Cour de justice de l’Union européenne, le 13 juillet 2016, n°C-187/15

Par un arrêt rendu le 13 juillet 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé la portée de l’article 45 du traité FUE. Un enseignant titulaire au sein d’une administration régionale a démissionné de ses fonctions pour occuper un poste similaire dans un autre État membre. En application du droit national, il a été affilié rétroactivement au régime général d’assurance vieillesse au détriment de ses expectatives de retraite de fonctionnaire. Cette mesure a engendré une perte financière mensuelle de plus de mille euros par rapport au montant initialement prévu pour sa carrière publique. Saisi du litige, le Tribunal administratif de Düsseldorf a sollicité une décision préjudicielle concernant la validité de ce dispositif au regard du droit de l’Union. La juridiction s’interroge sur la conformité d’une réglementation nationale entraînant la perte d’avantages de retraite spécifiques en cas de mobilité européenne. La Cour affirme qu’une telle législation constitue une restriction injustifiée dès lors qu’elle dissuade les agents publics d’exercer leur liberté de circulation.

I. L’entrave à la mobilité professionnelle par la dépréciation des droits sociaux

A. L’existence d’une restriction caractérisée à la libre circulation

La juridiction européenne rappelle que les États membres doivent respecter les libertés fondamentales du traité lorsqu’ils organisent leurs systèmes de sécurité sociale respectifs. Une mesure nationale devient illicite si elle désavantage les travailleurs souhaitant exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État de l’Union. Dans cette affaire, la réglementation impose au fonctionnaire démissionnaire de renoncer à son statut protecteur pour intégrer un régime de retraite nettement moins rémunérateur. La Cour souligne que « une telle réglementation constitue une restriction à la libre circulation des travailleurs » en raison de son caractère potentiellement dissuasif. Le mécanisme conditionne l’accès au marché du travail étranger à l’acceptation d’un sacrifice financier majeur sur les droits acquis durant la carrière d’origine. Cette situation place le migrant dans une position moins favorable que celle des agents effectuant la totalité de leurs services dans un seul État. La perte des avantages de sécurité sociale garantis par la législation d’un État membre vide de sa substance le droit de libre circulation.

B. L’échec de la justification par la stabilité de la fonction publique

L’administration employeuse invoquait l’objectif de garantir le bon fonctionnement du service public en assurant la loyauté et la stabilité de son personnel d’encadrement. La Cour admet qu’une mesure dissuadant les départs pourrait théoriquement assurer la continuité nécessaire à l’exécution des missions de l’autorité publique nationale. Elle relève toutefois que la législation examinée ne poursuit pas cet objectif de manière cohérente et systématique pour être jugée proportionnée. Les fonctionnaires peuvent conserver leurs droits lors d’une mutation vers une autre collectivité publique ou vers l’administration fédérale du même État membre. Cette différence de traitement démontre que la règle n’est pas propre à garantir la fidélité des agents envers leur administration d’origine en toutes circonstances. Le dispositif outrepasse les nécessités de l’intérêt général puisque certains territoires voisins prévoient des solutions moins restrictives pour préserver les annuités acquises. La restriction ne saurait donc être validée dès lors qu’elle pénalise exclusivement la mobilité internationale sans assurer une protection uniforme des ressources humaines.

II. L’exigence d’une égalité de traitement dans la gestion des droits acquis

A. L’imposition d’une compensation pour les périodes d’activité accomplies

La décision souligne que le travailleur migrant ne doit pas être traité de façon moins avantageuse que celui qui a effectué sa carrière complète. La Cour exige que l’intéressé dispose de droits à une pension de vieillesse comparables à ceux offerts aux agents bénéficiant d’une mutation interne. Le cadre juridique applicable aux fonctionnaires mobiles au sein du même État constitue le seul système de référence valable pour restaurer l’égalité. L’objectif consiste à neutraliser l’effet négatif du changement d’employeur sur le montant de la prestation finale perçue par l’ancien agent public. Les juges considèrent que « les membres du groupe défavorisé doivent être traités de la même façon et se voir appliquer le même régime ». Cette protection assure que les années de service accomplies sous le statut de fonctionnaire produisent des effets identiques malgré l’exercice du droit au déplacement. L’équivalence des prestations devient ainsi la condition impérative pour garantir que la mobilité européenne ne se traduise pas par une perte irrémédiable de droits sociaux.

B. La mission de protection juridictionnelle confiée au juge national

Le juge de l’État membre doit garantir la pleine effectivité du droit de l’Union en utilisant toutes les méthodes d’interprétation reconnues par son ordre interne. Il lui incombe d’interpréter les dispositions nationales de manière conforme aux exigences de l’article 45 du traité FUE pour protéger les particuliers. Si une telle lecture s’avère impossible, la juridiction administrative a l’obligation de laisser inappliquée toute règle contraire pour assurer le respect des libertés. Cette obligation de protection implique d’octroyer une compensation financière couvrant la différence entre le régime général et les expectatives perdues de la fonction publique. Le juge national doit veiller à ce que l’organisme public verse une pension calculée sur la base du nombre total d’annuités accomplies précédemment. Cette solution renforce la primauté du droit de l’Union en imposant une réparation concrète aux entraves financières subies par les travailleurs migrants. La sécurité juridique des agents publics repose désormais sur la capacité des tribunaux internes à écarter les mécanismes nationaux générateurs de discriminations injustifiées.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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