Cour de justice de l’Union européenne, le 13 juillet 2006, n°C-89/05

Par un arrêt en date du 21 juin 2006, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’interprétation de l’article 13, B, sous f), de la sixième directive TVA relative à l’exonération des paris et jeux de hasard. En l’espèce, une société organisant des paris par téléphone avait sous-traité une partie de son activité à un prestataire de services. Ce dernier avait pour mission de fournir le personnel et l’équipement nécessaires à la réception des appels des parieurs et à l’enregistrement de leurs paris, au nom et pour le compte de l’organisateur. Le prestataire de services n’assumait aucun pouvoir d’appréciation ni aucun risque financier lié aux paris, sa rémunération étant calculée sur la base du volume d’appels traités.

La société mère du prestataire de services a soutenu que les prestations fournies devaient bénéficier de l’exonération de TVA applicable aux opérations de paris, arguant qu’elles constituaient une étape essentielle de la conclusion du contrat de pari. Les autorités fiscales nationales ont rejeté cette analyse, considérant qu’il s’agissait de simples prestations matérielles et administratives soumises à la taxe. Saisies du litige, les juridictions nationales ont successivement débouté la société requérante. La plus haute juridiction nationale a alors décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice.

Il était ainsi demandé si l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux opérations de paris s’étend à une prestation de services consistant à accepter, pour le compte d’un commettant, des paris de la part de clients, lorsque le prestataire agit sans pouvoir discrétionnaire et ne supporte aucun risque lié à l’activité de jeu.

La Cour de justice répond par la négative. Elle juge que la prestation de services d’un centre d’appels, effectuée au bénéfice d’un organisateur de paris par téléphone, ne constitue pas une opération de paris au sens de la directive et ne peut, par conséquent, bénéficier de l’exonération de TVA.

Cette solution, qui repose sur une définition restrictive de l’opération de pari, confirme la portée limitée des exonérations fiscales. Il convient ainsi d’analyser la consécration d’une approche fonctionnelle de la notion d’opération de pari (I), avant d’étudier le rappel de l’interprétation stricte des exonérations en matière de TVA (II).

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I. La consécration d’une approche fonctionnelle de l’opération de pari

La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse rigoureuse de la nature de l’activité exercée par le prestataire. Elle écarte ainsi du champ de l’exonération les prestations de pur support matériel et administratif (A), jugeant sans incidence le fait que ces prestations soient indispensables à la conclusion du contrat de pari (B).

A. L’exclusion des prestations de support matériel et administratif

La Cour examine la substance de la prestation fournie par le sous-traitant pour déterminer si elle peut être qualifiée d’« opération de paris ». Le prestataire met à disposition des locaux, du personnel et un équipement technique pour recueillir les paris, mais n’intervient ni dans la fixation des cotes, ni dans la gestion des gains et des pertes. Son rôle se limite à un enregistrement d’informations selon des directives précises établies par l’organisateur de paris.

La Cour souligne que l’exonération des jeux de hasard est justifiée par des « considérations d’ordre pratique », ces opérations se prêtant mal à l’application de la TVA. Pour définir l’opération de pari elle-même, la juridiction européenne retient des critères fonctionnels précis. Elle estime que l’activité du prestataire « ne se caractérise nullement par l’attribution d’une chance de gain aux parieurs et l’acceptation, en contrepartie, du risque de devoir financer ces gains et ne saurait dès lors être qualifiée d’opération de paris ». En d’autres termes, pour être qualifiée d’opération de pari, une prestation doit comporter les deux éléments essentiels que sont l’offre d’une espérance de gain et l’acceptation du risque économique qui en découle.

Le service fourni par le centre d’appels, bien que lié à l’activité de paris, n’est en réalité qu’une prestation de nature administrative et technique. Il ne constitue pas le cœur de l’opération de jeu, mais une simple modalité d’exécution externalisée. Par cette analyse, la Cour opère une distinction claire entre l’activité de jeu elle-même, qui est exonérée, et les services de soutien à cette activité, qui demeurent dans le champ d’application général de la TVA.

B. L’indifférence du caractère nécessaire de la prestation à la formation du contrat

L’argument principal de la société requérante reposait sur le fait que l’intervention de son personnel était l’acte par lequel le lien juridique entre le parieur et l’organisateur était créé. L’acceptation du pari par l’opérateur du centre d’appels matérialisait la conclusion du contrat. Cette prestation serait donc une fonction spécifique et essentielle de l’opération de pari.

