Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à préciser la finalité d’une obligation procédurale imposée à l’employeur dans le cadre d’un projet de licenciement collectif. En l’espèce, un travailleur employé depuis 1981 a fait l’objet d’un licenciement dans le contexte de la cessation d’activité de son entreprise, placée en procédure d’insolvabilité. Avant de notifier les licenciements, l’employeur, en la personne de l’administrateur judiciaire, a engagé la procédure de consultation du comité d’entreprise. Il a cependant omis de transmettre simultanément à l’autorité publique compétente une copie de la communication écrite adressée aux représentants du personnel, manquement à une exigence de la législation nationale transposant la directive 98/59/CE.
Le travailleur a saisi les juridictions du travail allemandes afin de faire constater la nullité de son licenciement, arguant que cette omission constituait une violation substantielle. Après le rejet de ses demandes en première et deuxième instance, la Cour fédérale du travail, saisie d’un recours, a sursis à statuer. Elle a interrogé la Cour de justice sur la finalité de l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de la directive, qui impose la transmission de cette copie à l’autorité publique. La juridiction de renvoi cherchait à déterminer si cette disposition visait à conférer une protection individuelle aux travailleurs, ce qui, en droit interne, aurait pour conséquence la nullité de l’acte de licenciement en cas de violation.
Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si l’obligation pour l’employeur de transmettre à l’autorité publique une copie des informations communiquées aux représentants du personnel au début de la phase de consultation a pour but de protéger individuellement les salariés concernés par un projet de licenciement collectif.
À cette question, la Cour de justice a répondu par la négative. Elle juge que cette obligation n’a pas pour finalité de conférer une protection individuelle aux travailleurs. La Cour retient que la transmission de ces informations, qui intervient à un stade précoce et évolutif de la procédure, vise uniquement à informer l’autorité publique et à lui permettre de se préparer. La protection conférée est donc de nature collective, et non individuelle. Cette décision opère une distinction claire entre les différentes étapes de la procédure de licenciement collectif et la finalité de chacune des obligations qui en découlent (I), ce qui a pour effet de limiter la nature de la protection offerte aux salariés à ce stade (II).
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I. La distinction fonctionnelle des obligations d’information de l’employeur
La Cour fonde son interprétation sur une analyse contextuelle et téléologique de la directive, différenciant nettement la phase de consultation de la procédure de licenciement elle-même. Cette analyse met en lumière le caractère préparatoire de l’obligation de transmission (A) et le rôle passif de l’autorité publique à ce stade initial (B).
A. Une obligation inscrite dans la phase de consultation préalable
L’arrêt souligne que l’obligation de transmission de l’information à l’autorité publique est prévue à l’article 2 de la directive 98/59, qui figure dans la section intitulée « Information et consultation ». Elle se situe donc en amont de la procédure formelle de licenciement collectif régie par la section III. À ce moment, les licenciements ne sont qu’« envisagés » et les consultations avec les représentants du personnel visent précisément, selon les termes de la directive, « d’éviter des résiliations de contrats de travail ou d’en réduire le nombre ainsi que d’en atténuer les conséquences ».
La Cour relève que les informations communiquées à ce stade sont par nature évolutives. Elles sont destinées à permettre aux représentants du personnel de « formuler des propositions constructives » et peuvent être ajustées tout au long des discussions. La transmission d’une copie de ces informations initiales à l’autorité publique ne lui donne donc qu’une image provisoire et incomplète de la situation. Cette temporalité justifie que l’on ne puisse attacher à cette simple transmission les mêmes effets qu’à la notification formelle du projet de licenciement.
B. Un rôle purement informatif et préparatoire de l’autorité publique
La Cour établit une distinction fondamentale entre la réception de la copie de la communication, qui n’assigne aucun rôle actif à l’autorité publique, et la notification du projet de licenciement prévue à l’article 3. C’est cette dernière notification qui déclenche un délai et l’obligation pour l’autorité de « chercher des solutions aux problèmes posés par les licenciements collectifs ». Au stade antérieur de la simple transmission, l’autorité n’est qu’une destinataire passive.
L’objectif de cette transmission précoce est donc, selon la Cour, purement informatif et préparatoire. Elle permet à l’autorité « d’anticiper autant que faire se peut les conséquences négatives de licenciements collectifs envisagés afin de pouvoir chercher efficacement des solutions aux problèmes posés par ces licenciements lorsqu’ils lui seront notifiés ». Cette finalité, confirmée par la genèse de la directive originelle de 1975, est orientée vers la gestion future du marché du travail et non vers une intervention dans la situation individuelle des salariés concernés par le projet.
II. La portée circonscrite de la protection accordée aux travailleurs
En définissant la finalité de l’obligation, la Cour de justice en détermine logiquement la portée, qui se révèle être de nature exclusivement collective. Cette interprétation consacre une protection collective (A) et exclut par conséquent que la violation de cette obligation procédurale puisse être sanctionnée par la nullité du licenciement individuel (B).
A. La consécration d’une protection de nature collective
L’apport principal de l’arrêt est de qualifier la nature de la protection conférée par la disposition litigieuse. Puisque l’action de l’autorité publique à ce stade « n’a pas vocation […] à traiter la situation individuelle de chacun des travailleurs mais vise à appréhender de manière globale les licenciements collectifs envisagés », la protection qui en découle ne peut être qu’indirecte et collective. La Cour énonce ainsi clairement que « l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de cette directive confère aux travailleurs une protection collective et non individuelle ».
Cette solution est cohérente avec la jurisprudence antérieure qui considère que le droit à l’information et à la consultation est conçu au bénéfice des travailleurs en tant que collectivité. La transmission de l’information à l’autorité publique s’inscrit dans cette même logique : elle a pour objet de permettre une gestion macroéconomique des conséquences sociales d’une restructuration, et non de créer un droit subjectif pour chaque salarié.
B. L’exclusion implicite de la nullité du licenciement comme sanction
Bien que la Cour ne se prononce pas directement sur la sanction applicable en droit national, sa réponse en dessine les contours de manière certaine. En jugeant que la disposition ne vise pas à conférer une protection individuelle, elle prive la juridiction de renvoi du fondement qui, en droit allemand, lui aurait permis de prononcer la nullité du licenciement. Le principe d’effectivité n’impose pas une sanction aussi radicale pour une règle dont la finalité est administrative et préparatoire.
La portée de cet arrêt est donc significative pour l’ensemble des États membres. Il clarifie que toutes les irrégularités procédurales dans le cadre d’un licenciement collectif n’emportent pas les mêmes conséquences. Une distinction doit être opérée entre les manquements qui portent atteinte aux droits collectifs de consultation, susceptibles d’affecter la validité de la procédure, et les manquements à des obligations d’information envers les autorités publiques, dont la sanction relève d’une autre logique et ne saurait, sauf disposition nationale expresse contraire, fonder une action en nullité individuelle.