Cour de justice de l’Union européenne, le 13 juillet 2023, n°C-426/21

Dans une décision récente, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation de la directive 2001/29/CE sur le droit d’auteur, confrontée aux nouvelles technologies de retransmission télévisuelle. En l’espèce, un opérateur proposait à des clients commerciaux un service de retransmission d’émissions en ligne, incluant une fonctionnalité d’enregistrement dans le nuage. Cette technologie permettait aux utilisateurs finaux de déclencher l’enregistrement d’une émission, mais la copie ainsi créée pour un premier utilisateur était ensuite mise à la disposition de tout autre utilisateur souhaitant visionner le même programme. Saisie d’une question préjudicielle par une juridiction nationale, la Cour a dû examiner si un tel service pouvait bénéficier de l’exception de copie privée et, subsidiairement, si la fourniture des outils techniques nécessaires à une telle diffusion constituait une communication au public. La juridiction de renvoi cherchait à déterminer la légalité d’un modèle économique qui, par sa conception technique, mutualise une seule copie enregistrée pour la rendre accessible à un public potentiellement illimité. La question centrale posée à la Cour était donc double : un service d’enregistrement en nuage, où une copie unique sert à une multitude d’utilisateurs, relève-t-il de l’exception pour copie privée ? De plus, le fournisseur de la solution technique qui permet à ses clients de diffuser de tels contenus protégés à leur propre clientèle effectue-t-il lui-même un acte de communication au public ? À cette double interrogation, la Cour répond par une double négative. Elle juge d’une part que le service ne relève pas de l’exception au droit de reproduction, et d’autre part, que la simple fourniture des moyens techniques ne constitue pas une communication au public au sens du droit de l’Union.

La solution retenue par la Cour impose une analyse différenciée des actes de l’opérateur, en distinguant rigoureusement la qualification de l’acte de reproduction (I) de celle de l’acte de communication (II).

I. La qualification de l’enregistrement en nuage au regard du droit de reproduction

La Cour adopte une lecture stricte de l’exception pour copie privée, ce qui la conduit à écarter son application au service d’enregistrement mutualisé (A), renforçant par là même la portée du droit exclusif de reproduction des auteurs (B).

A. Le rejet de l’application de l’exception pour copie privée

La Cour de justice interprète l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 en ce sens qu’un service d’enregistrement à distance ne peut se prévaloir de l’exception pour copie privée lorsque sa mise en œuvre technique aboutit à la création d’une copie unique pour un nombre indéterminé d’utilisateurs. Elle considère en effet que ne relève pas de cette exception le service où « la copie réalisée par un premier utilisateur ayant sélectionné une émission est mise à la disposition, par l’opérateur, d’un nombre indéterminé d’utilisateurs qui souhaitent visionner le même contenu ». Ce faisant, elle estime que le rôle de l’opérateur n’est pas celui d’un simple fournisseur d’outils, mais celui d’un acteur centralisant et optimisant la reproduction pour la rendre disponible. Le critère décisif réside dans l’intervention active de l’opérateur qui, au lieu de permettre à chaque utilisateur de générer sa propre copie distincte, met en place un système où une seule copie est partagée. La nature privée de la copie s’efface ainsi derrière la logique de mise à disposition collective orchestrée par le prestataire, ce qui excède manifestement le cadre d’une utilisation privée par une personne physique.

B. La réaffirmation du droit exclusif de reproduction

En refusant de faire bénéficier ce service de l’exception, la Cour réaffirme la primauté du droit exclusif des auteurs et des titulaires de droits voisins, consacré à l’article 2 de la directive. Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante qui interprète de manière restrictive les exceptions au droit d’auteur, celles-ci devant rester limitées à certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. Permettre à un opérateur de commercialiser un tel service sans l’autorisation des ayants droit reviendrait à créer une nouvelle modalité d’exploitation des œuvres, contournant ainsi le droit exclusif qui constitue le fondement de la protection. La solution a pour valeur de préserver l’équilibre économique du système du droit d’auteur à l’ère numérique, en empêchant que des innovations techniques ne servent de prétexte à un affaiblissement de la protection des créateurs. La portée de cette décision est donc considérable pour les services de *cloud computing* appliqués aux contenus protégés, les contraignant à s’assurer de disposer des autorisations nécessaires pour toute mutualisation de copies.

Après avoir précisé le régime applicable à l’acte de reproduction, la Cour s’est penchée sur la qualification de la fourniture du service au regard du droit de communication au public.

II. La qualification de la fourniture du service au regard du droit de communication

La Cour procède à une analyse distincte de l’acte de communication, en jugeant que la fourniture des outils techniques ne constitue pas en soi une communication au public (A), même lorsque le fournisseur a connaissance de leur utilisation illicite (B).

A. La distinction entre la fourniture d’un moyen et l’acte de communication

La Cour interprète l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 en précisant la notion d’acte de communication. Elle juge que « ne constitue pas une “communication au public” […] la fourniture, par un opérateur […] du matériel ainsi que des logiciels nécessaires […] qui permettent à ce client de donner accès en différé à ses propres clients à des émissions de télévision ». Par cette formule, la Cour opère une distinction fondamentale entre celui qui réalise l’acte de communication et celui qui n’en fournit que les instruments techniques. Dans le cas d’espèce, c’est le client commercial de l’opérateur qui effectue la communication à son propre public, à savoir sa clientèle finale. L’opérateur, quant à lui, se limite à mettre à disposition une infrastructure fonctionnelle. Son rôle est donc celui d’un intermédiaire technique, dont l’intervention ne suffit pas à caractériser l’acte même de communication. Cette solution clarifie la chaîne de responsabilité en concentrant la qualification de l’acte sur l’entité qui contrôle la mise à disposition du contenu auprès du public visé.

B. L’indifférence de la connaissance de l’usage illicite du service

De manière significative, la Cour ajoute que la qualification de l’acte de l’opérateur reste inchangée « quand bien même il a connaissance du fait que son service peut être utilisé pour accéder à des contenus d’émissions protégés sans le consentement de leurs auteurs ». La seule connaissance du potentiel illicite de l’outil fourni n’est donc pas un critère suffisant pour qualifier son fournisseur d’auteur d’une communication au public. Cette position peut apparaître comme une limitation de la responsabilité des intermédiaires techniques, mais elle a pour valeur de maintenir une définition juridique rigoureuse et prévisible de la communication au public. Elle évite d’assimiler l’auteur d’une contrefaçon à celui qui n’a fait que vendre un outil polyvalent. La portée de cette interprétation est toutefois à nuancer. Si elle écarte la responsabilité de l’opérateur sur le fondement de l’article 3, elle ne l’exonère pas de toute forme de responsabilité, notamment celle qui pourrait découler d’autres régimes juridiques, comme la responsabilité pour complicité ou les obligations imposées aux intermédiaires par la directive sur le commerce électronique.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture