Par un arrêt du 13 juillet 2006, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’étendue de la compétence exclusive prévue par la Convention de Bruxelles en matière de litiges portant sur la validité des brevets.
Une entreprise établie en Allemagne, se voyant reprocher par une société concurrente la contrefaçon de deux brevets français dont cette dernière était titulaire, a engagé une action devant les juridictions allemandes. Le demandeur sollicitait qu’il soit constaté que ses produits ne constituaient pas une contrefaçon et soutenait, à titre subsidiaire, que les brevets en cause étaient nuls. La juridiction de première instance, le Landgericht Düsseldorf, s’est déclarée compétente pour statuer tant sur l’action en déclaration de non-contrefaçon que sur l’exception d’invalidité des brevets français. Elle a rejeté l’action au fond, estimant que les conditions de brevetabilité étaient remplies. Saisie en appel, l’Oberlandesgericht Düsseldorf a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de l’article 16, point 4, de la Convention de Bruxelles.
La question de droit posée à la Cour était de savoir si la règle de compétence exclusive édictée par cette disposition, qui attribue aux juridictions de l’État d’enregistrement la connaissance des litiges « en matière d’inscription ou de validité des brevets », ne vise que les actions principales en nullité ou si elle s’étend également aux cas où l’invalidité du brevet est soulevée à titre d’exception dans le cadre d’une autre action, telle qu’une action en contrefaçon.
La Cour de justice répond que la compétence exclusive prévue à l’article 16, point 4, de la convention « concerne tous les litiges portant sur l’inscription ou la validité d’un brevet, que la question soit soulevée par voie d’action ou d’exception ». Cette solution repose sur une interprétation stricte de la règle de compétence exclusive (I), interprétation commandée par la nécessité de préserver la sécurité juridique et la cohérence du système conventionnel (II).
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I. L’affirmation d’une conception stricte de la compétence exclusive en matière de validité des brevets
La Cour de justice, pour définir le champ d’application de la compétence exclusive, adopte une interprétation finaliste de la disposition (A) qui la conduit à rejeter toute distinction fondée sur la manière dont la question de la validité est portée devant le juge (B).
A. Une interprétation fondée sur la finalité de la règle de compétence
Face à un libellé de l’article 16, point 4, qui ne tranche pas explicitement la question, la Cour se tourne vers les objectifs de cette règle. Les compétences exclusives visent à confier un contentieux aux juridictions jugées les mieux placées pour en connaître, en raison d’un lien particulièrement étroit avec le litige. En matière de brevets, cette justification est double. D’une part, elle répond à un impératif de bonne administration de la justice, car « les juridictions de l’État contractant sur le territoire duquel les registres sont tenus peuvent statuer en application de leur droit national sur la validité et les effets des brevets qui ont été délivrés dans cet État ». Cette proximité est d’autant plus pertinente que le contentieux des brevets est souvent confié à des juridictions spécialisées. D’autre part, la compétence exclusive se justifie par l’implication de l’administration nationale dans le processus de délivrance et de gestion des brevets, créant un lien objectif entre le droit contesté et l’État de délivrance. L’interprétation de la Cour vise donc à assurer que toute décision affectant l’existence même d’un brevet soit rendue par l’autorité judiciaire la plus légitime pour le faire.
B. Le rejet de la distinction entre la voie d’action et la voie d’exception
La Cour de justice considère que le caractère impératif de la règle de compétence exclusive impose une application uniforme, quelle que soit la forme procédurale de la contestation. Accepter qu’un juge, saisi d’une action en contrefaçon, puisse statuer à titre incident sur la validité d’un brevet étranger reviendrait à fragiliser ce caractère impératif. Une telle solution permettrait en effet aux parties de contourner la règle de l’article 16, point 4, par le simple choix de la formulation de leur demande. Un demandeur pourrait ainsi choisir une juridiction autre que celle de l’État de délivrance du brevet pour y faire trancher indirectement la question de la validité, vidant la compétence exclusive de sa substance. La Cour énonce clairement que permettre au juge saisi d’une action principale de « constater à titre incident la nullité du brevet en cause porterait atteinte à la nature contraignante de la règle de compétence prévue à l’article 16, point 4, de la convention ». En refusant de distinguer selon que la validité est contestée par voie d’action ou d’exception, la Cour assure la pleine effectivité de la compétence exclusive.
II. La consécration de la sécurité juridique et de la cohérence du système conventionnel
La solution retenue par la Cour de justice est justifiée par la volonté de garantir la prévisibilité des règles de compétence (A) et de prévenir les contrariétés de décisions au sein de l’espace judiciaire européen (B).
A. La garantie de la prévisibilité et la prévention du forum shopping
En appliquant la compétence exclusive de manière absolue à toute contestation de validité d’un brevet, la Cour renforce la prévisibilité des règles de compétence, un des piliers de la Convention de Bruxelles. Si la contestation de la validité pouvait être portée incidemment devant le juge de l’action en contrefaçon, cela entraînerait une « multiplication des chefs de compétence ». Une telle situation serait de nature à « affecter la prévisibilité des règles de compétence posées par la convention, portant, par voie de conséquence, atteinte au principe de sécurité juridique ». Les justiciables doivent savoir à l’avance et sans ambiguïté quelle juridiction est compétente pour statuer sur un litige donné. Permettre une dissociation entre l’action en contrefaçon et la validité du brevet encouragerait des stratégies de *forum shopping*, où le demandeur choisirait la juridiction la plus favorable pour contester indirectement un brevet, au détriment de la clarté et de l’ordre juridictionnel. La décision assure donc que la question de la validité d’un brevet ne peut être traitée que par un seul et unique for, celui de l’État de délivrance.
B. La prévention des contrariétés de décisions
L’un des objectifs fondamentaux de la Convention de Bruxelles est d’éviter les décisions contradictoires. L’arrêt souligne que permettre à des juridictions différentes de celles de l’État de délivrance de statuer, même incidemment, sur la validité d’un brevet « multiplierait également le risque de contrariétés de décisions que la convention vise précisément à éviter ». La Cour écarte l’argument selon lequel une décision incidente n’aurait d’effet qu’*inter partes* et ne créerait donc pas de conflit avec une décision *erga omnes* du juge de l’État de délivrance. Elle relève en effet que la portée d’une décision dépend du droit national applicable, et que dans certains États contractants, une décision d’annulation, même rendue sur exception, pourrait avoir un effet absolu. Pour maintenir une application uniforme et cohérente de la convention, il est donc impératif d’éviter une situation où un brevet serait déclaré valide par les juridictions de son État de délivrance et invalide, même entre les parties, par celles d’un autre État. La concentration de la compétence garantit ainsi la cohérence des décisions relatives à un même droit de propriété intellectuelle.