L’arrêt soumis à commentaire est une décision préjudicielle rendue par la Cour de justice de l’Union européenne, qui a été saisie par une juridiction allemande, l’Arbeitsgericht Verden. Le litige principal oppose une ancienne salariée à son employeur au sujet des modalités de calcul de sa retraite d’entreprise. Cette salariée, ayant alterné au cours de sa carrière des périodes de travail à temps plein et à temps partiel, contestait la méthode de calcul de sa pension, estimant qu’elle entraînait une discrimination indirecte à l’encontre des travailleurs à temps partiel, ainsi qu’une discrimination fondée sur l’âge. La juridiction de renvoi a donc interrogé la Cour sur la compatibilité de la réglementation nationale et des dispositions conventionnelles applicables avec plusieurs directives européennes, notamment celles relatives au travail à temps partiel, à l’égalité de traitement entre hommes et femmes, et à la lutte contre la discrimination fondée sur l’âge. La question juridique posée à la Cour était double : d’une part, une méthode de calcul de pension qui applique des taux différents aux tranches de rémunération situées au-dessus et en dessous d’un plafond national, et qui utilise un taux d’activité moyen pour toute la carrière, est-elle discriminatoire envers les travailleurs à temps partiel ? D’autre part, un système qui plafonne le nombre d’années de service prises en compte pour le calcul de la retraite constitue-t-il une discrimination illicite fondée sur l’âge ? En réponse, la Cour de justice a jugé que ni la méthode de calcul différenciée ni le plafonnement des annuités n’étaient contraires au droit de l’Union. Elle a considéré que la méthode de calcul respectait le principe du *pro rata temporis* et poursuivait un objectif légitime, et que le plafonnement des années de service, bien que potentiellement désavantageux pour les salariés ayant commencé leur carrière plus jeunes, était justifié par des objectifs légitimes de politique de l’emploi et de prévisibilité des charges pour l’employeur.
La solution de la Cour s’articule autour de deux axes principaux. Elle valide d’abord la méthode de calcul de la pension au regard du principe de non-discrimination des travailleurs à temps partiel (I), avant de rejeter ensuite l’existence d’une discrimination fondée sur l’âge en admettant les justifications avancées (II).
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I. La validation d’une méthode de calcul de pension au regard du principe de non-discrimination des travailleurs à temps partiel
La Cour examine la méthode de calcul contestée sous le double prisme de la formule différenciée (A) et de l’application du principe *pro rata temporis* (B), pour conclure à l’absence de discrimination.
A. La justification objective d’une formule de calcul différenciée
Le litige portait sur une formule de calcul de la retraite d’entreprise qui distinguait les revenus inférieurs au plafond de calcul des cotisations sociales et ceux supérieurs à ce plafond, en appliquant un taux de valorisation plus élevé à ces derniers. La requérante soutenait que cette méthode était défavorable aux travailleurs à temps partiel, dont la rémunération se situe plus rarement au-dessus de ce plafond. La Cour écarte cet argument en se fondant sur la finalité même du régime de retraite complémentaire. Elle observe que ce régime vise à compléter les prestations de l’assurance retraite obligatoire, lesquelles sont par nature plafonnées. La formule différenciée a précisément pour objectif de « prendre en compte la différence de besoin de couverture pour les tranches de rémunération inférieures et supérieures au plafond de calcul des cotisations ».
En ce sens, la Cour juge que la méthode de calcul employée par l’employeur, qui applique la formule au salaire déjà réduit en proportion du temps de travail, est cohérente avec cet objectif. Adopter la méthode alternative proposée par la salariée, qui consisterait à calculer la pension sur un revenu fictif à temps plein avant d’appliquer la réduction, conduirait à « surestimer l’activité professionnelle de l’intéressée, et conduirait à établir des droits nettement plus élevés sans rapport avec l’activité effective exercée ». La Cour conclut que l’objectif poursuivi constitue une raison objective justifiant la différence de traitement, conformément à la clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel. La solution consacre ainsi une approche pragmatique, attentive à la logique économique et sociale qui sous-tend les régimes de retraite d’entreprise, refusant de créer un avantage injustifié pour les travailleurs à temps partiel.
B. Le principe du pro rata temporis comme critère central d’appréciation
La seconde critique de la requérante portait sur l’utilisation d’un taux d’activité uniforme pour l’ensemble de sa carrière, qui combinait ses périodes de travail à temps plein et à temps partiel. La Cour aborde cette question en se référant au principe directeur du *pro rata temporis*, consacré par la clause 4, point 2, de l’accord-cadre. Elle rappelle que la prise en compte de la durée de travail effectivement accomplie constitue un critère objectif et étranger à toute discrimination. Selon elle, la détermination d’un taux de temps partiel moyen sur la carrière apparaît comme une méthode permettant d’apprécier le volume global de travail fourni.
La Cour ne valide pas cette méthode de calcul de manière absolue. Elle la déclare compatible avec le droit de l’Union « dans la mesure où cette méthode de calcul de la pension de retraite n’enfreint pas la règle du prorata temporis ». Ce faisant, elle renvoie à la juridiction nationale le soin d’opérer cette vérification factuelle. Cette démarche illustre la répartition des compétences entre la Cour de justice et les juridictions nationales dans le cadre du renvoi préjudiciel. La Cour énonce le principe d’interprétation pertinent, mais laisse au juge du fond le soin de l’appliquer aux circonstances spécifiques de l’espèce. La portée de cette partie de la décision est donc de confirmer que la proportionnalité est la clé de voûte de l’appréciation, toute méthode de calcul étant acceptable pour autant qu’elle reflète fidèlement la durée de travail accomplie par le salarié.
II. Le rejet de la discrimination fondée sur l’âge au profit de la justification par des objectifs légitimes
La Cour se penche ensuite sur la seconde question préjudicielle, relative à une potentielle discrimination fondée sur l’âge. Elle écarte cette qualification en opérant une distinction entre l’âge et l’ancienneté (A), puis en admettant la validité des justifications avancées pour la différence de traitement (B).
A. La distinction entre l’âge et l’ancienneté comme fondement du traitement différencié
Le plan de pension prévoyait un plafonnement des années de service prises en compte pour le calcul de la retraite à trente-cinq ans. La juridiction de renvoi soulignait que ce mécanisme pouvait désavantager les salariés ayant commencé à travailler jeunes, car ils atteignaient ce plafond plus tôt et voyaient leurs années de service ultérieures non prises en compte dans le calcul proportionnel de leur pension en cas de départ anticipé. La Cour commence son analyse en relevant que la réglementation n’est pas directement fondée sur l’âge, mais sur « celui de l’ancienneté dans l’entreprise ».
Néanmoins, elle ne s’arrête pas à cette constatation formelle et examine l’existence d’une possible discrimination indirecte. Elle reconnaît que l’interaction entre le plafonnement des annuités et la méthode de calcul *prorata temporis* pour les départs anticipés peut aboutir à ce que les salariés les plus jeunes au moment de leur embauche soient défavorisés. Ayant constaté l’existence d’une telle différence de traitement potentiellement liée à l’âge, la Cour procède à l’étape suivante de son raisonnement : l’examen de sa justification. Cette démarche, en deux temps, est classique dans le contentieux de la discrimination et montre que la Cour ne se satisfait pas d’une analyse superficielle du critère mobilisé par la réglementation.
B. L’admission d’objectifs de politique sociale et de prévisibilité économique
En application de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78, une différence de traitement fondée sur l’âge peut être justifiée si elle poursuit un objectif légitime et si les moyens pour l’atteindre sont appropriés et nécessaires. La Cour identifie plusieurs objectifs légitimes poursuivis par la réglementation nationale. Il s’agit notamment de « récompenser la fidélité des salariés à l’entreprise », mais aussi de garantir à l’employeur que la charge financière liée aux pensions reste « claire et calculable ». Plus largement, elle considère que de tels mécanismes visent à « établir un équilibre entre les intérêts en présence, dans le cadre de préoccupations relevant de la politique de l’emploi et de la protection sociale ».
La Cour estime que les moyens employés sont appropriés et nécessaires pour atteindre ces objectifs. Elle souligne qu’il ne saurait y avoir d’incitation à rester dans l’entreprise jusqu’à l’âge de la retraite sans accorder un avantage à ceux qui font ce choix par rapport à ceux qui partent prématurément. Cette approche révèle une vision pragmatique, qui prend en compte le caractère souvent volontaire des régimes de retraite d’entreprise et la nécessité pour les employeurs de maîtriser leurs engagements financiers à long terme. En validant ces justifications, la Cour accorde une marge d’appréciation significative aux États membres et aux partenaires sociaux dans la conception de ces régimes, pourvu qu’ils reposent sur un équilibre cohérent entre les intérêts des salariés et ceux des entreprises.