Cour de justice de l’Union européenne, le 13 janvier 2022, n°C-326/20

L’octroi d’exonérations fiscales pour les missions diplomatiques et consulaires constitue une pratique solidement établie en droit international, transposée en droit de l’Union européenne. Toutefois, la mise en œuvre de ces exonérations par les États membres peut soulever des questions quant à l’étendue de leur pouvoir de contrôle pour prévenir la fraude. C’est précisément cette tension entre l’effectivité d’un droit à exonération et les prérogatives nationales de lutte contre l’évasion fiscale que la Cour de justice de l’Union européenne a dû arbitrer dans la présente décision.

En l’espèce, une société importatrice avait déclaré en Lettonie des produits soumis à accise, tels que de l’alcool et des cigarettes, destinés à être livrés à diverses ambassades et représentations internationales. Le paiement de ces marchandises s’effectuait par l’intermédiaire d’une société tierce, en vertu d’un contrat de cession de créances par lequel cette dernière recouvrait les sommes dues par les missions diplomatiques puis les reversait à la société importatrice. L’administration fiscale lettone a refusé le bénéfice de l’exonération des droits d’accise, au motif que la condition prévue par le droit national, à savoir un paiement effectué par des moyens autres qu’en espèces directement par le destinataire des produits, n’était pas remplie.

Saisie d’un recours, la juridiction administrative de première instance a confirmé la décision de l’administration. La société importatrice a alors interjeté appel devant la Cour administrative régionale de Lettonie. Cette dernière, constatant que la directive 2008/118/CE ne prévoyait pas explicitement une telle condition de paiement, a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il était demandé en substance si l’article 12 de cette directive, qui fonde le principe de l’exonération, autorise un État membre à subordonner ladite exonération à la condition que le paiement des produits soit réalisé par le destinataire effectif au moyen d’un paiement autre que les espèces.

La Cour de justice répond par la négative, considérant qu’une telle exigence nationale est contraire au droit de l’Union. Elle juge que l’État membre d’accueil ne peut imposer une condition relative au mode de paiement pour l’application de l’exonération des droits d’accise dans le cadre des relations diplomatiques et consulaires. La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation stricte des objectifs de la directive, affirmant la primauté du bénéfice de l’exonération sur les modalités de contrôle nationales (I), ce qui conduit à une limitation significative de la marge d’appréciation des États membres dans ce domaine (II).

I. L’affirmation de la primauté du régime d’exonération sur les mesures nationales de contrôle

La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse finaliste de la directive, réaffirmant la portée du principe d’exonération (A), tout en jugeant que la condition de paiement imposée par la législation nationale constitue une mesure disproportionnée au regard de l’objectif de lutte contre la fraude (B).

A. La finalité de l’exonération comme principe directeur de l’interprétation

La Cour rappelle d’emblée l’objet principal de la directive, qui est d’harmoniser le régime des droits d’accise pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur. Dans ce cadre, les exonérations prévues à l’article 12 constituent une exception au principe de taxation. Cependant, l’interprétation de cette exception doit garantir son plein effet. La Cour énonce ainsi que « l’objectif principal de celui-ci est d’assurer que les destinataires des produits qui relèvent de l’une des catégories identifiées au paragraphe 1 de cette disposition puissent effectivement bénéficier d’une telle exonération ». Cette approche téléologique place au premier plan la nécessité de rendre effective l’exonération accordée aux entités diplomatiques et consulaires.

En se concentrant sur le but de la disposition, la Cour souligne que le droit à l’exonération ne saurait être entravé par des conditions formelles qui n’ont pas été prévues par le législateur de l’Union. Le silence de la directive sur les modalités de paiement est interprété non comme une lacune à combler par les droits nationaux, mais comme l’indication que de telles modalités ne constituent pas un élément substantiel de l’exonération. L’essentiel est que les produits soient bien « destinés à être utilisés dans le cadre de relations diplomatiques ou consulaires », peu important la manière dont la transaction est financièrement réglée.

