La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 13 février 2025, un arrêt relatif à l’interprétation du régime de paiement unique. Ce litige portait sur les conditions d’attribution définitive des droits au paiement après une réduction des surfaces agricoles exploitées par un agriculteur. Deux associés d’une société agricole ont conclu, au cours de l’année 2002, un accord prévoyant des cessions de parts et de surfaces. Cette réorganisation a réduit la superficie cultivée par la structure initiale au profit d’une nouvelle exploitation gérée par l’un des anciens membres. L’organisme national a alors attribué définitivement une fraction des droits à la première entité et le solde à la seconde entreprise.
La société a introduit un recours devant le tribunal de Rome le 5 juin 2006 pour contester la légalité de cette répartition. Le tribunal de Rome a rejeté cette demande le 27 juin 2011 et la cour d’appel de Rome a confirmé cette décision. Les juges d’appel ont considéré, le 21 avril 2017, que la notion de scission devait s’entendre de manière large et non technique. Le litige a été porté devant la Cour de cassation italienne qui a sollicité une interprétation préjudicielle du droit de l’Union.
La requérante soutient que la scission exige une division patrimoniale statutaire conforme au droit des sociétés pour justifier une réduction des droits. À l’inverse, la partie adverse estime que le simple transfert des terres agricoles suffit à caractériser une scission au sens du règlement. Le problème juridique consiste à déterminer si la scission agricole constitue une notion autonome ou si elle dépend des définitions classiques du droit commercial.
La Cour décide que cette notion couvre toute opération juridique connexe aboutissant à l’attribution du patrimoine initial à deux nouveaux agriculteurs distincts. Cette interprétation fonctionnelle de la scission permet de préserver la cohérence du système de soutien découplé tout en respectant la réalité des exploitations.
I. L’interprétation autonome de la notion de scission agricole
A. Le rejet d’un formalisme issu du droit des sociétés
Le juge européen rappelle que les dispositions ne comportant aucun renvoi exprès au droit national doivent trouver une interprétation autonome et uniforme. Cette autonomie juridique interdit de restreindre la portée des textes agricoles par des définitions techniques issues de directives relatives aux scissions transfrontalières. En effet, le libellé du règlement « ne comporte aucune référence à des instruments du droit de l’Union portant sur le droit des sociétés ». L’absence de renvoi explicite aux droits des États membres impose donc de rechercher un sens commun à l’échelle de l’Union.
La Cour écarte l’application des critères rigides du droit commercial qui imposeraient une modification statutaire spécifique pour ouvrir le droit aux aides. La qualification de scission ne dépend pas de la forme juridique de l’opération mais de la nouvelle configuration de la gestion agricole. Cette indépendance conceptuelle garantit que les particularités des droits nationaux ne créent pas de distorsions de concurrence entre les producteurs européens.
B. Une qualification juridique fondée sur l’effectivité de la division patrimoniale
La Cour privilégie une approche fonctionnelle en précisant que l’article 15 du règlement définit la notion par rapport aux effets de l’opération. L’arrêt souligne que la notion « couvre une situation résultant d’opérations juridiques connexes et, notamment, d’un transfert […] de surfaces agricoles cultivées ». Le critère déterminant réside dans le contrôle de la gestion, des bénéfices et des risques financiers par les nouveaux exploitants. Dès lors, une cession de terres accompagnée d’un transfert de parts sociales remplit les conditions matérielles de la division.
L’identification des unités de production transférées constitue le socle du calcul pour l’attribution des droits au paiement au prorata des surfaces exploitées. Cette lecture large permet d’inclure des restructurations contractuelles qui ne répondent pas nécessairement aux canons de la scission de sociétés commerciale. La protection de la continuité de l’activité agricole prime sur le respect de procédures formelles étrangères aux objectifs de la politique commune.
II. La finalité matérielle du régime de paiement unique
A. La consécration du lien structurel entre les droits et les surfaces
Le régime de soutien découplé repose sur l’existence d’un lien permanent entre les droits au paiement et les superficies agricoles admissibles. La juridiction affirme qu’un agriculteur doit disposer d’une « autonomie suffisante aux fins de l’exercice de son activité agricole » sur les surfaces déclarées. En conséquence, les droits accordés doivent correspondre au nombre d’hectares que l’agriculteur gère effectivement au sein de son exploitation. La scission entraîne logiquement une répartition des droits proportionnelle à la division réelle de la base territoriale de l’activité.
Cette corrélation évite que des droits ne soient conservés par une entité qui n’exerce plus d’activité productive sur les terrains correspondants. Le règlement reconnaît ainsi un « lien entre les droits et un certain nombre d’hectares » pour prévenir toute déconnexion avec la réalité. La décision confirme que l’aide au revenu suit la terre dès lors que la gestion de l’exploitation est transférée à un nouvel agriculteur.
B. L’impératif de corrélation entre les aides et la gestion effective
L’interprétation large prévient les transferts spéculatifs en réservant l’aide à celui qui assure la réalité agricole de la gestion des terres. Refuser cette qualification priverait d’accès au régime l’agriculteur gérant effectivement les parcelles et verserait des fonds sans lien avec l’exploitation. Le législateur souhaite en effet « éviter une mauvaise affectation des ressources communautaires » en ne favorisant pas les montages purement artificiels. La solution retenue assure que le soutien financier profite directement au producteur qui assume les risques économiques de la culture.
La primauté de la réalité agricole sur le formalisme juridique garantit finalement l’efficacité du système de paiement unique instauré par le règlement. L’arrêt sécurise les transferts de droits lors des successions ou des restructurations familiales fréquentes dans le secteur de l’agriculture. Cette approche pragmatique protège l’objectif de maintien d’un niveau de vie équitable pour la population agricole active sur le territoire.