L’arrêt soumis au commentaire, rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, porte sur l’articulation des règles de coordination des systèmes de sécurité sociale. En l’espèce, un ressortissant polonais exerçait une activité non salariée en Pologne, son État de résidence, et cumulait cette activité avec un emploi salarié en Slovaquie. L’organisme d’assurance sociale polonais avait déterminé que la législation polonaise était applicable, considérant l’activité salariée en Slovaquie comme étant marginale. Cette décision a été notifiée à l’institution slovaque compétente qui, ne l’ayant pas contestée, l’a rendue définitive et a radié l’intéressé de l’assurance slovaque. Le travailleur a contesté cette radiation devant les juridictions slovaques. Saisie en dernière instance, la Cour suprême de la République slovaque a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de l’article 13, paragraphe 3, du règlement de base n° 883/2004. La juridiction de renvoi cherchait à savoir si cette disposition, qui en cas de cumul d’une activité salariée et non salariée dans deux États membres désigne la législation de l’État d’emploi salarié, pouvait être appliquée isolément, sans tenir compte des modalités prévues par le règlement d’application n° 987/2009, notamment celles relatives aux activités marginales. Le problème de droit posé à la Cour était donc de déterminer si les critères et procédures du règlement d’application s’imposent pour l’interprétation et la mise en œuvre de la règle de conflit édictée par le règlement de base. La Cour y répond par l’affirmative, en jugeant que la détermination de la législation applicable à une personne qui exerce une activité salariée et une activité non salariée dans différents États membres doit nécessairement prendre en compte les exigences énoncées dans le règlement d’application.
La solution retenue par la Cour de justice clarifie la relation hiérarchique et fonctionnelle entre les règlements de coordination, affirmant l’application combinée des textes pour déterminer la loi applicable (I). Ce faisant, elle consolide le cadre procédural de la coopération entre les institutions nationales, garantissant ainsi la sécurité juridique et l’effectivité du principe d’unicité de la législation sociale (II).
I. L’affirmation d’une application coordonnée des règlements de sécurité sociale
La Cour rappelle d’abord la règle de conflit applicable en cas de pluriactivité sur le territoire de l’Union avant de préciser que sa mise en œuvre dépend indissociablement des modalités fixées par le règlement d’application.
A. Le principe de l’unicité de la législation applicable en cas de pluriactivité
Afin d’assurer l’exercice effectif de la libre circulation des personnes, le droit de l’Union a instauré un système de coordination des législations nationales de sécurité sociale. Ce système repose sur le principe cardinal de l’unicité de la législation applicable, énoncé à l’article 11 du règlement n° 883/2004, qui vise à éviter les conflits de lois et les inégalités de traitement. Pour les situations complexes de pluriactivité, l’article 13 du même règlement établit des règles de conflit spécifiques. Dans le cas d’une personne qui exerce simultanément une activité salariée dans un État membre et une activité non salariée dans un autre, la Cour confirme que la règle de principe est claire. Elle énonce que, dans une telle situation, « la personne est soumise à la législation de l’État membre dans lequel elle exerce une activité salariée ». Cette règle de rattachement a pour but de simplifier la situation de l’assuré en le soumettant à un seul régime de sécurité sociale, celui de son statut de travailleur salarié, généralement considéré comme offrant une protection plus complète.
Cependant, la simplicité apparente de cette règle est confrontée à la diversité des situations concrètes, notamment lorsque l’une des activités exercées présente une faible importance économique. C’est précisément pour encadrer ces cas que le règlement d’application intervient, non pour contredire la règle de base, mais pour en préciser les conditions d’application.
