Cour de justice de l’Union européenne, le 13 janvier 2005, n°C-356/03

Par un arrêt du 13 janvier 2005, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’acquisition des droits à pension dans un régime professionnel complémentaire durant un congé de maternité. En l’espèce, une travailleuse employée dans la fonction publique allemande était affiliée à un régime de retraite complémentaire. Elle a bénéficié de deux congés de maternité successifs au cours desquels elle a perçu, d’une part, une allocation de l’État et, d’autre part, un supplément versé par son employeur. En application du droit national, ce supplément était exonéré d’impôt. Les statuts de l’organisme de retraite prévoyaient que l’acquisition des droits à pension était subordonnée à la perception d’un revenu imposable. En conséquence, l’organisme refusa de prendre en compte les périodes de congé de maternité pour le calcul de la rente d’assurance de l’intéressée, au motif qu’elle n’avait perçu aucun revenu imposable durant ces périodes. Saisie en première instance puis en appel, la demande de la travailleuse fut rejetée. Un pourvoi fut alors formé devant le Bundesgerichtshof, lequel décida de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si le droit communautaire, notamment les directives relatives à l’égalité de traitement et l’article 119 du traité CE, s’opposait à une réglementation nationale qui empêche une travailleuse d’acquérir des droits à pension complémentaire durant son congé de maternité au seul motif que les prestations versées par l’employeur ne sont pas imposables. La Cour de justice répond par l’affirmative, considérant qu’une telle situation est contraire au principe d’égalité de traitement. Elle juge que l’article 6, paragraphe 1, sous g), de la directive 86/378/CEE, telle que modifiée, « doit être interprété en ce sens qu’il fait obstacle à des règles nationales en vertu desquelles une travailleuse n’acquiert pas de droits à une rente d’assurance faisant partie d’un régime complémentaire de retraite au cours du congé légal de maternité rémunéré en partie par l’employeur, en raison du fait que l’acquisition de ces droits est soumise à la condition que la travailleuse perçoive un revenu imposable durant le congé de maternité ». La solution consacre une protection renforcée des droits sociaux des travailleuses (I), bien que sa portée soit délimitée par une application stricte des instruments juridiques pertinents (II).

I. La consécration d’une protection effective des droits à pension durant le congé de maternité

La Cour de justice fonde sa décision sur une interprétation extensive de la directive relative à l’égalité de traitement dans les régimes professionnels de sécurité sociale, tant sur le champ d’application de celle-ci (A) que sur la notion de rémunération par l’employeur (B).

A. L’assujettissement du régime de retraite complémentaire au principe d’égalité de traitement

La Cour écarte d’emblée l’argument de l’organisme de retraite qui soutenait que la rente d’assurance ne relevait pas du champ d’application de la directive 86/378. Cet organisme prétendait que la rente visait seulement à fournir une contrepartie actuarielle aux cotisations versées, et non à assurer une sécurité en cas de vieillesse ou d’incapacité. La Cour rejette cette vision restrictive. Elle constate au contraire qu’il « ressort de l’ensemble des éléments exposés dans l’ordonnance de renvoi au sujet de ladite rente d’assurance, que celle-ci fait partie d’un régime de pension complémentaire de retraite et qu’elle tend à assurer un paiement aux travailleurs concernés en cas de réalisation du risque de vieillesse ou d’incapacité de travail ». En qualifiant ainsi la prestation de complément de retraite relevant du champ matériel de la directive, la Cour confirme une approche fonctionnelle. Peu importe la finalité actuarielle mise en avant par l’organisme, dès lors que la prestation s’inscrit dans un dispositif de couverture des risques liés à la vieillesse. Cette analyse garantit que des régimes professionnels ne puissent se soustraire à leurs obligations en matière d’égalité de traitement par des qualifications juridiques internes restrictives. De plus, la Cour confirme l’applicabilité temporelle de la directive, les congés de maternité étant postérieurs au 17 mai 1990, date fixée pour la couverture des prestations.

