Cour de justice de l’Union européenne, le 13 février 2019, n°C-179/18

L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 13 février 2019 vient éclairer l’application du principe de coopération loyale dans le contexte spécifique des droits à pension d’un fonctionnaire de l’Union. En l’espèce, un ressortissant d’un État membre, après y avoir travaillé comme salarié, est entré au service de la Commission européenne. Durant sa carrière de fonctionnaire européen, il a accompli son service militaire obligatoire dans son pays d’origine. Au moment de sa retraite, l’organisme national compétent lui a refusé la prise en compte de cette période de service militaire pour le calcul de sa pension de travailleur salarié, alors qu’il percevait déjà une pension au titre du régime de l’Union. Le droit national subordonnait en effet cette assimilation à une période de travail à la condition que l’intéressé ait été occupé comme travailleur salarié au moment de son service militaire ou dans les trois années suivantes, condition que le requérant ne remplissait pas en raison de son statut de fonctionnaire de l’Union. Saisi du litige, le tribunal du travail de Gand a adressé une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si le principe de coopération loyale, tel que prévu à l’article 4, paragraphe 3, du Traité sur l’Union européenne, s’oppose à une telle réglementation nationale. La Cour a répondu par l’affirmative, jugeant qu’une telle législation créait une entrave injustifiée à l’exercice d’une carrière au sein des institutions de l’Union.

La solution de la Cour réaffirme avec force l’obligation pour les États membres de ne pas désavantager leurs ressortissants qui choisissent de servir l’Union, consolidant une jurisprudence protectrice (I). Ce faisant, elle précise la portée du principe de coopération loyale, en invalidant des justifications purement nationales qui méconnaîtraient les impératifs de bon fonctionnement des institutions européennes (II).

I. La protection du fonctionnaire de l’Union contre les désavantages de carrière nationaux

La Cour de justice fonde sa décision sur le principe de coopération loyale pour censurer une réglementation qui, bien que relevant de la compétence nationale, produit des effets préjudiciables pour les fonctionnaires européens. Elle met ainsi en évidence le rôle de ce principe comme rempart contre les entraves à la carrière au sein de l’Union (A), en caractérisant précisément le désavantage prohibé résultant de la législation nationale (B).

A. L’invocabilité du principe de coopération loyale en l’absence de coordination des régimes de pension

La Cour rappelle d’emblée que si les États membres sont compétents pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale, ils doivent néanmoins exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union. En l’absence de mécanisme d’harmonisation applicable, le litige se résout par l’application d’un principe fondamental du droit de l’Union. Le statut des fonctionnaires de l’Union, bien qu’ayant des effets dans l’ordre interne de l’administration européenne, « oblige également les États membres dans toute la mesure où leur concours est nécessaire à sa mise en œuvre ». Le principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, du TUE, impose ainsi aux États membres de faciliter la mission de l’Union et de s’abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation de ses objectifs. En l’espèce, la Cour considère que le bon fonctionnement des institutions, et notamment leur capacité à recruter du personnel qualifié, constitue une de ces missions que les États ne sauraient entraver.

B. La caractérisation d’une entrave au recrutement et à la carrière au sein de l’Union

Le cœur du raisonnement de la Cour réside dans l’identification d’un effet dissuasif. La réglementation nationale en cause est jugée problématique car elle « est de nature à rendre plus difficile le recrutement de fonctionnaires dans les institutions de l’Union ». En effet, un travailleur salarié national pourrait être découragé d’accepter un poste au sein de l’Union s’il sait que ce choix de carrière le privera de l’assimilation de son service militaire à une période de travail pour sa pension nationale. La Cour souligne que ce bénéfice lui aurait été accordé s’il était resté travailleur salarié dans son pays ou s’il avait exercé une activité dans un autre État membre. Le statut de fonctionnaire de l’Union est donc la cause directe de la perte d’un droit social. Ce désavantage, qui peut se traduire par une diminution du montant de la pension ou même par l’absence de droit à pension, constitue une conséquence que « ne sauraient être admises au regard du devoir de coopération et d’assistance loyales qui incombe aux États membres à l’égard de l’Union ».

II. La consolidation d’une jurisprudence extensive et ses implications pour les États membres

En appliquant le principe de coopération loyale à la situation spécifique du service militaire, la Cour ne fait pas œuvre d’innovation radicale mais étend la logique de ses décisions antérieures (A). Elle en profite pour écarter fermement les arguments des États membres fondés sur des logiques purement internes ou sur les options offertes par le droit de l’Union lui-même (B), renforçant ainsi la primauté des objectifs de l’Union.

A. Une solution dans la lignée des arrêts antérieurs

La Cour de justice inscrit explicitement sa décision dans le sillage des arrêts *My* du 16 décembre 2004 et *Wojciechowski* du 10 septembre 2015. Dans ces affaires, elle avait déjà jugé que le principe de coopération loyale s’opposait à des réglementations nationales qui, respectivement, empêchaient la prise en compte des années de service au sein de l’Union pour l’ouverture d’un droit à pension anticipée ou réduisaient une pension nationale en raison d’une carrière exercée au sein d’une institution européenne. L’arrêt commenté constitue une application cohérente de cette jurisprudence à une nouvelle hypothèse. Le point commun est la sanction de toute réglementation nationale qui pénalise un individu pour avoir exercé une activité au service de l’Union. En protégeant le fonctionnaire contre la perte de droits à pension liés à une période d’inactivité imposée, comme le service militaire, la Cour assure la neutralité du choix d’une carrière européenne.

B. L’indifférence des justifications nationales et des options offertes par le statut de l’Union

La Cour écarte deux arguments avancés par le gouvernement belge. Le premier, tiré de l’absence de versement de cotisations au régime national pendant le service militaire, est jugé inopérant, car les travailleurs bénéficiant de l’assimilation dans le cadre national n’en versaient pas non plus. Le second argument, plus subtil, portait sur la possibilité pour le fonctionnaire, selon l’article 42 du statut, de procéder à un versement rétroactif au régime de pension de l’Union pour valoriser cette période. La Cour le rejette sans équivoque, en précisant que cette disposition « prévoit une simple faculté, que chaque fonctionnaire concerné est libre d’exercer ou non ». Elle en déduit qu’il « ne saurait résulter du non-exercice de celle-ci une perte de droits au titre du régime de pension national, sauf à faire perdre à cette contribution son caractère volontaire et facultatif ». Cette interprétation est capitale : elle empêche les États membres de se défausser de leurs obligations en invoquant les mécanismes internes, et de surcroît facultatifs, du régime de pension de l’Union. La protection offerte par le principe de coopération loyale est donc inconditionnelle et ne saurait être subordonnée à l’exercice d’une option par le fonctionnaire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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