Cour de justice de l’Union européenne, le 13 février 2014, n°C-479/12

La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision préjudicielle dont la date n’est pas spécifiée, est venue préciser le régime de protection des dessins ou modèles communautaires non enregistrés. En l’espèce, une entreprise titulaire d’un dessin ou modèle non enregistré avait engagé une action en contrefaçon à l’encontre d’une société concurrente, lui reprochant la commercialisation de produits similaires. Saisie du litige, la juridiction nationale, vraisemblablement allemande au regard de la langue de procédure, a sursis à statuer afin de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Celles-ci portaient sur les conditions de la divulgation rendant un dessin ou modèle protégeable, sur la charge de la preuve de la copie, ainsi que sur le droit applicable aux délais de prescription et aux mesures réparatrices dans le cadre d’une action en contrefaçon. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer les contours de la protection accordée au dessin ou modèle non enregistré, tant au regard de ses conditions d’existence que des modalités de sa sanction en justice. La Cour de justice a répondu en définissant la notion de divulgation au public, en clarifiant les règles de preuve de la contrefaçon et en opérant un renvoi contrôlé aux droits nationaux pour les aspects procéduraux de l’action. L’analyse de la décision révèle la clarification par la Cour des conditions de la protection conférée par le dessin ou modèle non enregistré (I), avant de détailler le régime probatoire et procédural de l’action en contrefaçon qui en découle (II).

I. La clarification des conditions de protection du dessin ou modèle non enregistré

La protection du dessin ou modèle non enregistré est subordonnée à sa divulgation au public. La Cour en précise la portée en définissant un critère souple de connaissance par les milieux professionnels (A), dont l’appréciation concrète est confiée aux juridictions nationales (B).

A. La définition du critère de connaissance par les milieux spécialisés

La Cour de justice interprète la condition de divulgation au regard de l’article 11, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 6/2002. Elle établit qu’un dessin ou modèle peut être considéré comme ayant été divulgué s’il « pouvait, dans la pratique normale des affaires, être raisonnablement connu des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union européenne ». Cette définition pragmatique ne requiert pas une connaissance effective par l’ensemble des acteurs du marché, mais une simple possibilité raisonnable de connaissance. La Cour illustre son propos en considérant que la diffusion de représentations du dessin auprès de commerçants du secteur peut suffire à établir une telle connaissance potentielle. L’approche est factuelle et s’éloigne d’une exigence de notoriété générale.

Inversement, la Cour examine les situations où la divulgation reste insuffisante. Interprétant l’article 7, paragraphe 1, du même règlement, elle juge que certains actes ne permettent pas de conclure à une connaissance raisonnable par les milieux spécialisés. Tel est le cas lorsque la divulgation, bien qu’effectuée sans clause de secret, n’a touché qu’« une seule entreprise dudit secteur » ou n’a eu lieu que dans « les locaux d’exposition d’une entreprise située en dehors du territoire de l’Union ». Ces situations, par leur caractère restreint ou leur localisation extra-communautaire, ne garantissent pas une accessibilité suffisante pour les professionnels opérant dans l’Union, condition nécessaire à la constitution du droit.

B. La reconnaissance d’un pouvoir d’appréciation souverain du juge national

Dans ses deux premiers motifs, la Cour de justice conclut systématiquement en soulignant qu’il « appartient au tribunal des dessins ou modèles communautaires d’apprécier au regard des circonstances de l’affaire dont il est saisi » si les conditions de la divulgation sont réunies. Ce renvoi constant à l’appréciation du juge du fond démontre la volonté de la Cour de ne pas fixer de règles rigides et abstraites. La solution retenue est celle d’un standard, la « connaissance raisonnable », dont l’application dépend entièrement du contexte factuel de chaque litige. Cette méthode permet d’assurer une application uniforme du droit de l’Union tout en ménageant la nécessaire adaptation aux spécificités de chaque espèce.

Cette flexibilité est essentielle dans un domaine où les pratiques commerciales varient considérablement d’un secteur à l’autre. En confiant cette appréciation au juge national, la Cour reconnaît que celui-ci est le mieux placé pour évaluer les usages et les canaux de communication propres à chaque branche d’activité. La valeur de la décision réside ainsi dans l’équilibre qu’elle instaure entre l’harmonisation des conditions de protection et la souplesse de leur mise en œuvre, garantissant une protection efficace mais non excessive du dessin ou modèle non enregistré.

Une fois la protection du dessin ou modèle établie, sa défense en justice soulève des questions de preuve et de procédure que la Cour aborde ensuite.

II. Le régime de l’action en contrefaçon du dessin ou modèle non enregistré

L’efficacité de la protection dépend des règles gouvernant l’action en justice. La Cour se prononce sur la charge de la preuve de l’acte de copie (A) avant de préciser le droit applicable aux aspects procéduraux et aux sanctions de la contrefaçon (B).

A. La charge de la preuve de la copie et son aménagement

L’article 19, paragraphe 2, du règlement confère une protection contre la copie délibérée. La Cour de justice rappelle logiquement qu’il « incombe au titulaire du dessin ou modèle protégé d’établir que l’utilisation contestée résulte d’une copie de ce dessin ou modèle ». Ce principe place la charge de la preuve sur le demandeur, conformément au droit commun de la preuve. Cependant, la Cour apporte une nuance fondamentale pour garantir l’utilité pratique de l’action. Elle reconnaît que cette preuve peut s’avérer impossible ou excessivement difficile à rapporter, notamment en l’absence d’accès aux processus de création du défendeur.

Pour pallier cette difficulté, la Cour impose au juge national, au nom du principe d’effectivité du droit de l’Union, d’utiliser « tous les moyens procéduraux mis à sa disposition par le droit national ». Elle vise explicitement les « règles de droit interne prévoyant des aménagements ou des allégements de la charge de la preuve ». Cette précision est capitale : elle autorise le juge à recourir à des mécanismes tels que les présomptions de fait, en déduisant par exemple la copie des fortes similitudes entre les dessins ou modèles et de l’accès du défendeur au dessin ou modèle antérieur. La Cour encadre ainsi la liberté du titulaire tout en lui assurant que son droit ne sera pas vidé de sa substance par une exigence probatoire trop stricte.

B. La primauté contrôlée du droit national pour la procédure et les réparations

Pour les questions non harmonisées par le règlement, la Cour opère un renvoi au droit des États membres. Concernant les délais de prescription et de forclusion, elle juge qu’ils sont régis par le droit national, à condition que celui-ci respecte les principes d’équivalence et d’effectivité. Le droit national ne doit donc pas imposer de conditions moins favorables pour les actions fondées sur le droit de l’Union que pour les actions similaires de droit interne, ni rendre en pratique impossible l’exercice des droits conférés par l’Union.

De même, la Cour distingue le droit applicable aux différentes demandes de réparation. Les demandes de destruction des produits contrefaisants relèvent de la « loi, y compris le droit international privé, de l’État membre dans lequel les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon ont été commis », soit la *lex loci delicti*. En revanche, les demandes indemnitaires et celles visant à obtenir des renseignements pour quantifier le préjudice sont régies, conformément à l’article 88, paragraphe 2, par « le droit national, y compris le droit international privé, du tribunal des dessins ou modèles communautaires saisi », c’est-à-dire la *lex fori*. Cette solution assure une cohérence dans la liquidation du préjudice selon les règles du for saisi, tout en localisant les mesures d’exécution matérielle sur le territoire où la contrefaçon a eu lieu.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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