Par une décision clarifiant le régime du dessin ou modèle communautaire non enregistré, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions de sa protection et les modalités de l’action en contrefaçon. En l’espèce, un litige est vraisemblablement né de l’utilisation par une entreprise d’un dessin ou modèle qu’une autre revendiquait comme sa création originale, bien que non enregistrée. La protection d’un tel dessin ou modèle naît de sa divulgation au public, mais les frontières de cette notion restaient incertaines, notamment lorsque la divulgation est restreinte ou a lieu hors du territoire de l’Union. Saisi d’un renvoi préjudiciel par une juridiction nationale, le juge de l’Union a dû se prononcer sur l’interprétation de plusieurs dispositions du règlement (CE) n° 6/2002. Les questions posées portaient, d’une part, sur les critères permettant de considérer un dessin ou modèle comme raisonnablement connu des milieux spécialisés et, d’autre part, sur le régime procédural de l’action en contrefaçon, en particulier la charge de la preuve, la prescription et les sanctions applicables. En réponse, la Cour a jugé qu’une diffusion auprès de commerçants du secteur pouvait suffire à établir la connaissance raisonnable du dessin ou modèle, tout en admettant que certaines divulgations limitées ne remplissaient pas cette condition. Elle a ensuite affirmé qu’il appartenait au titulaire du droit de prouver la copie, tout en chargeant les juridictions nationales de veiller au respect du principe d’effectivité pour ne pas rendre cette preuve impossible. Enfin, elle a renvoyé aux droits nationaux la détermination de la prescription et des mesures de réparation, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité. La solution de la Cour précise ainsi les conditions d’acquisition de la protection (I) avant de définir le cadre de sa mise en œuvre contentieuse (II).
I. La clarification des conditions de protection du dessin ou modèle non enregistré
La Cour de justice module la notion de divulgation en adoptant une interprétation extensive de la connaissance par les milieux spécialisés (A), tout en posant des limites claires à certaines formes de communication (B).
A. L’appréciation extensive de la divulgation auprès des milieux spécialisés
La protection du dessin ou modèle non enregistré est conditionnée par sa divulgation au public, de telle sorte qu’il « pouvait, dans la pratique normale des affaires, être raisonnablement connu des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union européenne ». La Cour estime que cette condition peut être remplie lorsque des représentations du dessin ou modèle ont été diffusées auprès de commerçants du secteur. Cette approche pragmatique ancre l’analyse dans les réalités commerciales, où les créations circulent souvent dans des réseaux professionnels avant une large commercialisation. En validant une telle diffusion comme un fait générateur de protection, la Cour offre une sécurité juridique aux créateurs qui collaborent avec des distributeurs ou des partenaires. Cette interprétation renforce l’utilité du dessin ou modèle non enregistré comme outil de protection souple et rapide, particulièrement adapté aux secteurs à cycle de vie court comme la mode ou le design. La solution favorise une protection précoce, dès les premières étapes de la vie commerciale d’un produit.
Toutefois, cette conception large de la divulgation n’est pas sans limites, la Cour prenant soin d’exclure les situations où la connaissance du dessin ou modèle demeure trop confidentielle ou géographiquement éloignée.
B. La portée restreinte d’une divulgation limitée ou extra-unioniste
En contrepoint, la Cour précise qu’un dessin ou modèle « ne pouvait, dans la pratique normale des affaires, être raisonnablement connu des milieux spécialisés du secteur concerné opérant au sein de l’Union européenne » lorsqu’il n’a été divulgué qu’à une seule entreprise ou présenté uniquement dans des locaux situés hors de l’Union. Cette position établit un seuil minimal de publicité nécessaire à la constitution du droit. Une divulgation bilatérale, même sans clause de confidentialité, ne suffit pas à faire entrer le dessin ou modèle dans le domaine public pertinent. De même, une exposition en dehors du territoire de l’Union ne garantit pas que les milieux spécialisés opérant dans l’Union en aient eu connaissance. Cette limitation est logique : elle évite que des échanges préparatoires ou des présentations sur des marchés tiers ne créent involontairement une protection opposable sur le marché unique. La Cour opère ainsi un équilibre entre la protection des créateurs et la sécurité juridique des opérateurs économiques, qui ne doivent pas être exposés à des droits dont ils ne pouvaient raisonnablement connaître l’existence.
Une fois les conditions de la protection établies, la Cour se penche sur les modalités de sa défense en justice, précisant la répartition des compétences entre le droit de l’Union et les droits nationaux.
II. Le cadre procédural de l’action en contrefaçon
La Cour définit les règles de preuve applicables à l’action en contrefaçon (A) puis détermine le droit régissant les sanctions et les exceptions de procédure (B).
A. L’aménagement de la charge de la preuve de la copie
La Cour rappelle un principe classique en matière de propriété intellectuelle : « il incombe au titulaire du dessin ou modèle protégé d’établir que l’utilisation contestée résulte d’une copie de ce dessin ou modèle ». Cette règle place le fardeau de la preuve sur le demandeur, qui doit démontrer que le défendeur a délibérément reproduit sa création et ne l’a pas développée de manière indépendante. Cependant, la Cour tempère immédiatement cette exigence en mobilisant le principe d’effectivité. Elle impose aux juridictions nationales d’utiliser tous les moyens procéduraux à leur disposition si la charge de la preuve devient « impossible ou excessivement difficile » à supporter pour le titulaire. Cela inclut le recours aux aménagements probatoires prévus par le droit interne, comme les présomptions de fait. Cette nuance est capitale, car la preuve directe de la copie est souvent difficile à rapporter. La Cour évite ainsi de rendre le droit du titulaire théorique en pratique, assurant que l’action en contrefaçon demeure un instrument efficace.
Cette articulation entre principe et tempérament se retrouve dans l’approche de la Cour concernant les autres aspects de la procédure, qui relèvent pour l’essentiel de la compétence des États membres.
B. La compétence résiduelle des droits nationaux pour les sanctions et les fins de non-recevoir
La Cour opère une distinction claire dans la détermination du droit applicable aux différentes demandes. Elle juge que les questions de prescription et de forclusion sont régies par le droit national, sous la double réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité. De même, les demandes de destruction des produits contrefaisants sont soumises à « la loi, y compris le droit international privé, de l’État membre dans lequel les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon ont été commis ». En revanche, les demandes d’indemnisation et d’information sont régies par le droit national du tribunal saisi. Cette répartition des compétences reflète le principe de l’autonomie procédurale des États membres. En l’absence d’harmonisation complète par le règlement, les droits nationaux conservent leur rôle pour définir les conséquences de la contrefaçon. L’encadrement par les principes d’équivalence et d’effectivité garantit cependant un socle de protection minimal et cohérent à travers l’Union, empêchant qu’une procédure nationale ne vide de sa substance le droit conféré par la législation européenne.