Par une décision non datée, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours des obligations d’information pesant sur le prêteur dans le cadre d’un contrat de crédit à la consommation. En l’espèce, un litige opposait un consommateur à un établissement de crédit au sujet d’un contrat dont certaines clauses ont été jugées abusives postérieurement à sa conclusion. Cette requalification a eu pour effet de rendre le taux annuel effectif global initialement stipulé inexact, et a mis en lumière le caractère imprécis des conditions de variation de certains frais. La juridiction nationale saisie du litige a alors interrogé la Cour, par la voie d’un renvoi préjudiciel, sur l’interprétation de la directive 2008/48/CE. Le problème de droit soumis à la Cour portait sur trois questions distinctes. Il s’agissait de déterminer, premièrement, si un taux annuel effectif global, devenu incorrect suite à la reconnaissance du caractère abusif d’autres clauses, constituait un manquement à l’obligation d’information. Deuxièmement, la Cour devait dire si des clauses prévoyant une augmentation de frais selon des modalités que le consommateur ne peut vérifier constituaient une telle violation. Enfin, il était demandé si une sanction nationale unique et sévère, telle que la déchéance du droit aux intérêts et aux frais, était compatible avec le droit de l’Union pour sanctionner ces manquements. La Cour de justice répond que le caractère ultérieurement erroné du taux n’est pas en soi un manquement, mais que le manque de clarté des conditions d’augmentation des frais en est un, dès lors qu’il affecte la capacité du consommateur à mesurer son engagement. Elle admet par ailleurs la compatibilité d’une sanction nationale sévère et uniforme, à condition que le manquement sanctionné soit d’une nature à vicier l’appréciation par le consommateur de la portée de ses obligations. Il convient donc d’analyser la délimitation du manquement à l’obligation d’information (I), avant d’examiner le régime de la sanction applicable (II).
I. La délimitation du manquement à l’obligation d’information
La Cour opère une distinction nette entre l’information relative au taux annuel effectif global, dont l’appréciation est fixée au moment de la conclusion du contrat (A), et celle concernant la variation des frais, qui exige une parfaite prévisibilité pour le consommateur (B).
A. L’appréciation de l’exactitude du taux annuel effectif global au moment de la conclusion du contrat
La Cour de justice de l’Union européenne adopte une approche temporelle rigoureuse pour évaluer le respect de l’obligation d’information relative au taux annuel effectif global. Elle juge que « le fait qu’un contrat de crédit mentionne un taux annuel effectif global qui s’avère surestimé en raison du fait que certaines clauses de ce contrat sont ultérieurement reconnues comme étant abusives […] ne constitue pas, en soi, une violation de l’obligation d’information ». Cette solution établit une distinction fondamentale entre le régime de l’information précontractuelle de la directive 2008/48 et celui des clauses abusives de la directive 93/13. L’exactitude du taux doit s’apprécier au regard des informations et des clauses connues et acceptées au jour de la signature du contrat. Le fait qu’une intervention judiciaire ultérieure neutralise une clause et, par ricochet, modifie le calcul du coût total du crédit, relève de la sanction du caractère abusif de ladite clause, et non d’un vice originel de l’information. Cette analyse préserve la sécurité juridique pour le prêteur, qui ne peut être tenu pour responsable d’une information devenue inexacte en raison d’un événement postérieur et aléatoire qu’est une décision de justice. La protection du consommateur est assurée par l’éradication de la clause abusive et ses conséquences financières, sans qu’il soit nécessaire de créer une infraction rétroactive à l’obligation d’information.
B. La sanction du défaut de prévisibilité des frais contractuels
À l’inverse de sa position sur le taux annuel effectif global, la Cour se montre plus stricte quant à l’information sur la variabilité des frais. Elle considère qu’une violation de l’obligation d’information est constituée lorsque « le contrat de crédit énumère un certain nombre de circonstances justifiant une augmentation des frais liés à l’exécution du contrat, sans toutefois qu’un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé soit en mesure de vérifier leur survenance et leur incidence sur ces frais ». En agissant ainsi, la Cour réaffirme que la finalité de la directive est de garantir la transparence et de permettre au consommateur d’évaluer la portée réelle et potentielle de son engagement financier. Une clause qui ne permet pas de comprendre le mécanisme de variation des coûts est par nature trompeuse. La référence au standard du « consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé » ancre l’appréciation dans un cadre objectif, tout en étant concrète. Le prêteur ne peut se contenter d’énumérer des hypothèses vagues ; il doit fournir les instruments de calcul ou les critères précis qui rendront la variation des frais vérifiable et prévisible pour le débiteur. Cette exigence renforce considérablement la protection du consommateur contre les augmentations arbitraires de charges, en imposant une clarté ex ante sur tous les éléments du coût du crédit.
II. Le régime de la sanction du manquement à l’obligation d’information
Après avoir défini les conditions du manquement, la Cour se prononce sur la nature de la sanction que les droits nationaux peuvent prévoir, en validant le principe d’une sanction uniforme et dissuasive (A), tout en la conditionnant à l’impact réel du manquement sur le consentement du consommateur (B).
A. La validation d’une sanction nationale uniforme et dissuasive
La Cour de justice interprète l’article 23 de la directive 2008/48 comme n’interdisant pas une approche sévère en matière de sanctions. Elle juge que la directive « ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit, en cas de violation de l’obligation d’information […] une sanction uniforme, consistant à déchoir le prêteur de son droit aux intérêts et aux frais ». Cette position reconnaît une marge d’appréciation significative aux États membres dans la mise en œuvre du caractère effectif, proportionné et dissuasif des sanctions requises par le texte. En validant une sanction aussi radicale que la perte totale des intérêts et frais, la Cour admet que la dissuasion peut justifier une automaticité et une rigueur qui ne tiennent pas compte de la gravité spécifique de chaque manquement. L’objectif est de décourager les prêteurs de toute négligence ou manœuvre dans la fourniture des informations essentielles. Une telle sanction a une portée préventive forte, en rendant le coût de la non-conformité potentiellement bien supérieur au bénéfice qui pourrait en être tiré. La Cour légitime ainsi des choix de politique juridique nationale qui privilégient une protection maximale du consommateur par une exemplarité de la peine.
B. La condition tenant à l’aptitude du manquement à vicier l’appréciation du consommateur
Toutefois, la Cour assortit immédiatement cette validation d’une condition substantielle qui vient tempérer la rigueur de la sanction. La déchéance du droit aux intérêts et aux frais n’est compatible avec le droit de l’Union que « pour autant que cette violation soit susceptible de mettre en cause la possibilité pour le consommateur d’apprécier la portée de son engagement ». Ce faisant, elle introduit un critère de matérialité de l’infraction. Un simple manquement formel, une erreur administrative ou une omission sans incidence réelle sur la compréhension et la décision du consommateur ne sauraient justifier une sanction aussi lourde. Le juge national est ainsi tenu de procéder à une analyse in concreto de l’impact du défaut d’information. Il doit évaluer si, en l’absence de cette violation, le consommateur aurait pu prendre une décision plus éclairée concernant l’opportunité ou les conditions de son crédit. Cette condition réintroduit une forme de proportionnalité dans l’application de la sanction, en la réservant aux manquements qui portent une atteinte significative à la finalité même de la directive : la protection d’un consentement éclairé. Elle établit un équilibre entre la nécessité d’une sanction dissuasive et le rejet d’un formalisme excessif qui punirait le prêteur de manière disproportionnée pour des erreurs triviales.