Cour de justice de l’Union européenne, le 13 juillet 2004, n°C-82/03

Par un arrêt en date du 13 juillet 2004, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur la portée de l’obligation de coopération loyale qui incombe aux États membres en vertu de l’article 10 du traité instituant la Communauté européenne.

En l’espèce, la Commission avait été saisie d’une plainte relative à l’application, dans l’ordre juridique d’un État membre, d’une directive de 1989 concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé pour l’utilisation par les travailleurs au travail d’équipements de travail. La plainte dénonçait le non-respect de plusieurs exigences de sécurité dans une station d’épuration des eaux usées. Afin d’instruire cette plainte, la Commission a adressé à l’État membre concerné une première demande d’informations le 3 août 2000, puis une seconde le 19 mars 2001, toutes deux restées sans réponse.

Face à ce silence, la Commission a engagé une procédure en manquement conformément à l’article 226 du traité. Après une mise en demeure restée sans effet, elle a émis un avis motivé le 18 juillet 2002, invitant l’État membre à se conformer à ses obligations. L’absence persistante de réponse a conduit la Commission à saisir la Cour de justice, soutenant que le silence obstiné du gouvernement national constituait un manquement à l’obligation de coopération loyale. En défense, l’État membre a soulevé l’irrecevabilité du recours et son caractère non fondé, arguant que les demandes de la Commission manquaient de la précision factuelle nécessaire à l’identification des organes compétents, rendant ainsi la coopération impossible.

La question de droit soumise à la Cour était de savoir si le refus répété et non justifié d’un État membre de fournir des informations demandées par la Commission dans le cadre d’une enquête précontentieuse caractérise un manquement à l’obligation de coopération loyale prévue par l’article 10 du traité CE.

La Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge le recours recevable, estimant que l’État membre disposait des éléments suffisants pour exercer ses droits de la défense. Sur le fond, elle constate le manquement, affirmant que les États membres sont tenus de coopérer de bonne foi et que les autorités nationales disposaient des informations factuelles leur permettant de répondre. Cette solution permet de réaffirmer la portée d’un principe fondamental de l’ordre juridique communautaire. Elle met également en lumière l’inefficacité de certains moyens de défense face à un manquement manifeste.

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I. La réaffirmation du principe de coopération loyale comme pilier de l’ordre juridique communautaire

La décision commentée rappelle avec force le caractère substantiel de l’obligation de coopération loyale qui pèse sur les États membres (A), une obligation dont le respect est particulièrement crucial durant la phase précontentieuse de la procédure en manquement (B).

A. Le contenu substantiel de l’obligation de coopération

L’article 10 du traité CE, bien que formulé en des termes généraux, constitue une disposition fondamentale qui régit les relations entre les institutions de la Communauté et ses États membres. La Cour, dans sa décision, ne fait que confirmer une jurisprudence constante en rappelant que ce devoir de coopération n’est pas une simple faculté mais une obligation contraignante. Elle se réfère à une lignée jurisprudentielle bien établie pour souligner que les États membres doivent activement faciliter à la Communauté l’accomplissement de sa mission.

Le raisonnement des juges s’appuie sur l’idée que l’efficacité du droit communautaire dépend entièrement de sa mise en œuvre par les États. En l’absence d’une administration communautaire décentralisée, la Commission, en tant que gardienne des traités, doit pouvoir compter sur le concours des autorités nationales. La Cour énonce ainsi clairement qu’il résulte de cette obligation que « les États membres sont tenus de coopérer de bonne foi à toute enquête entreprise par la Commission en vertu de l’article 226 CE et de fournir à celle-ci toutes les informations demandées à cette fin ». Cette formule consacre une obligation positive d’agir, et non une simple obligation de ne pas entraver.

B. L’application du principe dans le cadre de la procédure en manquement

La phase précontentieuse de la procédure en manquement constitue le terrain d’application privilégié de l’obligation de coopération loyale. Cette phase a pour objet de permettre à l’État membre de se conformer volontairement aux obligations qui lui incombent ou de fournir les justifications de son action. Pour que ce dialogue puisse s’instaurer, la Commission doit disposer des éléments factuels et juridiques nécessaires à l’appréciation de la situation. Le silence d’un État membre paralyse entièrement ce mécanisme.

En l’espèce, l’absence totale de réponse aux deux lettres de demande d’informations, puis à la lettre de mise en demeure et enfin à l’avis motivé, a rendu impossible pour la Commission d’examiner le bien-fondé de la plainte initiale. Le manquement à l’obligation de coopération loyale est ici autonome par rapport à la potentielle violation de la directive sur la sécurité des travailleurs. La Cour sanctionne l’obstruction procédurale elle-même, car elle porte atteinte au bon fonctionnement de l’une des prérogatives essentielles de la Commission. La solution est logique : sans information, le contrôle du respect du droit communautaire devient purement théorique.

II. Le rejet d’une défense inopérante face à un manquement caractérisé

La Cour, après avoir rappelé la portée du principe, écarte sans difficulté les arguments de l’État défendeur. Elle procède à une appréciation souveraine des faits pour rejeter l’excuse de l’imprécision (A), consacrant ainsi une solution dont la portée dépasse le simple cas d’espèce (B).

A. L’appréciation des faits par la Cour

Face à l’accusation de manquement, l’État membre soutenait que l’impasse procédurale incombait à la Commission, dont les demandes auraient été trop vagues pour permettre d’identifier la station d’épuration concernée. Cet argument tendait à déplacer la responsabilité de la non-coopération. Toutefois, la Cour ne se laisse pas convaincre par cette justification qu’elle qualifie implicitement de dilatoire. Elle opère un contrôle concret des pièces du dossier et relève que l’indication du lieu faisant l’objet de la plainte était suffisamment claire.

La Cour précise que les lettres de la Commission mentionnaient bien une « station d’épuration située dans la commune de Mandello del Lario en Lombardie ». Ce faisant, elle considère que les autorités nationales, dépositaires de la puissance publique sur leur territoire, disposaient de tous les éléments nécessaires pour identifier l’installation en cause et mener les enquêtes qui s’imposaient. En rejetant l’argument de la défense, la Cour signifie qu’un État membre ne saurait se prévaloir d’une prétendue difficulté administrative mineure pour se soustraire à une obligation fondamentale du traité. La mauvaise foi ne se présume pas, mais un silence aussi prolongé face à une demande raisonnablement précise la rend difficilement contestable.

B. La portée d’une condamnation fondée sur le seul silence

Cet arrêt, bien que rendu dans un cas d’espèce aux faits simples, revêt une portée de principe significative. Il confirme qu’un manquement purement procédural, consistant en la seule absence de coopération, peut justifier à lui seul une condamnation par la Cour de justice. Il n’est pas nécessaire pour la Commission de prouver l’existence de la violation matérielle du droit communautaire qui faisait l’objet de la plainte initiale. L’entrave à sa mission de surveillance est, en soi, une violation du traité.

Cette solution a une valeur pédagogique et préventive. Elle adresse un message clair à l’ensemble des États membres : le silence ou l’inertie ne sauraient constituer une stratégie de défense viable face aux investigations de la Commission. La coopération est la clé de voûte du système institutionnel et son absence sera sanctionnée pour elle-même. La Cour renforce ainsi l’autorité de la Commission et l’efficacité de la procédure en manquement, garantissant que le dialogue précontentieux demeure un instrument effectif de résolution des différends et non un simple prélude formel à une action en justice.

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Hassan KOHEN
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