La Cour écarte cet argument en affirmant que cette circonstance ne suffit pas à transformer la nature de la prestation. Elle reconnaît que l’acceptation des paris constitue un « élément, fût-il important, dans le déroulement de ceux-ci », mais elle refuse de lui conférer une portée décisive pour la qualification fiscale de l’opération. Le fait qu’une prestation soit une condition nécessaire à la réalisation d’une opération exonérée ne signifie pas qu’elle doive elle-même être exonérée.

Cette position démontre que la Cour privilégie la nature intrinsèque d’un service plutôt que son rôle dans une chaîne de valeur plus large. L’acte d’accepter un pari, lorsqu’il est accompli par un agent sans autonomie et sans prise de risque, est dépouillé de sa substance économique de jeu pour n’être plus qu’une formalité administrative externalisée. La solution confirme ainsi que seules les prestations qui réalisent par elles-mêmes les éléments constitutifs de l’opération de jeu peuvent prétendre à l’exonération.

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II. Le rappel de l’interprétation stricte des exonérations en matière de TVA

Au-delà de la définition de l’opération de pari, cet arrêt est l’occasion pour la Cour de justice de réaffirmer les principes directeurs de son interprétation du système commun de TVA. Elle refuse ainsi de transposer une jurisprudence développée pour les services financiers (A) et conforte la portée du principe de neutralité fiscale (B).

A. Le refus de la transposition de la jurisprudence relative aux services financiers

La société requérante tentait de s’appuyer sur la jurisprudence de la Cour relative aux opérations financières, notamment les arrêts SDC et CSC Financial Services. Dans ce domaine, la Cour a jugé que des prestations de services peuvent être exonérées si elles forment un tout distinct qui remplit les fonctions spécifiques et essentielles d’une opération financière, notamment en entraînant une modification de la situation juridique et financière entre les parties.

La Cour de justice rejette fermement cette analogie. Elle rappelle que la jurisprudence invoquée « ne saurait être transposée, mutatis mutandis, aux activités visées à l’article 13, B, sous f), de la sixième directive, dès lors que les objectifs à la base des exonérations prévues en matière d’opération de virements […] ne sont pas les mêmes que ceux ayant motivé l’exonération figurant à l’article 13, B, sous f), de cette même directive ». Cette précision est fondamentale, car elle souligne l’importance de l’interprétation téléologique en droit fiscal européen.

Chaque exonération poursuit une finalité propre. L’exonération des jeux de hasard répond à une difficulté d’ordre pratique, tandis que celle des opérations financières vise à ne pas entraver le fonctionnement des marchés financiers par une taxation complexe. En refusant la transposition, la Cour évite une extension incontrôlée des exonérations et préserve la cohérence du système. Elle confirme que l’analyse du caractère « spécifique et essentiel » d’une prestation doit toujours être menée à la lumière de la *ratio legis* de l’exonération concernée.

B. La portée de la solution au regard du principe de neutralité fiscale

En préambule de son raisonnement, la Cour rappelle que les exonérations constituent des dérogations au principe général d’assujettissement à la TVA et sont, à ce titre, d’interprétation stricte. Cette approche a pour corollaire de garantir le respect du principe de neutralité fiscale, lequel s’oppose à ce que des opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en matière de TVA.

En l’espèce, la solution retenue assure cette neutralité. Soumettre la prestation du centre d’appels à la TVA évite de créer une distorsion de concurrence entre les organisateurs de paris qui internalisent l’ensemble de leurs fonctions et ceux qui choisissent de sous-traiter certaines tâches administratives. Si la prestation externalisée était exonérée, les opérateurs recourant à la sous-traitance bénéficieraient d’un avantage fiscal indu, l’exonération s’étendant de fait à des services qui, par nature, ne sont pas des opérations de jeu.

La décision a pour portée de clarifier la frontière entre l’activité principale exonérée et les services en amont ou en aval qui y contribuent. Elle confirme qu’une entreprise ne peut fragmenter son activité et externaliser des fonctions de support en espérant que celles-ci bénéficient par contagion de l’exonération applicable à l’activité principale. Chaque prestation doit être analysée pour elle-même. La solution renforce ainsi la logique du système de TVA, où l’assujettissement est la règle et l’exonération une exception strictement délimitée.

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