Cour de justice de l’Union européenne, le 13 juin 2013, n°C-45/12

Par un arrêt rendu sur question préjudicielle le 28 février 2013, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions d’accès aux prestations sociales pour les ressortissants d’États tiers, membres de la famille d’un citoyen de l’Union. En l’espèce, une ressortissante algérienne, mère d’un enfant de nationalité française issu de sa relation avec un citoyen français, et d’un autre enfant de nationalité algérienne, s’était vu refuser le bénéfice de prestations familiales garanties en Belgique pour son second enfant. Ce refus était motivé par le non-respect d’une condition de résidence ininterrompue de cinq années sur le territoire belge, condition non applicable aux nationaux. La requérante avait initialement obtenu un droit de séjour en Belgique pour rejoindre son partenaire de nationalité française, lequel exerçait une activité de travailleur. Après leur séparation, l’office national compétent a cessé de verser les allocations familiales pour l’enfant de nationalité algérienne. Le tribunal du travail de Bruxelles, saisi en première instance, avait fait droit à la demande de l’intéressée en considérant qu’elle devait être assimilée à un citoyen de l’Union et bénéficier du même traitement que les nationaux. Saisie en appel par l’organisme social, la cour du travail de Bruxelles a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation du droit de l’Union, notamment du règlement n°1408/71 relatif à la sécurité sociale et de la directive 2004/38/CE sur la libre circulation. La question de droit soumise à la Cour consistait à déterminer si une ressortissante d’un État tiers, dans une telle situation, pouvait se prévaloir du droit de l’Union pour écarter une condition de résidence de longue durée à laquelle n’étaient pas soumis les propres ressortissants de l’État membre d’accueil. La Cour de justice a répondu par la négative, estimant que ni le règlement sur la coordination des régimes de sécurité sociale, ni la directive sur la libre circulation ne permettaient, dans les circonstances de l’espèce, d’écarter une telle condition de résidence. Elle a cependant laissé entrevoir une possibilité subsidiaire liée au droit à l’éducation de l’enfant citoyen de l’Union. La solution retenue par la Cour de justice témoigne d’une application stricte des conditions d’éligibilité aux droits dérivés en matière de sécurité sociale et de séjour, limitant leur extension aux situations non expressément prévues par les textes. Elle invite à examiner d’une part l’interprétation restrictive de la notion de membre de la famille au sens du droit de la sécurité sociale, et d’autre part la portée circonscrite des droits de séjour dérivés du statut de citoyen de l’Union.

I. L’exclusion du bénéfice des prestations au titre de la coordination des systèmes de sécurité sociale

La Cour de justice examine en premier lieu si la situation de la requérante et de sa fille relevait du champ d’application personnel du règlement n°1408/71. Son analyse la conduit à appliquer une lecture rigoureuse de la qualité de membre de la famille (A), tout en confirmant la nécessité d’un élément d’extranéité direct pour l’application du droit dérivé (B).

A. L’interprétation stricte de la qualité de membre de la famille

Pour déterminer si la mère ou sa fille pouvaient être qualifiées de « membre de la famille » d’un travailleur au sens du règlement n°1408/71, la Cour rappelle la définition posée par l’article 1er, sous f), i), de ce texte. Celui-ci renvoie prioritairement aux législations nationales, en désignant « toute personne définie ou admise comme membre de la famille ou désignée comme membre du ménage par la législation au titre de laquelle les prestations sont servies ». La Cour précise qu’un correctif est introduit lorsque la législation nationale exige une cohabitation sous le même toit que le travailleur. Dans ce cas, la condition est réputée remplie si la personne est « principalement à la charge de ce dernier ». Ainsi, la Cour établit qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier si la mère ou sa fille peuvent être considérées comme membres de la famille de l’ex-partenaire travailleur au regard du droit belge, ou, à défaut, si elles sont principalement à sa charge. La séparation du couple et la dépendance de la mère à l’aide sociale rendent cette seconde hypothèse peu probable, mais la Cour s’en remet à l’appréciation souveraine du juge national sur ce point factuel.

