Cour de justice de l’Union européenne, le 13 juillet 2023, n°C-615/21

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 13 juillet 2023, un arrêt portant sur l’interprétation des principes de sécurité juridique et d’effectivité. Un assujetti a déduit la taxe sur la valeur ajoutée pour des acquisitions réalisées entre juin 2010 et septembre 2011. L’administration fiscale a engagé un contrôle en décembre 2011, contestant la réalité de certaines opérations économiques ou invoquant une fraude fiscale. Une décision de premier degré est intervenue le 8 octobre 2015, exigeant le versement d’un arriéré de taxe et infligeant des sanctions. Saisi d’un recours, le tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale a annulé la décision administrative par un jugement du 2 mars 2018. L’autorité fiscale a pris une nouvelle décision le 5 mars 2018, laquelle a de nouveau été annulée le 5 juillet 2018 par la même juridiction. La Cour suprême de Hongrie a confirmé cette seconde annulation le 30 janvier 2020, reprochant à l’administration de ne pas s’être conformée aux orientations judiciaires. Une troisième décision administrative de second degré a été adoptée le 6 avril 2020, provoquant un nouveau recours devant la cour de Szeged. La juridiction de renvoi s’interroge sur la conformité d’une suspension indéfinie du délai de prescription au regard des principes fondamentaux du droit de l’Union. La Cour de justice décide que les principes de sécurité juridique et d’effectivité ne s’opposent pas à une telle réglementation nationale de suspension.

I. L’affirmation de l’autonomie procédurale nationale en matière de prescription fiscale

A. L’absence de cadre harmonisé pour les délais de reprise

Le juge européen précise d’emblée que le droit de l’Union ne fixe pas de délai de prescription pour l’établissement de la taxe sur la valeur ajoutée. Il souligne ainsi que « ce dernier ni ne fixe un délai dans lequel se prescrit le droit de l’administration fiscale d’établir la TVA ». Le règlement relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés ne s’applique pas car cette taxe n’est pas perçue directement pour le compte de l’Union. En l’absence de dispositions communes, il appartient donc aux États membres d’établir et d’appliquer leurs propres règles de prescription en matière fiscale. Cette compétence doit cependant s’exercer dans le respect du droit de l’Union, lequel exige la fixation de délais raisonnables protégeant les parties. Un délai de prescription de cinq ans, tel que prévu par la législation nationale commentée, est jugé conforme aux exigences de l’ordre juridique européen.

B. La légitimité de la suspension du délai durant le contrôle juridictionnel

La Cour valide le mécanisme de suspension du délai de prescription pendant toute la durée des procédures juridictionnelles engagées contre les décisions de l’administration. Elle considère qu’une telle règle permet d’éviter que l’efficacité du système commun de taxe ne soit compromise par des recours purement dilatoires. Le juge affirme qu’« une telle suspension permet d’éviter que la mise en œuvre effective et efficace de la directive 2006/112 ne puisse être mise en péril ». L’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union n’est pas rendu impossible ou excessivement difficile par cette modalité procédurale particulière. L’assujetti conserve en effet la faculté de faire valoir ses arguments devant les juridictions nationales tout au long de la période de suspension. La persistance de l’action administrative ne constitue pas, en soi, une entrave démesurée dès lors que le contribuable dispose de voies de recours effectives.

II. L’encadrement de la persistance administrative par les droits fondamentaux

A. La conciliation nécessaire entre sécurité juridique et effectivité de la collecte

Le principe de sécurité juridique exige que la situation d’un assujetti ne soit pas indéfiniment susceptible d’être remise en cause par l’autorité publique. Néanmoins, cet impératif n’est pas absolu et doit être mis en balance avec l’obligation de percevoir intégralement les ressources propres de l’Union. Lorsqu’une procédure de contrôle est notifiée avant l’expiration du délai, l’assujetti ne peut plus se prévaloir d’une situation juridique immuable ou définitivement acquise. La Cour estime qu’une suspension liée à un contrôle juridictionnel ne rend pas la situation des assujettis indéfiniment prévisible au sens de sa jurisprudence. Elle impose aux États de concevoir des règles parvenant à un équilibre entre la protection du contribuable et l’exécution effective des obligations fiscales. Cette recherche d’équilibre justifie que le délai soit prolongé tant que le juge n’a pas statué définitivement sur la légalité de la taxation.

B. L’exigence d’un délai raisonnable comme limite à la réitération des procédures

Le droit à une bonne administration et l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux imposent que chaque situation soit traitée dans un délai raisonnable. Le juge précise que l’assujetti jouit du « droit à ce que sa situation soit traitée dans un délai raisonnable » par les autorités nationales. Une violation peut être caractérisée lorsque la procédure est réitérée en raison de la méconnaissance manifeste d’un motif décisif d’une décision juridictionnelle antérieure. L’annulation de la décision finale n’intervient toutefois que si la durée excessive a eu une incidence réelle sur la capacité de défense. Il incombe à l’assujetti de conserver les pièces justificatives pertinentes jusqu’à ce que les décisions de taxation revêtent un caractère parfaitement définitif. La juridiction nationale doit alors vérifier si les multiples réitérations caractérisent un manquement aux obligations de diligence ayant porté préjudice aux droits de l’assujetti.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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