Par un arrêt en date du 6 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les conséquences juridiques résultant de l’absence de transposition d’une directive par un État membre dans le délai prescrit. En l’espèce, la Commission européenne a engagé une procédure contre un État membre au motif que celui-ci n’avait pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à une directive déléguée de 2016. Cette directive visait à renforcer la protection des investisseurs en établissant des règles précises sur la sauvegarde des instruments financiers et des fonds des clients. Malgré un avis motivé lui enjoignant de régulariser sa situation, l’État membre n’a pas pris les mesures requises, conduisant la Commission à introduire un recours en manquement devant la Cour de justice. Il s’agissait alors pour la Cour de déterminer si le seul non-respect du délai de transposition fixé par une directive suffisait à constituer un manquement d’un État membre à ses obligations issues du droit de l’Union. La Cour de justice répond à cette question par l’affirmative, en jugeant que « la République de Slovénie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 14 de la directive déléguée 2017/593 ». La solution consacre ainsi une application rigoureuse des obligations pesant sur les États membres.
L’analyse de cette décision révèle la constatation d’un manquement objectif à l’obligation de transposition (I), une solution qui réaffirme la primauté et l’effectivité du droit de l’Union (II).
I. La constatation d’un manquement objectif à l’obligation de transposition
La Cour de justice fonde sa décision sur le caractère inconditionnel de l’obligation de transposition qui incombe aux États membres (A), ce qui rend la simple inobservation du délai suffisant pour caractériser le manquement (B).
A. Le caractère inconditionnel de l’obligation de transposition
L’arrêt commenté rappelle une règle fondamentale de l’ordre juridique de l’Union, selon laquelle les États membres sont tenus de transposer les directives en droit interne. Cette obligation découle directement de l’article 288 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui dispose que la directive « lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ». Le résultat à atteindre inclut nécessairement le respect du délai fixé par l’acte lui-même, car ce délai est un élément essentiel pour garantir l’application simultanée et uniforme du droit de l’Union sur tout son territoire.
Dans cette affaire, la directive déléguée précisait explicitement la date butoir pour son intégration dans les ordres juridiques nationaux. L’obligation de l’État membre n’était donc soumise à aucune condition. Le raisonnement de la Cour est constant sur ce point : l’effectivité du droit de l’Union serait compromise si les États pouvaient différer l’application des directives selon leur propre calendrier. La Cour ne fait ici que confirmer une jurisprudence bien établie qui considère la transposition comme une obligation de résultat dont l’échéance constitue un aspect non négociable.
B. La caractérisation du manquement par la seule inobservation du délai
La Cour de justice opère un contrôle objectif du respect des obligations par l’État membre. Le manquement est constitué par le seul fait matériel de ne pas avoir adopté les mesures de transposition à l’expiration du délai imparti. La Cour se borne à constater que les dispositions nationales n’ont pas été communiquées à la Commission, ce qui suffit à établir la défaillance de l’État. Cette approche formaliste exclut toute prise en compte des éventuelles justifications que l’État membre pourrait avancer pour expliquer son retard.
En effet, selon une jurisprudence constante, un État membre ne peut invoquer des dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne, telles que des difficultés politiques, administratives ou budgétaires, pour justifier l’inexécution d’une obligation issue du droit de l’Union. En se limitant à un constat factuel, la Cour adopte une position de rigueur qui garantit la prévisibilité et la sécurité juridique. Le manquement est ainsi établi indépendamment de toute intention ou négligence de la part de l’État concerné, car la procédure vise à assurer le respect objectif du droit de l’Union.
II. Une solution réaffirmant la primauté et l’effectivité du droit de l’Union
Cette décision, bien que classique dans sa motivation, revêt une portée significative en ce qu’elle réitère le rôle de la Cour comme gardienne de l’ordre juridique de l’Union (A) et sert l’objectif d’uniformité nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur (B).
A. Le recours en manquement, garantie de la primauté du droit de l’Union
L’arrêt illustre parfaitement le mécanisme du recours en manquement prévu à l’article 258 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cette procédure confère à la Commission, en sa qualité de « gardienne des traités », le pouvoir de faire constater par la Cour la violation du droit de l’Union par un État membre. La décision rendue, bien que déclaratoire, est un rappel solennel à l’ordre et constitue la première étape d’une procédure qui peut, en cas de persistance du manquement, aboutir à des sanctions pécuniaires.
En condamnant l’État défaillant, la Cour ne fait pas seulement que trancher un litige. Elle envoie un signal clair à l’ensemble des États membres sur l’importance du respect scrupuleux de leurs engagements. La valeur de cette décision réside dans sa fonction pédagogique et préventive. Elle réaffirme que l’appartenance à l’Union implique une soumission à un ordre juridique commun dont la Cour assure la suprématie, condition essentielle de l’intégration européenne.
B. Une sanction au service de l’uniformité du marché intérieur
La portée de cet arrêt doit également être appréciée au regard de l’objet de la directive non transposée. Celle-ci portait sur la sauvegarde des instruments financiers et la gouvernance des produits, des domaines techniques mais cruciaux pour la protection des investisseurs et la stabilité des marchés. L’absence de transposition par un seul État membre crée une asymétrie réglementaire qui fragilise le marché intérieur. Les opérateurs économiques et les épargnants de cet État ne bénéficient pas du même niveau de protection que ceux des autres États membres.
En sanctionnant ce retard, la Cour garantit l’application homogène des règles et contribue à maintenir des conditions de concurrence équitables au sein de l’Union. Cette décision, bien qu’elle puisse paraître une simple décision d’espèce, s’inscrit dans une logique plus large de consolidation du marché intérieur. Elle rappelle que la réalisation des objectifs économiques de l’Union dépend étroitement de la discipline collective des États membres dans la mise en œuvre du droit dérivé.