Par un arrêt du 9 décembre 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a apporté des précisions essentielles sur l’étiquetage des denrées alimentaires contenant des ingrédients composés. En l’espèce, une société de grande distribution commercialisait en République tchèque des produits dont la liste d’ingrédients mentionnait l’équivalent de la « poudre chocolatée ». Les autorités nationales de contrôle ont considéré que cette appellation n’était pas conforme au droit de l’Union. Selon elles, seule la dénomination « chocolat en poudre », telle que spécifiquement prévue par la version tchèque de la directive 2000/36/CE, pouvait être utilisée. Le litige a conduit les juridictions nationales à s’interroger sur la portée des règles d’étiquetage. La cour régionale de Brno, après plusieurs recours internes, a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle. Il lui était demandé, en substance, si un opérateur économique pouvait être dispensé de détailler la composition d’un ingrédient en utilisant une dénomination qui, sans être celle de la version linguistique de l’État de commercialisation, est une traduction d’une autre version linguistique officielle. La Cour a jugé que la dispense d’énumération des composants n’est accordée qu’à la condition que soit utilisée la dénomination légale exacte issue de la version linguistique pertinente de l’État membre où le produit est vendu.
La solution retenue par la Cour de justice consacre une application rigoureuse des dénominations de vente (I), faisant primer l’impératif de protection du consommateur sur une interprétation souple du multilinguisme (II).
I. La consécration d’une application stricte des dénominations de vente harmonisées
La Cour réaffirme le caractère impératif des dénominations légales issues du droit de l’Union (A), ce qui la conduit à encadrer strictement les conditions de la dispense d’énumération des ingrédients (B).
A. Le caractère obligatoire et exclusif des dénominations légales
La Cour rappelle d’emblée que la directive 2000/36 opère une harmonisation complète des dénominations pour les produits de cacao et de chocolat. Ce faisant, elle établit un cadre juridique précis et contraignant pour les opérateurs économiques. La Cour souligne que la « directive doit être considérée comme ayant créé un système, obligatoire et exhaustif, des dénominations de vente ». Cette approche ferme vise à assurer l’unicité du marché intérieur et à éviter toute confusion pour les consommateurs. En l’espèce, l’ingrédient en cause, s’il correspondait aux critères de composition du « chocolat en poudre », devait impérativement être désigné par cette dénomination légale, excluant toute autre appellation.
Le raisonnement de la Cour confirme que les dénominations de vente prévues par la réglementation européenne ne sont pas de simples suggestions. Elles constituent des « dénominations légales » au sens du règlement n° 1169/2011, dont l’usage s’impose sur l’ensemble du territoire de l’Union. Cette rigueur garantit que, quelle que soit la langue, une même dénomination renvoie à un produit de composition et de qualité définies, standardisées et contrôlables. L’opérateur ne dispose donc d’aucune marge de manœuvre pour y substituer un synonyme, même s’il lui semble sémantiquement proche ou plus commercial.
B. Une interprétation restrictive de la dispense d’étiquetage
L’un des enjeux principaux du litige résidait dans l’application d’une dérogation prévue par le règlement n° 1169/2011. Ce texte dispense les opérateurs de lister les composants d’un ingrédient composé si sa composition est déjà définie par une réglementation de l’Union. La Cour adopte une lecture stricte de cette exception. Elle énonce clairement que, puisqu’il s’agit d’une dérogation au principe d’information complète du consommateur, la disposition « doit faire l’objet d’une interprétation restrictive ». Ainsi, le bénéfice de cette dispense est indissociable du respect scrupuleux de la condition qui la fonde : l’emploi de la dénomination légale.
Cette interprétation conditionne donc l’allègement de l’étiquetage à une discipline rigoureuse de la part des fabricants. Pour être dispensé d’énumérer les sucres et le cacao présents dans le « chocolat en poudre », l’opérateur doit utiliser précisément cette formule. Le non-respect de la dénomination officielle, même par l’usage d’une expression très voisine comme « poudre chocolatée », fait perdre le bénéfice de l’exception. La Cour établit ainsi un lien de causalité direct entre la terminologie employée et l’étendue des obligations d’information, renforçant la portée de la dénomination légale.
II. La prévalence de l’objectif de protection du consommateur sur le multilinguisme
La décision de la Cour articule le principe du multilinguisme avec l’objectif supérieur d’information du consommateur. Elle écarte ainsi l’idée d’une équivalence fondée sur la traduction libre (A) et précise la notion de divergence entre les versions linguistiques (B).
A. Le refus d’une équivalence par traduction libre
L’opérateur économique soutenait la validité de sa démarche en arguant que le terme utilisé était une traduction correcte d’autres versions linguistiques de la directive, comme l’allemand ou le polonais. La Cour rejette fermement cet argument. Elle estime que l’objectif de protection du consommateur « serait sérieusement compromis si […] les opérateurs économiques pouvaient ne pas respecter la dénomination de cet ingrédient, telle qu’elle figure dans la version linguistique pertinente de cette réglementation, et traduire librement les termes ». Une telle pratique introduirait une incertitude inacceptable pour le consommateur, qui ne pourrait plus se fier à la dénomination pour connaître la nature exacte d’un ingrédient.
La Cour insiste sur le fait que seule l’appellation officielle offre une garantie de conformité. En l’espèce, seuls les termes « čokoláda v prášku » (« chocolat en poudre ») sont juridiquement définis, alors que « čokoládový prášek » (« poudre chocolatée ») ne l’est pas. Permettre des traductions individuelles reviendrait à créer une multitude de dénominations non réglementées, vidant de sa substance l’harmonisation recherchée par le législateur. La sécurité juridique et la transparence pour le consommateur l’emportent sur la flexibilité linguistique que l’opérateur revendiquait.
B. Une redéfinition de la notion de divergence linguistique
La Cour profite de cette affaire pour clarifier ce qui constitue une divergence entre les versions linguistiques d’un texte de l’Union. Elle juge que le simple fait que certaines langues utilisent plusieurs termes pour un ingrédient alors que d’autres n’en utilisent qu’un ne constitue pas une divergence au sens juridique. La Cour fait sien l’avis de l’avocat général en précisant que « la seule circonstance que différentes versions linguistiques prévoient des désignations différentes pour l’ingrédient composé concerné […] ne saurait signifier qu’il existe une divergence des versions linguistiques ». Il ne s’agit pas d’une contradiction, mais de listes de dénominations autonomes et propres à chaque langue.
Cette approche pragmatique empêche les opérateurs de se prévaloir d’une prétendue ambiguïté pour choisir la version linguistique qui leur serait la plus favorable. Chaque version de l’annexe de la directive est contraignante pour le marché linguistique auquel elle correspond. Le principe d’équivalence entre les langues ne permet donc pas à un opérateur de ne se conformer à aucune des versions en créant sa propre terminologie par traduction. La Cour réaffirme ainsi que le multilinguisme du droit de l’Union implique le respect de chaque version linguistique dans son propre contexte, et non la possibilité de les combiner ou de les substituer librement.