La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 13 janvier 2022 un arrêt fondamental relatif aux conditions de recevabilité du recours en annulation. Un règlement de la Commission modifiant les limites d’émissions polluantes pour les véhicules légers fut contesté par plusieurs collectivités territoriales européennes. Ces autorités locales estimaient que les nouveaux seuils fixés entravaient l’exercice de leurs compétences propres en matière de protection de l’environnement. Saisi en première instance, le Tribunal de l’Union européenne accueillit favorablement ces recours en reconnaissant l’affectation directe des autorités requérantes. La Commission et deux États membres formèrent alors un pourvoi devant la Cour de justice pour contester cette appréciation juridique. Les requérants au pourvoi soutenaient que les restrictions locales de circulation ne découlaient pas directement du règlement litigieux mais d’autres normes. Le litige repose sur la question de savoir si un règlement technique de réception des véhicules affecte directement la situation juridique d’autorités locales. La Cour annule la décision du Tribunal en considérant que les collectivités ne justifient pas d’un intérêt direct pour agir. Elle fonde son raisonnement sur une interprétation restrictive des obligations pesant sur les autorités nationales au titre du cadre européen. Cette solution repose sur une distinction nette entre les normes techniques de commercialisation et les mesures de police de la circulation.
**I. L’exclusion de l’affectation directe par une lecture stricte de la directive-cadre**
La Cour de justice commence par censurer l’interprétation extensive que le Tribunal avait retenue concernant les effets juridiques du règlement contesté sur les collectivités. Elle considère que le juge de première instance a commis une erreur de droit en liant indûment les compétences locales à la norme technique.
**A. L’interprétation restrictive de la notion de circulation routière**
Le cœur du raisonnement juridique repose sur l’analyse de l’article 4 de la directive 2007/46 qui organise la réception des véhicules à moteur. Cette disposition interdit aux États membres d’entraver la « circulation sur route » des véhicules conformes aux exigences techniques harmonisées au niveau européen. La Cour précise que cette expression doit être lue à la lumière de l’objectif de mise sur le marché et non de l’usage. Selon les juges, la disposition vise à empêcher des obstacles généraux à l’accès au marché pour les constructeurs et non à régir le trafic. Elle affirme que « l’ajout d’une référence à la circulation sur route a eu pour but non pas d’élargir le champ d’application de la législation ». Cette précision sémantique écarte l’idée qu’un règlement sur les émissions puisse dicter souverainement les conditions de circulation à l’échelle locale.
L’analyse textuelle menée par la juridiction supérieure s’oppose ainsi frontalement à la vision protectrice des prérogatives locales initialement retenue par le Tribunal.
**B. L’absence d’entrave aux compétences normatives locales**
La Cour estime que le règlement litigieux n’empêche nullement les autorités locales d’exercer leurs pouvoirs de police administrative pour protéger la qualité de l’air. Les collectivités conservent la faculté de restreindre la circulation de certains véhicules sur leur territoire respectif pour des motifs environnementaux précis. L’arrêt souligne que les interdictions locales ne se heurtent pas à la directive dès lors qu’elles ne remettent pas en cause l’immatriculation. La Cour juge que le règlement « n’empêche pas les villes défenderesses aux pourvois de faire usage des compétences dont elles disposent de réglementer la circulation ». Il n’existe donc aucun lien automatique entre la fixation d’un seuil de pollution et l’impossibilité de limiter l’accès à certains centres urbains. La situation juridique des autorités locales n’est pas modifiée directement par l’acte de la Commission car leurs compétences demeurent juridiquement intactes.
Cette absence d’effet direct sur les pouvoirs locaux conduit naturellement la Cour à rappeler les finalités économiques du droit de l’Union en la matière.
**II. Le rappel des finalités du cadre européen de réception des véhicules**
La décision s’attache à rétablir la hiérarchie des objectifs poursuivis par la législation européenne sur la réception technique des véhicules terrestres. Elle rappelle que l’harmonisation des normes vise principalement l’intégration économique et la fluidité des échanges au sein du marché intérieur.
**A. La primauté de l’accès au marché intérieur**
La Cour insère le règlement contesté dans un ensemble législatif cohérent dont la finalité première demeure l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Elle rappelle que le cadre harmonisé garantit que les véhicules neufs puissent être vendus et mis en service sans entraves administratives injustifiées. Les obligations négatives pesant sur les États membres sont conçues comme des garanties de libre circulation pour les constructeurs automobiles européens. La juridiction affirme que « toutes ces interdictions font référence à des obstacles à l’accès au marché des véhicules » et non à leur usage quotidien. Le règlement sur les émissions d’oxydes d’azote sert donc uniquement de référence technique pour l’homologation préalable à la vente sur le territoire. Cette fonction commerciale interdit de considérer que l’acte réglementaire s’adresse par nature aux autorités chargées de la police de la voirie urbaine.
En clarifiant le périmètre d’application du droit de la réception, la Cour dessine une frontière étanche entre l’homologation technique et la gestion environnementale.
**B. La séparation entre normes techniques et police environnementale**
La solution de la Cour consacre l’indépendance de la police de la circulation par rapport aux critères techniques de réception par type de véhicule. Un véhicule peut être techniquement conforme aux normes européennes d’émission tout en faisant l’objet de restrictions locales pour des motifs sanitaires. La Cour rejette l’idée que les collectivités seraient obligées de tolérer la présence de tout véhicule conforme sous peine de recours en manquement. Elle énonce que « la possibilité qu’un recours en manquement soit engagé ne saurait être considérée comme un effet découlant directement du règlement ». Les États membres restent responsables de la qualité de l’air ambiant et doivent prendre les mesures appropriées indépendamment des normes d’homologation. En déclarant les recours initiaux irrecevables, la Cour préserve l’équilibre entre l’harmonisation industrielle nécessaire et l’autonomie d’action des collectivités locales. Le droit de la réception ne saurait servir de bouclier juridique contre les mesures locales visant à améliorer la santé publique urbaine.