B. La censure d’une mesure nationale disproportionnée au regard de l’objectif de lutte contre la fraude

Si la Cour reconnaît la légitimité pour un État membre de prendre des mesures pour lutter contre la fraude fiscale, elle soumet ces mesures à un contrôle de proportionnalité rigoureux. Une mesure nationale ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi et doit constituer le moyen le moins contraignant pour les objectifs du droit de l’Union. À cet égard, la Cour estime que « lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés ».

Appliquant ce principe au cas d’espèce, la Cour juge que l’exigence d’un paiement par des moyens autres que les espèces, bien que potentiellement utile pour vérifier l’identité du payeur, est excessive. Elle considère que d’autres mécanismes, déjà prévus par le droit de l’Union, permettent d’assurer un contrôle efficace sans pour autant restreindre de manière injustifiée le bénéfice de l’exonération. La condition lettone apparaît donc comme une précaution superflue et disproportionnée, qui porte une atteinte non justifiée à l’objectif principal de l’article 12 de la directive.

La sanction du caractère disproportionné de la mesure nationale découle directement de l’existence d’un instrument de contrôle harmonisé jugé suffisant par la Cour, ce qui réduit d’autant la marge de manœuvre laissée aux États membres.

II. La portée limitée de la marge d’appréciation des États membres

La décision de la Cour a pour conséquence de définir un cadre strict pour l’exercice par les États membres de leur pouvoir de contrôle. Elle met en lumière la prééminence du certificat d’exonération comme outil de vérification harmonisé (A) et clarifie les exigences en matière de preuve des transactions commerciales (B).

A. Le certificat d’exonération, instrument de contrôle suffisant et harmonisé

Pour démontrer le caractère disproportionné de la mesure nationale, la Cour s’appuie sur l’existence du certificat d’exonération prévu à l’article 13 de la directive. Ce document, dont le modèle est fixé par un règlement d’exécution, est conçu pour accompagner les produits circulant en suspension de droits. La Cour procède à une analyse détaillée de son contenu, relevant qu’il contient toutes les informations nécessaires au contrôle : identité du bénéficiaire, description des biens, déclaration d’usage officiel ou privé, et certification par les autorités compétentes.

Elle en conclut que « ce certificat est, en lui-même, de nature à permettre le contrôle effectif du respect des conditions d’exonération définies à l’article 12 de la directive 2008/118 ». Dès lors, exiger en plus une preuve tirée du mode de paiement n’apporte pas d’élément de contrôle supplémentaire pertinent que le certificat ne contiendrait déjà. Cet instrument harmonisé assure à la fois la traçabilité des opérations et la confirmation du droit à l’exonération, rendant redondante et donc excessive toute autre exigence formelle de même nature imposée unilatéralement par un État membre.

B. La clarification des modes de preuve de la réalité de la transaction

La Cour étend son raisonnement à la question de la preuve de la transaction elle-même. Elle écarte l’idée que seul un paiement tracé par voie bancaire pourrait attester de la réalité de l’opération. Elle affirme au contraire que « la réalité d’une vente est, en principe, suffisamment prouvée par la facture acquittée, ou par le ticket de caisse, établis à cette occasion ». Ce faisant, elle ramène la preuve de la transaction à des documents commerciaux standards, dont l’État membre peut exiger la production avec le certificat d’exonération.

De plus, la Cour observe que la législation lettone, telle que présentée, n’exigeait pas que le paiement soit effectué directement par le client au fournisseur. Cette remarque, bien que prudente, a une portée pratique considérable. Elle valide implicitement des montages commerciaux modernes, comme la cession de créances ou l’affacturage, dans le cadre de livraisons exonérées. En refusant de lier l’exonération à un flux financier direct entre le destinataire et le fournisseur, la Cour adapte l’application du droit fiscal aux réalités économiques, pourvu que la substance de l’opération, à savoir la livraison à un bénéficiaire légitime, soit établie.

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Hassan KOHEN
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