Par un arrêt du 7 octobre 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions de recevabilité d’un recours en annulation dirigé contre un refus d’accès à des documents émanant de l’Office européen de lutte antifraude. En l’espèce, un particulier, visé par une enquête de cet office et faisant l’objet de poursuites pénales dans son État membre, s’était vu refuser par une lettre la communication de plusieurs pièces de son dossier d’enquête. Saisi d’un recours en annulation contre cette lettre de refus, le Tribunal de l’Union européenne l’avait rejeté comme irrecevable par une ordonnance du 12 mai 2020. Les juges de première instance avaient estimé que la lettre litigieuse ne constituait pas un acte attaquable, au motif que le requérant n’avait pas préalablement introduit de demande confirmative comme le prévoit la procédure d’accès aux documents. La Cour de justice, saisie d’un pourvoi, était ainsi conduite à s’interroger sur la nature d’un tel refus initial. Il s’agissait de déterminer si une lettre de refus d’accès à des documents, opposée par une institution de l’Union dans le cadre d’une enquête, constitue un acte attaquable au sens de l’article 263 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, alors même que la procédure spécifique d’accès aux documents n’a pas été menée à son terme. La Cour de justice répond par l’affirmative, annulant l’ordonnance du Tribunal. Elle juge que la lettre de refus, en ce qu’elle exprime la position définitive de l’office, produit des effets de droit contraignants et modifie la situation juridique de l’intéressé, constituant de ce fait un acte susceptible de recours.
Cette solution conduit la Cour à affirmer une conception large de l’acte attaquable, en particulier dans le contexte de l’accès aux dossiers administratifs (I), clarification dont les implications pratiques et jurisprudentielles sont notables pour les droits des administrés (II).
I. L’affirmation d’une conception large de l’acte attaquable
La Cour de justice a fondé sa décision sur une appréciation matérielle de l’acte litigieux, censurant l’approche formaliste retenue par le Tribunal (A) et réaffirmant la primauté des droits fondamentaux dans l’interprétation des conditions de recevabilité (B).
A. La censure d’une approche formaliste de la recevabilité
Le Tribunal avait jugé le recours irrecevable en se fondant sur une application stricte du règlement n° 1049/2001 relatif à l’accès du public aux documents. Cette réglementation instaure une procédure en deux temps, avec une demande initiale suivie, en cas de refus, d’une demande confirmative. Pour le Tribunal, seule la décision prise sur la demande confirmative constitue un acte définitif et donc attaquable. Le refus initial n’était ainsi qu’une mesure préparatoire, insusceptible de recours.
La Cour de justice écarte cette analyse, considérant que le Tribunal a commis une erreur de droit. Elle souligne que la lettre de l’office « a adopté une position définitive quant à la demande [du requérant], en lui refusant l’accès sollicité ». En ne se présentant pas comme une position provisoire susceptible d’être réexaminée, mais bien comme un refus net fondé sur des exceptions prévues par la loi, l’acte produisait des « effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci ». Le juge de l’Union ne saurait donc s’arrêter à la seule qualification formelle de l’acte sans en examiner la substance et les effets réels sur l’administré.
B. L’influence déterminante de la Charte des droits fondamentaux
Le raisonnement de la Cour ne se limite pas à une simple interprétation des règles procédurales. Il s’ancre profondément dans les droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le pourvoi invoquait notamment le droit à une bonne administration, consacré à l’article 41, qui inclut le droit d’accès au dossier, ainsi que le droit à un recours effectif, garanti par l’article 47.
En l’espèce, l’accès aux documents était essentiel pour que le requérant puisse organiser sa défense dans le cadre des poursuites pénales nationales. Conditionner la contestation du refus à l’épuisement d’une procédure confirmative aurait retardé de manière significative la possibilité pour l’intéressé d’obtenir un contrôle juridictionnel. La Cour de justice, en qualifiant le refus initial d’acte attaquable, assure ainsi l’effectivité du droit au juge. Elle privilégie une protection juridictionnelle immédiate lorsque les droits de la défense sont directement en jeu, évitant qu’une exigence procédurale ne vienne faire obstacle à l’exercice d’un droit fondamental.
II. Les implications de la solution pour les droits des administrés
Cette décision renforce les garanties procédurales offertes aux personnes faisant l’objet d’enquêtes administratives de l’Union (A) et interroge la portée de la procédure à double détente en matière d’accès aux documents (B).
A. Un renforcement bienvenu des garanties procédurales
La valeur de cet arrêt réside principalement dans la protection accrue qu’il confère aux administrés. En permettant de contester directement un refus initial d’accès au dossier, la Cour empêche les institutions de l’Union d’utiliser la procédure en deux temps comme un moyen dilatoire. Lorsqu’un refus est exprimé en des termes qui ne laissent aucun doute sur son caractère définitif, l’administré ne doit pas être contraint d’engager une démarche supplémentaire, souvent longue, avant de pouvoir saisir le juge.
Cette solution prend une importance particulière dans le contexte des enquêtes de l’Office européen de lutte antifraude, dont les conclusions peuvent avoir des conséquences directes et graves, notamment sur le plan pénal au niveau national. L’arrêt garantit que les droits de la défense peuvent être exercés et protégés sans délai excessif. Il s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à assurer que tout acte d’une institution de l’Union produisant des effets juridiques contraignants puisse faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif.
B. Une remise en cause de l’application systématique de la procédure confirmative
La portée de cette décision doit être mesurée. Elle ne signifie pas la disparition de l’exigence d’une demande confirmative dans tous les cas de figure prévus par le règlement n° 1049/2001. L’arrêt semble en effet distinguer la situation générale de l’accès du public aux documents de celle, plus spécifique, où la demande d’accès s’inscrit dans le cadre d’une procédure administrative affectant directement les droits d’un individu.
L’avenir dira si cette jurisprudence sera étendue à d’autres domaines que celui des enquêtes de l’Office. Il est probable que son application reste circonscrite aux hypothèses où le refus d’accès initial porte une atteinte immédiate et caractérisée aux droits de la défense ou à d’autres droits fondamentaux. Il s’agit donc moins d’un revirement de principe sur la procédure d’accès aux documents que d’une décision d’espèce rappelant avec force que les règles procédurales doivent être interprétées à la lumière du droit à un recours effectif, principe cardinal de l’ordre juridique de l’Union.