B. La prise en compte nécessaire des modalités du règlement d’application
La Cour de justice rejette l’idée selon laquelle le règlement de base pourrait être interprété de manière autonome, sans égard pour les dispositions du règlement d’application. Elle juge que les deux textes forment un tout indissociable. Le règlement n° 987/2009 a pour objet de fixer les modalités d’application du règlement n° 883/2004 et contient des dispositions essentielles pour résoudre les cas pratiques. En l’occurrence, l’article 14, paragraphe 5 ter, du règlement d’application stipule que « les activités marginales ne sont pas prises en compte aux fins de la détermination de la législation applicable au titre de l’article 13 du règlement de base ». La Cour en déduit logiquement que l’examen du caractère non marginal d’une activité est un préalable indispensable à l’application de la règle de conflit de l’article 13, paragraphe 3. Ainsi, la Cour juge que « l’article 13, paragraphe 3, du règlement de base doit être interprété en ce sens que, en vue de la détermination de la législation nationale applicable […], il convient de tenir compte des exigences énoncées à l’article 14, paragraphe 5 ter, et à l’article 16 du règlement (ce) n o 987/2009 ». En liant l’interprétation de la règle de fond aux critères définis par le règlement d’application, la Cour prévient les risques d’une application mécanique du droit qui ignorerait la réalité économique des activités exercées.
Cette approche pragmatique renforce non seulement la cohérence du système de coordination, mais elle valide également le rôle central des procédures de dialogue entre les institutions des États membres.
II. La consolidation du cadre procédural de la coordination
En imposant de tenir compte du règlement d’application, la Cour met en lumière le caractère impératif des règles de conflit et, par extension, le rôle essentiel dévolu au dialogue institutionnel pour leur mise en œuvre.
A. Le caractère impératif des règles de conflit de lois
La Cour rappelle avec force que les règles de coordination des systèmes de sécurité sociale ne sont pas à la libre disposition des assurés. Elles s’imposent de manière impérative tant aux États membres qu’aux personnes qui relèvent de leur champ d’application. Cette solution jurisprudentielle constante est rappelée en des termes dénués d’ambiguïté : « il ne saurait être admis que les assurés sociaux relevant du champ d’application de ces règles puissent en contrecarrer les effets en disposant du choix de s’y soustraire ». En affirmant cela, la Cour souligne que le système de coordination n’est pas un simple mécanisme de facilitation, mais un ensemble de règles d’ordre public européen destiné à assurer la prévisibilité et la continuité de la protection sociale pour les travailleurs mobiles. Le refus de permettre à l’assuré de choisir sa législation applicable, même si elle pouvait lui paraître plus favorable, est le corollaire du principe d’unicité. L’application de la notion d’activité marginale participe de cette logique, en évitant que des activités de très faible envergure ne déclenchent artificiellement l’application d’une législation qui ne correspond pas au centre des intérêts économiques et sociaux de la personne.
Ce caractère impératif ne peut toutefois être effectif sans un mécanisme de coopération loyal et efficace entre les autorités nationales, ce que la Cour prend soin de souligner.
B. Le rôle central du dialogue entre les institutions nationales
La Cour valide implicitement la procédure suivie en l’espèce en insistant sur la nécessité de tenir compte de l’article 16 du règlement d’application. Cet article organise la procédure de dialogue et de détermination de la législation applicable. Lorsqu’une institution d’un État membre estime que la législation d’un autre État membre est applicable, elle en informe l’institution de cet autre État. Cette dernière dispose d’un délai pour contester cette détermination. L’absence de contestation dans le délai imparti rend la détermination définitive. Dans l’affaire au principal, l’organisme polonais avait qualifié l’activité en Slovaquie de marginale et en avait informé son homologue slovaque. Ce dernier n’ayant pas exprimé de désaccord, la législation polonaise est devenue applicable de manière contraignante. En jugeant que cette procédure doit être prise en compte, la Cour consacre le mécanisme de coopération administrative comme l’outil privilégié et obligatoire pour résoudre les conflits de lois. Cette solution a la vertu de renforcer la sécurité juridique en stabilisant la situation de l’assuré à l’issue d’un dialogue institutionnel encadré. Elle incite les institutions nationales à une vigilance accrue et à un usage responsable de cette procédure, qui constitue la clef de voûte de l’application uniforme et efficace des règlements de coordination.