B. L’interprétation large de la condition de rémunération par l’employeur

Le cœur du raisonnement de la Cour réside dans l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, sous g), de la directive. Cette disposition interdit toute interruption de l’acquisition des droits à pension pendant un congé de maternité « légalement ou conventionnellement prescrits et rémunérés par l’employeur ». Or, en l’espèce, la travailleuse ne recevait de son employeur qu’un supplément partiel à l’allocation de maternité versée par l’État. La Cour considère que cette rémunération, même partielle, est suffisante pour activer la protection offerte par la directive. Elle énonce de manière claire que les « congés de maternité de [la requérante] ont donc été rémunérés pour partie par son employeur. Une telle circonstance suffit à établir que les congés ont été rémunérés par l’employeur, conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous g), de ladite directive ». Cette interprétation extensive est décisive. Elle empêche que la protection du droit communautaire soit vidée de sa substance par des montages nationaux où la rémunération durant le congé de maternité est éclatée entre l’État et l’employeur. En jugeant qu’une participation de l’employeur, quelle que soit sa proportion, suffit, la Cour assure l’effectivité du principe de non-discrimination.

La solution, en assurant une protection concrète des droits des travailleuses, affirme la primauté du principe d’égalité sur les règles techniques nationales. Sa portée est néanmoins précisée par le choix de son fondement juridique.

II. La portée d’une solution fondée sur un instrument spécifique

La Cour de justice confère une valeur certaine à sa décision en la fondant sur l’interdiction de discriminations indirectes (A), mais en circonscrit la portée en écartant délibérément d’autres fondements juridiques potentiels (B).

A. La neutralisation de la discrimination indirecte fondée sur le régime fiscal

En faisant obstacle à la réglementation nationale, la Cour sanctionne une forme de discrimination indirecte. Si la condition de perception d’un revenu imposable pour acquérir des droits à pension est neutre en apparence, elle affecte en pratique presque exclusivement les femmes. Seules ces dernières prennent un congé de maternité durant lequel elles perçoivent des revenus spécifiques susceptibles de bénéficier d’un régime fiscal dérogatoire. En subordonnant l’acquisition d’un droit social à la nature imposable du revenu, la législation nationale créait une rupture d’égalité de traitement directement liée à la situation de maternité. La Cour réaffirme ainsi que le principe d’égalité de traitement ne se limite pas aux discriminations directes, mais s’étend aux dispositions qui, bien que formulées de manière neutre, entraînent en fait un désavantage particulier pour les personnes d’un sexe. En décidant qu’il « fait obstacle à des règles nationales en vertu desquelles une travailleuse n’acquiert pas de droits à une rente d’assurance », la Cour garantit que les choix de politique fiscale d’un État membre ne puissent anéantir un droit fondamental garanti par le droit de l’Union. La protection des travailleurs ne saurait dépendre des qualifications et des exonérations prévues par le droit fiscal national.

B. Le choix délibéré d’un fondement unique et ses implications

La Cour de justice, après avoir trouvé une réponse dans la directive 86/378, juge qu’il n’est « pas nécessaire d’examiner la directive 92/85 » ni « d’interpréter l’article 119 du traité CE ». Cette démarche, conforme au principe d’économie de moyens, n’est pas sans conséquence. En ce qui concerne la directive 92/85, qui garantit le maintien des droits liés au contrat de travail durant le congé de maternité, la Cour l’écarte pour des raisons temporelles, le délai de transposition n’étant pas expiré à l’époque des faits. Cette exclusion laisse entière la question de son application pour des faits postérieurs. Quant à l’article 119 du traité, relatif à l’égalité des rémunérations, son éviction montre la préférence de la Cour pour un fondement spécifique et technique lorsqu’il est disponible. Si cette approche renforce la cohérence de l’édifice normatif communautaire, elle limite la portée de l’arrêt à l’interprétation d’une directive sectorielle. La solution ne constitue donc pas une prise de position générale sur l’acquisition des droits à pension au regard du principe fondamental d’égalité des rémunérations, mais une application rigoureuse et ciblée d’un texte spécial. L’arrêt illustre ainsi une méthode de raisonnement prudente, privilégiant la base légale la plus directe pour résoudre le litige.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture