Par un arrêt en date du 13 juillet 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le régime juridique applicable à l’attribution d’espaces au sein d’une plateforme aéroportuaire destinés à la fourniture de services d’assistance en escale. Cette décision clarifie l’articulation entre les règles relatives aux marchés publics dans les secteurs spéciaux et celles, plus spécifiques, régissant l’accès au marché de l’assistance en escale.
En l’espèce, une société gestionnaire d’un aéroport italien avait attribué un entrepôt à un opérateur économique afin de lui permettre d’y exercer une activité de prestation de services d’assistance. Une autre entreprise, également active sur la plateforme aéroportuaire et estimant avoir des besoins similaires en termes d’espaces, a contesté cette attribution directe devant les juridictions nationales.
La société requérante a saisi le Tribunal administratif régional pour la Lombardie d’un recours en annulation contre l’acte d’attribution, arguant de son illégalité en l’absence de procédure préalable d’appel d’offres. La juridiction de renvoi, constatant l’applicabilité potentielle de deux corps de règles distincts du droit de l’Union, a interrogé la Cour de justice. Elle a cherché à déterminer si les dispositions de la directive 2004/17 sur les marchés publics, qui visent l’exploitation d’une aire géographique pour mettre des aéroports à disposition, devaient prévaloir sur une législation nationale transposant la directive 96/67, laquelle n’impose une procédure d’appel d’offres que dans des cas limités de restriction d’accès au marché de l’assistance en escale. La question de droit posée était donc de savoir si l’article 7 de la directive 2004/17 faisait obstacle à une réglementation nationale qui ne soumet pas l’attribution d’espaces aéroportuaires à une procédure systématique d’appel d’offres.
La Cour répond par la négative, considérant que l’opération en cause ne relevait pas du champ d’application de la directive 2004/17. Elle juge que l’attribution d’un espace aéroportuaire sans contrepartie financière versée par le gestionnaire ne constitue pas un marché public de services. La Cour précise par conséquent que le régime applicable est celui de la directive 96/67, qui encadre l’accès aux installations aéroportuaires sans pour autant imposer une mise en concurrence systématique.
La solution de la Cour repose sur une distinction claire entre les différentes qualifications juridiques d’un contrat, ce qui conduit à écarter le droit des marchés publics au profit d’un régime sectoriel spécifique.
I. L’inapplicabilité de la directive sur les marchés publics à l’attribution d’espaces aéroportuaires
La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse rigoureuse de la nature du contrat en cause au principal, ce qui la conduit à rejeter l’application de la directive 2004/17. Elle constate d’abord que les conditions de qualification d’un marché public ne sont pas remplies, avant de rappeler que même une qualification de concession de services aurait abouti à la même exclusion.
A. L’absence d’un marché de services ou d’une concession soumise à la directive
L’applicabilité de la directive 2004/17 était conditionnée par la qualification de l’opération en tant que marché public de services ou de concession de services régie par ses dispositions. La Cour écarte rapidement la première hypothèse en relevant un élément essentiel du contrat. Elle souligne en effet que « le contrat en cause au principal, tel que présenté par la juridiction de renvoi, ne peut être qualifié de “marché de services”, dès lors que l’entité gestionnaire de l’aéroport de Milan Malpensa n’a pas acquis un service fourni par le prestataire contre rémunération ». L’absence de contrepartie financière versée par l’entité adjudicatrice à l’opérateur économique est déterminante, car elle fait défaut à la définition même du marché public, qui est un contrat à titre onéreux pour la satisfaction d’un besoin de l’entité adjudicatrice.
La Cour examine ensuite, implicitement, si le contrat pourrait relever de la catégorie des concessions de services. Toutefois, elle écarte cette analyse en précisant que l’issue serait identique. En vertu de l’article 18 de la directive 2004/17, les concessions de services octroyées pour l’exercice des activités visées à l’article 7, y compris l’exploitation d’aéroports, sont expressément exclues de son champ d’application. Cette exclusion rendait donc inopérant tout débat sur la qualification exacte du contrat, car, dans tous les cas, la directive sur les marchés publics des secteurs spéciaux ne pouvait régir l’attribution litigieuse.
B. La primauté de la directive sectorielle sur l’assistance en escale
En écartant la directive 2004/17, la Cour confirme que le cadre juridique pertinent est celui de la directive 96/67, relative à l’accès au marché de l’assistance en escale. Cette directive établit un régime spécifique visant à libéraliser ce secteur en garantissant un accès plus large des prestataires aux infrastructures aéroportuaires. Plutôt que d’imposer des procédures de passation formalisées, elle se concentre sur les conditions d’exercice de l’activité et sur l’accès aux installations.
La solution met ainsi en lumière une hiérarchie des normes où la loi spéciale, conçue pour un secteur particulier, l’emporte sur la loi générale. La Cour valide une approche où la réglementation sectorielle, avec ses propres mécanismes de régulation, suffit à encadrer l’attribution des espaces nécessaires à la prestation de services. Loin d’être un vide juridique, cette situation renvoie à un corpus de règles différent, axé non pas sur la procédure d’achat public, mais sur les conditions d’une mise en concurrence effective entre les opérateurs sur le marché de l’assistance en escale.
Cette clarification conduit à examiner les obligations qui incombent au gestionnaire aéroportuaire non pas au regard des procédures de marché public, mais au regard des principes de concurrence loyale.
II. La consécration d’un régime d’attribution fondé sur la concurrence loyale
Si la Cour écarte l’obligation de recourir à un appel d’offres, elle ne laisse pas pour autant les gestionnaires d’aéroports sans contraintes. Elle rappelle que l’attribution des espaces doit se conformer à des exigences strictes de transparence et d’équité, ce qui offre une flexibilité encadrée à la gestion aéroportuaire.
A. L’exigence de critères objectifs, transparents et non discriminatoires
La Cour de justice souligne que l’entité gestionnaire d’un aéroport reste soumise aux dispositions de la directive 96/67, et notamment à son article 16, paragraphe 2. Cette disposition impose que la répartition des espaces disponibles se fasse d’une manière qui permette une concurrence effective. Pour ce faire, la répartition doit s’opérer « sur la base de règles et de critères pertinents, objectifs, transparents et non discriminatoires ». L’absence d’une procédure d’appel d’offres formalisée ne signifie donc pas un pouvoir discrétionnaire ou arbitraire du gestionnaire.
Ce dernier doit être en mesure de justifier ses décisions d’attribution au regard de ces critères. La transparence implique que les règles du jeu soient connues de tous les opérateurs potentiels, tandis que l’objectivité et la non-discrimination garantissent que chaque prestataire, y compris les nouveaux entrants, soit traité de manière équitable. Il appartient à la juridiction nationale, comme le rappelle la Cour, de vérifier si, en l’espèce, ces conditions ont bien été respectées par le gestionnaire aéroportuaire. La charge de la preuve d’une concurrence loyale et effective repose donc sur des éléments concrets et vérifiables.
B. La portée de la solution pour la flexibilité de la gestion aéroportuaire
En validant une réglementation nationale qui n’impose pas un appel d’offres systématique, la Cour offre une souplesse appréciable aux gestionnaires d’infrastructures complexes comme les aéroports. Elle reconnaît implicitement que les contraintes d’espace et la nécessité de répondre rapidement aux besoins des opérateurs, parfois de manière temporaire, ne sont pas toujours compatibles avec la lourdeur et les délais d’une procédure de marché public. La solution permet une gestion plus dynamique et réactive des infrastructures aéroportuaires.
Cette flexibilité n’est cependant pas absolue. Elle est contrebalancée par les principes stricts de concurrence loyale issus de la directive 96/67. L’arrêt établit ainsi un équilibre entre l’efficacité opérationnelle et la garantie d’un accès juste et équitable au marché pour tous les prestataires de services d’assistance en escale. La portée de cette décision est donc importante, car elle confirme que la libéralisation d’un secteur peut s’accommoder d’instruments de régulation moins formels que les procédures de marchés publics, à condition que les principes fondamentaux du droit de l’Union, notamment celui de non-discrimination, soient préservés.