Un arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes est venu préciser les critères de classement tarifaire d’un produit spécifiquement conçu à des fins médicales mais importé sous une forme brute. En l’espèce, une société importait des flocons de polydiméthylsiloxane stériles, produits aux États-Unis, en vue de la fabrication d’un implant médical destiné à traiter l’incontinence. Ces flocons étaient conditionnés en sacs d’un kilogramme. Après importation, ils étaient mélangés à un hydrogel puis conditionnés dans des seringues à usage unique pour être implantés dans l’organisme. La société a sollicité un renseignement tarifaire contraignant, demandant le classement du produit dans la nomenclature combinée sous la position relative aux articles et appareils d’orthopédie, y compris ceux à implanter dans l’organisme.
L’autorité douanière a cependant classé les flocons de polydiméthylsiloxane sous la position des silicones sous formes primaires. Saisie d’un recours contre cette décision, la juridiction néerlandaise a sursis à statuer et a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Les prétentions des parties mettaient en lumière une divergence fondamentale d’interprétation. L’opérateur économique soutenait que la destination médicale exclusive du produit, reconnaissable à sa pureté et à sa forme spécifique, justifiait son classement en tant qu’appareil à implanter. L’administration douanière, à l’inverse, arguait que les flocons se présentaient sous une forme primaire de silicone et que leur usage final était indifférent pour le classement, lequel doit s’opérer au moment du dédouanement.
Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si un produit composé de flocons stériles, spécialement développé et exclusivement destiné à être utilisé comme implant médico-chirurgical, doit être classé selon sa composition matérielle et sa présentation lors de l’importation, ou selon sa destination inhérente en tant que produit fini.
La Cour de justice répond que la nomenclature combinée doit être interprétée en ce sens qu’un tel produit « doit être considéré comme un appareil à implanter dans l’organisme qui doit être classé dans la position 9021 ». Elle précise en outre que, n’ayant pas pour finalité de remplacer un organe mais de permettre à un muscle déficient de créer des tissus conjonctifs, il doit être classé dans la sous-position 9021 90 90. Pour parvenir à cette solution, la Cour a dû clarifier la hiérarchie des critères de classement d’un produit à destination médicale (I), consacrant ainsi une interprétation fonctionnelle de la notion d’appareil à implanter (II).
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I. La clarification des critères de classement d’un produit à destination médicale
Pour déterminer la position tarifaire adéquate, la Cour a d’abord écarté les classifications fondées sur la seule composition matérielle du produit (A), avant de faire prévaloir sa destination inhérente sur sa forme de présentation lors de l’importation (B).
A. L’éviction des classements fondés sur la composition matérielle
Le raisonnement de la Cour s’attache en premier lieu à réfuter la qualification de « silicones sous formes primaires » relevant de la position 3910. Cette position est traditionnellement réservée aux matières brutes destinées à subir une transformation ultérieure. Or, la Cour constate que le polydiméthylsiloxane en cause possède des caractéristiques objectives qui le distinguent d’une simple matière première. Il est en effet souligné que le produit est stérile et que ses flocons conservent leurs dimensions spécifiques après implantation, ce qui atteste de sa nature de produit fini.
La Cour précise à ce titre que « le polydiméthylsiloxane est un produit fini qui, en cette qualité, ne peut donc pas être classé dans la position 3910 de la nc ». Elle écarte par là même une interprétation qui s’arrêterait à l’aspect physique des flocons. Cette approche confirme que la notion de « forme primaire » doit être interprétée strictement et ne vise que les produits bruts, non spécialisés. De même, la Cour rejette implicitement mais nécessairement la position 3926 relative aux « autres ouvrages en matières plastiques », car le produit n’est pas un simple ouvrage mais bien un article avec une fonction spécifique.
B. La primauté de la destination inhérente sur la présentation en douane
La Cour rappelle ensuite un principe constant de sa jurisprudence, selon lequel « la destination du produit peut constituer, en matière de classement tarifaire, un critère objectif pour autant qu’elle soit inhérente audit produit ». L’application de ce critère au cas d’espèce est déterminante. Les caractéristiques du polydiméthylsiloxane, notamment sa stérilité et sa structure, démontrent qu’il est spécialement et uniquement conçu pour une implantation médicale. Sa destination n’est donc pas une simple éventualité mais une propriété intrinsèque.
Cette destination inhérente permet de surmonter l’obstacle de sa présentation au moment du dédouanement. Bien qu’importé en sacs d’un kilogramme, et non conditionné pour la vente au détail, le produit n’est pas considéré comme une matière brute. C’est sur ce point que la Cour écarte également le classement dans la position 3004 en tant que médicament. En effet, cette position exige un conditionnement sous forme de doses ou pour la vente au détail, ce qui n’était pas le cas lors de l’importation. La Cour opère ainsi une distinction subtile : si la présentation en vrac exclut la qualification de médicament, elle n’empêche pas la reconnaissance de sa nature de produit fini en raison de sa destination inhérente.
II. La consécration d’une interprétation fonctionnelle de l’appareil à implanter
La qualification retenue par la Cour repose sur une conception extensive de la notion d’« appareil » (A), dont le classement au sein de la sous-position adéquate est affiné par l’analyse précise de son mode d’action (B).
A. La conception extensive de la notion d’« appareil »
Ayant établi que le produit est un article fini destiné à l’implantation, la Cour se penche sur le libellé de la position 9021, qui vise notamment les « appareils à implanter dans l’organisme ». Elle adopte une interprétation fonctionnelle de ce terme, refusant de le limiter à des objets mécaniques ou complexes. La Cour estime que « la notion d’‘appareil’ ne se limite pas à la conception technique du produit » et qu’elle « comprend les produits dont l’introduction dans l’organisme est destinée à compenser une déficience ».
En l’espèce, les flocons de polydiméthylsiloxane, en se fixant dans le tissu et en favorisant la croissance de tissu conjonctif, compensent bien un déficit sphinctérien. C’est donc la fonction thérapeutique remplie par le produit qui lui confère la qualité d’appareil. Les flocons eux-mêmes, bien qu’inertes, constituent l’appareil au sens de la nomenclature douanière. Cette solution a une portée significative, car elle étend la catégorie des appareils implantables à des substances ou des formes simples, pourvu que leur fonction soit de suppléer une défaillance de l’organisme.
B. La détermination précise de la sous-position selon le mode d’action du produit
Le dernier temps du raisonnement de la Cour consiste à affiner le classement au sein de la position 9021. La juridiction de renvoi hésitait avec la sous-position 9021 30 90, qui concerne notamment les prothèses articulaires et autres articles et appareils de prothèse. La Cour écarte cette qualification en se fondant sur le mode d’action exact du produit. Elle observe que celui-ci « n’a donc pas pour fonction de remplacer un muscle déficient de l’organisme comme le ferait une prothèse, mais de lui permettre de développer de nouveaux tissus qui pallient les problèmes liés à l’incontinence ».
Cette distinction entre remplacer une partie du corps et aider le corps à compenser une déficience est cruciale. Elle justifie le classement dans la sous-position résiduelle 9021 90 90, en tant qu’« autres » appareils à implanter. Cette analyse finale démontre une volonté d’adapter le classement tarifaire non seulement à la fonction générale du produit, mais aussi à ses mécanismes biologiques précis. La solution retenue illustre ainsi la prévalence d’une approche téléologique et fonctionnelle dans l’interprétation du droit douanier, garantissant une classification qui reflète la réalité technique et médicale des produits.