Cour de justice de l’Union européenne, le 13 janvier 2022, n°C-351/20

Par un arrêt rendu en matière de pourvoi, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les conditions de recevabilité d’un recours en annulation dirigé contre une décision de l’Office européen de lutte anti-fraude. En l’espèce, un particulier avait sollicité auprès de cet office l’accès à un certain nombre de documents. Suite au refus qui lui fut opposé par une lettre en date du 1er octobre 2018, l’intéressé a saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours visant à l’annulation de cette lettre. Par une ordonnance du 12 mai 2020, le Tribunal a cependant rejeté ce recours comme étant irrecevable, considérant vraisemblablement que la lettre litigieuse ne constituait pas un acte attaquable au sens de l’article 263 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Le requérant a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que le Tribunal avait commis une erreur de droit en qualifiant son recours d’irrecevable.

La question de droit qui était ainsi posée à la Cour de justice était de savoir si une lettre par laquelle l’Office européen de lutte anti-fraude refuse à une personne l’accès à des documents constitue un acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation.

À cette question, la haute juridiction répond positivement en annulant l’ordonnance du Tribunal. Elle juge que le recours était recevable en tant qu’il visait à l’annulation de la lettre de refus d’accès aux documents. En conséquence, l’affaire est renvoyée devant le Tribunal afin que celui-ci statue sur le fond de la demande d’annulation. La Cour de justice réaffirme ainsi une conception matérielle de l’acte attaquable (I), renforçant par la même occasion les garanties procédurales offertes aux justiciables (II).

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I. La réaffirmation d’une conception matérielle de l’acte attaquable

La Cour de justice censure l’ordonnance du Tribunal en écartant une approche formaliste de la notion d’acte attaquable (A) pour privilégier une analyse substantielle fondée sur les effets juridiques de l’acte en cause (B).

A. La censure d’une approche formaliste de la recevabilité

En déclarant le recours irrecevable, le Tribunal de l’Union européenne avait adopté une lecture restrictive des conditions de l’article 263 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cette approche s’est vraisemblablement fondée sur la forme de l’acte contesté, à savoir une simple lettre, pour en déduire l’absence de caractère décisionnel. Une telle analyse conduit à considérer que certains actes des institutions, organes et organismes de l’Union, bien qu’ayant un impact concret sur la situation des administrés, échapperaient au contrôle du juge au seul motif de leur qualification formelle. C’est précisément cette vision que la Cour de justice vient ici sanctionner.

La haute juridiction rappelle implicitement qu’un acte ne saurait être soustrait au contrôle de légalité en raison de sa seule forme. En annulant l’ordonnance, elle signifie que le juge de l’Union ne doit pas s’arrêter à l’appellation d’un document, mais doit en examiner le contenu et les effets. L’enjeu est d’assurer que le droit à un recours effectif ne soit pas vidé de sa substance par le choix d’un instrument procédural particulier par une administration. Cette position s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence constante qui a toujours privilégié la substance sur la forme pour définir la nature d’un acte juridique.

B. La primauté du critère substantiel des effets juridiques obligatoires

La solution retenue par la Cour de justice repose sur le critère déterminant de l’acte produisant des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant. En l’espèce, la lettre de l’Office européen de lutte anti-fraude, bien que n’étant pas formellement une décision, portait bien un refus définitif opposé à une demande d’accès à des documents. Cet acte modifiait donc clairement la situation juridique de son destinataire en le privant d’un droit qu’il tenait des textes relatifs à la transparence administrative. C’est pourquoi la Cour dispose que l’ordonnance « est annulée en tant que, par celle-ci, le Tribunal a rejeté comme irrecevable le recours […] tendant à l’annulation de la lettre de l’Office européen de lutte anti-fraude (olaf) […] par laquelle ce dernier a refusé de lui accorder l’accès aux documents demandés ».

Ce faisant, la Cour confirme que tout acte qui arrête définitivement la position d’une institution ou d’un organe au terme d’une procédure administrative est un acte attaquable. Peu importe qu’il s’agisse d’une lettre, d’une note ou de toute autre forme de communication. Dès lors que l’acte exprime une volonté de produire des conséquences juridiques contraignantes, le juge de l’Union doit pouvoir en contrôler la légalité. Le renvoi de l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue au fond atteste de cette reconnaissance du caractère décisionnel de la lettre de l’Office.

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II. Le renforcement des garanties procédurales du justiciable

Cette décision, au-delà de sa portée technique, consacre le droit à un recours juridictionnel effectif contre les actes de l’Office européen de lutte anti-fraude (A) et réaffirme plus largement l’impératif de transparence dans l’action administrative de l’Union (B).

A. La consécration du droit au recours effectif contre les actes de l’OLAF

En ouvrant la voie du prétoire au requérant, la Cour de justice garantit que les actes de l’Office européen de lutte anti-fraude, même ceux qui semblent intermédiaires ou informels, ne peuvent échapper au contrôle juridictionnel lorsqu’ils portent atteinte aux droits des personnes concernées. L’Office, doté de pouvoirs d’enquête significatifs, doit voir son action encadrée par le respect des droits fondamentaux, au premier rang desquels figure le droit à un recours effectif, consacré à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Une solution contraire aurait créé une zone de non-droit, permettant à l’Office de refuser l’accès à des informations essentielles par de simples courriers insusceptibles de recours.

La portée de cet arrêt est donc considérable pour la protection des administrés face à une administration de plus en plus puissante. Il rappelle que le principe de légalité et l’État de droit imposent que toute décision administrative produisant des effets de droit puisse être soumise à l’appréciation d’un juge. Le fait que la Cour rejette le pourvoi pour le surplus, tout en annulant le point central de l’irrecevabilité, montre sa volonté de se concentrer sur cette question de principe. Le partage des dépens entre les parties pour l’instance de pourvoi reflète quant à lui l’équité d’une solution qui vient corriger une erreur de droit commise en première instance.

B. La réaffirmation de l’exigence de transparence administrative

Plus largement, cette décision s’inscrit dans le cadre du principe de transparence, qui régit l’accès du public aux documents des institutions, organes et organismes de l’Union, notamment en vertu du règlement (CE) n° 1049/2001. En qualifiant la lettre de refus de l’Office d’acte attaquable, la Cour préserve l’effectivité du droit d’accès aux documents administratifs. Elle empêche qu’une institution puisse se dérober à ses obligations en matière de transparence par le biais de procédés informels. Le refus doit non seulement être motivé, mais il doit aussi pouvoir être contesté devant un juge.

Cet arrêt constitue donc un rappel important que le droit à la transparence est une composante essentielle de la citoyenneté de l’Union et de la légitimité démocratique de ses institutions. La solution ne se limite pas aux seuls actes de l’Office européen de lutte anti-fraude mais a vocation à s’appliquer à l’ensemble des organes de l’Union. Elle s’analyse comme un arrêt de principe dont la portée est de garantir que le contrôle juridictionnel reste la pierre angulaire de l’Union de droit, assurant un juste équilibre entre les prérogatives de l’administration et les droits des justiciables.

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Hassan KOHEN
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