Cour de justice de l’Union européenne, le 13 juillet 2023, n°C-313/22

Par une décision rendue sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions de pérennité des investissements cofinancés par les Fonds structurels. En l’espèce, un bénéficiaire de fonds européens avait cédé un établissement ayant fait l’objet d’un investissement cofinancé. L’autorité nationale compétente, en application d’une disposition interne interdisant toute cession durant une période de cinq ans, a initié une procédure de recouvrement de l’aide. Saisie du litige, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur la compatibilité de cette réglementation nationale avec le droit de l’Union, notamment le règlement (CE) n° 1260/1999. Il s’agissait donc de déterminer si une législation nationale peut imposer une interdiction de cession inconditionnelle d’un actif cofinancé, sous peine d’une correction financière systématique, alors que le droit de l’Union ne sanctionne que les « modifications importantes » affectant l’opération. La Cour était également invitée à clarifier les conséquences d’une telle cession lorsqu’elle est qualifiée de modification importante. La Cour de justice répond que la cession d’un établissement peut constituer une « modification importante », dont l’appréciation relève du juge national, et que le droit de l’Union s’oppose à une réglementation nationale instaurant une interdiction générale et absolue. Elle ajoute que si une telle modification importante est avérée, des corrections financières doivent être appliquées. L’arrêt définit ainsi une approche flexible de la pérennité des investissements (I), tout en affirmant le caractère obligatoire des conséquences financières en cas de manquement avéré (II).

I. La notion flexible de « modification importante » de l’investissement

La Cour de justice consacre une interprétation souple de la condition de pérennité des opérations, s’opposant à la rigidité de la loi nationale. Elle confie au juge national une appréciation au cas par cas de la notion de modification importante (A), ce qui la conduit logiquement à censurer l’interdiction inconditionnelle posée par la réglementation interne (B).

A. L’appréciation in concreto de la modification de l’investissement

La Cour de justice interprète l’article 30, paragraphe 4, du règlement n° 1260/1999 en précisant que « la cession d’un établissement faisant l’objet d’une opération d’investissement cofinancée par les Fonds structurels de l’Union européenne est susceptible de constituer une “modification importante” de cette opération ». Elle ne pose cependant pas de principe d’équivalence automatique entre la cession et la modification importante. Au contraire, elle renvoie cette analyse à la juridiction nationale en ajoutant qu’il lui « appartient […] de vérifier compte tenu de tous les éléments de fait et de droit en cause ». Cette méthode d’appréciation *in concreto* permet d’éviter une sanction systématique qui ne tiendrait pas compte des circonstances propres à chaque opération. Le juge national devra ainsi examiner si la cession affecte la nature ou les conditions de mise en œuvre de l’opération d’une manière qui en compromet les objectifs initiaux, tels que la création ou le maintien d’emplois dans une région déterminée. Une telle approche privilégie la substance de l’investissement sur son formalisme juridique.

B. La censure d’une interdiction nationale inconditionnelle

En conséquence de cette approche pragmatique, la Cour de justice établit une incompatibilité directe entre le droit de l’Union et une législation nationale trop stricte. Elle juge que le règlement « s’oppose à une réglementation nationale qui fait obligation au bénéficiaire d’une subvention […] de ne pas céder, sans exception, durant cinq ans […] un établissement faisant l’objet de cette opération ». En invalidant une clause de pérennité aussi rigide, la Cour réaffirme le principe de primauté du droit de l’Union et son effet direct. Elle protège ainsi la liberté d’entreprendre du bénéficiaire de l’aide, qui n’est pas indéfiniment lié à un actif dès lors que la finalité de la subvention n’est pas trahie. Cette solution assure un juste équilibre entre la nécessité de garantir l’efficacité des Fonds structurels et la flexibilité requise pour la vie économique des entreprises, qui ne sauraient être paralysées par des contraintes disproportionnées.

Une fois la qualification de modification importante établie, ses conséquences financières et juridiques doivent être examinées.

II. Les conséquences obligatoires de la modification de l’investissement

La Cour ne se contente pas de définir le champ de la modification importante ; elle en précise également le régime de sanction. Elle confirme que la correction financière est une conséquence contraignante en cas de modification avérée (A), tout en inscrivant cette sanction dans le cadre du respect des droits fondamentaux (B).

A. Le caractère contraignant de la correction financière

La Cour, interprétant l’article 39, paragraphe 1, du règlement, ne laisse aucune place à l’appréciation discrétionnaire des autorités nationales quant à l’opportunité d’une sanction. Elle affirme qu’« il y a lieu de procéder aux corrections financières prévues à cet article 39, paragraphe 1, lorsque la cession d’un établissement […] constitue une modification importante ». L’emploi de la formule « il y a lieu de procéder » indique une obligation et non une simple faculté. Cette rigueur garantit une application uniforme du droit de l’Union sur l’ensemble du territoire et préserve les intérêts financiers de l’Union. La sanction n’est donc pas une option mais une suite nécessaire à la constatation d’une atteinte substantielle aux objectifs de l’opération cofinancée, assurant ainsi l’effet utile du règlement et la bonne gestion des deniers publics européens.

B. La conciliation de la sanction avec le droit de propriété

La décision de la Cour doit être lue à la lumière de l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, relatif au droit de propriété. En liant la correction financière à la seule existence d’une « modification importante », la Cour encadre la restriction apportée à ce droit. Le recouvrement de la subvention constitue une ingérence dans le droit de propriété du bénéficiaire. Toutefois, cette ingérence est justifiée par la protection des intérêts financiers de l’Union et n’est pas disproportionnée, car elle n’intervient que si la finalité même de l’aide publique est compromise. Le système ainsi dessiné par la Cour n’instaure pas une interdiction de principe de disposer de son bien, mais conditionne le maintien de l’aide au respect des engagements qui en sont la contrepartie. La sanction financière apparaît alors comme une mesure légitime, nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi.

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Hassan KOHEN
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