». Cette analyse pragmatique refuse une distinction binaire et rigide entre coûts fixes et variables, reconnaissant qu’une partie des frais de maintenance ou de gestion est bien une conséquence directe de l’usure et de la complexité générées par le trafic. La Cour valide donc une approche nuancée, laissant aux États le soin de déterminer, sous le contrôle du juge, la part de ces coûts qui peut être légitimement imputée.

En définissant ainsi les contours de la notion de coût direct, la Cour pose également les jalons des modalités de contrôle de la bonne application de ces principes par la Commission.

II. Les limites posées au contrôle de la Commission

L’arrêt commenté est également remarquable en ce qu’il rappelle avec force les principes procéduraux qui encadrent le recours en manquement. Il souligne l’importance de la charge de la preuve qui pèse sur la Commission (A) et valide, en creux, le recours par les États membres à des méthodes de calcul pragmatiques tant que leur inadéquation n’est pas démontrée (B).

A. Le rappel de l’exigence d’une preuve à la charge de la Commission

La Cour rejette une partie significative de l’argumentaire de la Commission non pas sur le fond du droit, mais pour une raison procédurale fondamentale : l’insuffisance de la preuve. La Commission avançait que la méthode de calcul de l’État membre, basée sur le poids des trains, était contraire à la directive. Cependant, la Cour constate que l’institution n’a pas réussi à le démontrer de manière concluante. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué. C’est donc elle qui doit apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur des présomptions quelconques ».

En l’espèce, la Cour estime que « la Commission n’a pas démontré en quoi l’unité permettant de quantifier le coût marginal choisie par la République de Bulgarie n’était pas conforme à l’article 7, paragraphe 3, de la directive 2001/14 ». Ce faisant, elle adresse un message clair : le simple fait qu’une méthode de transposition puisse paraître imparfaite ou moins sophistiquée qu’une autre ne suffit pas à caractériser un manquement. La Commission doit apporter la preuve positive que la méthode retenue aboutit à un résultat contraire aux objectifs de la directive. Ce rappel protège les États membres contre des recours fondés sur des analyses théoriques ou des préférences doctrinales de la Commission.

Cette exigence probatoire a pour corollaire une forme de validation des méthodes nationales qui, bien que simplifiées, ne sont pas manifestement erronées.

B. La validation implicite d’une méthode de tarification pragmatique

En rejetant le grief de la Commission sur la méthode de calcul, la Cour légitime indirectement l’approche de l’État membre. Le droit national prévoyait que « les coûts marginaux sont déterminés en tant que dérivée des coûts par rapport au trafic », ce dernier pouvant être évalué en train-kilomètre ou en tonne brute-kilomètre. La Cour relève que la directive ne fixe pas elle-même l’unité de mesure et que celle-ci doit seulement reposer sur « des critères objectifs basés sur l’usure réelle de l’infrastructure imputable au trafic ».

Le choix de la « tonne brute-kilomètre » comme indicateur de l’usure, bien que potentiellement moins précis qu’une analyse différenciée par type de train ou par vitesse, n’est pas jugé en soi contraire à cet objectif. En l’absence de preuve contraire de la part de la Commission, cette méthode économétrique est considérée comme une modalité acceptable de la marge d’appréciation des États. La portée de cette décision est importante : elle autorise les États membres à recourir à des modèles de tarification simplifiés, fondés sur des approches économétriques globales, plutôt que de les contraindre à des études de coûts analytiques complexes et onéreuses pour chaque segment de marché. Cette solution favorise une application pragmatique du droit de l’Union, tout en maintenant l’exigence que la tarification reflète, au moins de manière plausible, les coûts réellement engendrés.

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Hassan KOHEN
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