B. Le rejet d’une application par ricochet du droit de la coordination

La juridiction de renvoi demandait si la seule présence de l’enfant commun, de nationalité française, au sein du ménage de la mère pouvait suffire à la faire entrer, elle ou sa fille algérienne, dans le champ d’application du règlement n°1408/71. La réponse de la Cour est sans équivoque : cette circonstance « n’est pas pertinente, en tant que telle, aux fins de la qualification de la mère ou de la fille de ‘membre de la famille’ ». Le droit aux prestations de sécurité sociale est en effet un droit dérivé du statut de travailleur du partenaire, et non du statut de citoyen de l’Union de l’enfant. De même, la Cour écarte l’application du règlement n°859/2003, qui étend le bénéfice du règlement n°1408/71 à certains ressortissants de pays tiers. Elle rappelle que ce texte exige que la situation ne se cantonne pas à l’intérieur d’un seul État membre. Or, la situation de la mère et de sa fille ne présentait des rattachements qu’avec la Belgique et l’Algérie, ce qui ne constitue pas l’élément transfrontalier requis pour mobiliser les règles de coordination de l’Union.

Après avoir fermé la porte à l’application du droit de la sécurité sociale, la Cour se penche sur les droits qui pourraient découler du droit de séjour.

II. La portée limitée des droits de séjour dérivés du statut de citoyen de l’Union

La Cour examine ensuite si le droit de séjour de la mère, en tant que membre de la famille d’un citoyen de l’Union, lui confère un droit à l’égalité de traitement en matière de prestations sociales. Elle constate l’inapplicabilité des dispositions de la directive 2004/38 protégeant le droit de séjour après la rupture (A), mais esquisse une autre voie potentielle fondée sur le droit à l’éducation de l’enfant (B).

A. L’inapplicabilité de la protection consécutive à la rupture de la vie commune

La juridiction de renvoi visait l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2004/38, qui organise le maintien du droit de séjour des membres de la famille n’ayant pas la nationalité d’un État membre après le départ ou le décès du citoyen de l’Union. La Cour observe que cette disposition ne vise que les cas de « divorce, d’annulation du mariage ou de rupture d’un partenariat enregistré ». Elle en déduit logiquement que la fin d’une relation de simple cohabitation, non formalisée, n’ouvre pas droit au maintien du séjour sur ce fondement. La Cour écarte également l’invocation du principe général de non-discrimination de l’article 18 TFUE, en distinguant la situation de l’espèce de celle de l’arrêt *Trojani*. Si un citoyen de l’Union titulaire d’un titre de séjour peut se prévaloir de ce principe, cette jurisprudence ne peut être « transposée, telle quelle, à une situation dans laquelle un ressortissant d’un État tiers dispose d’une carte de séjour dans un État membre ». Le droit à l’égalité de traitement demeure subordonné à l’existence d’un droit de séjour fondé sur le droit de l’Union, lequel fait défaut en l’espèce au titre de la directive 2004/38.

B. L’esquisse d’un droit au séjour autonome conditionné

Bien que la question n’ait pas été formellement posée, la Cour, dans un souci de coopération avec le juge national, explore une autre piste. Elle rappelle que l’article 12 du règlement n°1612/68 (abrogé mais dont la substance a été reprise) garantit aux enfants d’un travailleur migrant l’accès à l’enseignement dans l’État membre d’accueil. La jurisprudence antérieure, notamment les arrêts *Baumbast et R* et *Teixeira*, a déduit de cette disposition un droit de séjour autonome pour l’enfant scolarisé, ainsi qu’un droit de séjour corollaire pour le parent qui en assure la garde effective, et ce, afin de garantir l’effet utile du droit de l’enfant. La Cour suggère que la mère pourrait potentiellement bénéficier d’un tel droit de séjour si son enfant de nationalité française a « commencé à fréquenter le système éducatif de l’État membre d’accueil ». Cependant, constatant que le dossier ne contient aucune information à ce sujet, elle qualifie cette interprétation d’hypothétique. Cette ouverture, bien que conditionnelle, souligne une voie alternative importante où le droit de séjour du parent ressortissant d’un État tiers ne dérive plus de la relation avec son ex-partenaire, mais directement du statut de citoyen de l’Union de son enfant et de l’exercice par ce dernier de son droit à l’éducation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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