Cour de justice de l’Union européenne, le 13 juin 2013, n°C-45/12

Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions d’accès d’une ressortissante d’un État tiers aux prestations sociales d’un État membre, en l’absence de lien matrimonial avec le citoyen de l’Union dont elle a eu un enfant. En l’espèce, une ressortissante algérienne, mère d’un enfant de nationalité française issu de sa relation avec un travailleur français, s’était installée en Belgique avec ce dernier. Elle avait également fait venir sa fille, de nationalité algérienne, née d’une précédente union. Après sa séparation d’avec son partenaire, elle a continué de percevoir les allocations familiales pour son enfant de nationalité française, mais s’est vu refuser le bénéfice des prestations familiales garanties pour sa fille. L’administration belge lui a opposé son incapacité à satisfaire à une condition de résidence de cinq années sur le territoire, condition dont sont dispensés les ressortissants nationaux.

Saisi d’un recours contre cette décision, le tribunal du travail de Bruxelles avait initialement fait droit à la demande de l’intéressée, considérant qu’en tant que membre de la famille d’un citoyen de l’Union, elle devait bénéficier du même traitement que les nationaux. L’organisme social a interjeté appel de ce jugement devant la cour du travail de Bruxelles. Cette dernière a alors sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation du droit de l’Union. Il s’agissait de déterminer si la mère, ressortissante d’un État tiers, pouvait se prévaloir du règlement sur la sécurité sociale ou d’autres dispositions du droit de l’Union pour écarter la condition de résidence qui lui était opposée, notamment en raison de la présence à son foyer de son enfant, citoyen de l’Union. La Cour de justice répond par la négative, estimant que ni le règlement sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ni les directives sur le droit de séjour ne permettent de faire échec à la législation nationale dans de telles circonstances.

La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation stricte des conditions d’application du droit de l’Union, circonscrivant l’accès aux prestations sociales à des liens familiaux et juridiques précisément définis. Il convient ainsi d’analyser l’interprétation restrictive du champ d’application du droit de la sécurité sociale de l’Union (I), avant d’étudier la réaffirmation des limites à la protection accordée aux ressortissants d’États tiers liés à un citoyen de l’Union (II).

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I. L’interprétation restrictive du champ d’application du droit de la sécurité sociale de l’Union

La Cour de justice adopte une lecture littérale des textes pour conclure que la situation de la requérante ne relève pas du champ d’application personnel du règlement n° 1408/71. Cette approche se manifeste d’abord par une analyse rigoureuse de la notion de membre de la famille (A), puis par un rejet de toute application extensive du droit de séjour dérivé (B).

A. L’exclusion du bénéfice du règlement n° 1408/71 en l’absence de lien familial pertinent

La Cour examine si la mère ou sa fille peuvent être qualifiées de « membre de la famille » d’un travailleur au sens du règlement n° 1408/71, ce qui leur aurait permis de bénéficier de la dispense de la condition de résidence. Elle rappelle que la définition du membre de la famille, selon l’article 1er, sous f), i), de ce règlement, renvoie en premier lieu à la législation nationale de l’État membre qui sert les prestations. Le règlement précise toutefois que si la législation nationale « ne considère comme membre de la famille ou du ménage qu’une personne vivant sous le toit du travailleur », cette condition est réputée remplie lorsque la personne « est principalement à la charge de ce dernier ».

Or, en l’espèce, après la séparation du couple, la mère ne vivait plus sous le toit de son ex-partenaire, citoyen de l’Union, et n’était pas non plus à sa charge. Par conséquent, ni elle, ni sa fille ne pouvaient être considérées comme des membres de la famille du travailleur au regard du règlement. La Cour souligne que la simple présence de l’enfant commun, citoyen de l’Union, au sein du ménage de la mère est une circonstance non pertinente pour établir ce lien familial avec le travailleur. Cette analyse confirme une jurisprudence constante qui exige un lien de dépendance effectif ou un lien de parenté reconnu par le droit national pour intégrer un individu dans le cercle familial du travailleur migrant.

B. Le rejet d’une application extensive du droit de séjour dérivé

La juridiction de renvoi s’interrogeait ensuite sur l’application de la directive 2004/38 relative au droit de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles. La Cour écarte fermement cette possibilité. Elle note que l’article 13, paragraphe 2, de la directive, qui prévoit le maintien du droit de séjour pour les membres de la famille n’ayant pas la nationalité d’un État membre, ne s’applique qu’« en cas de divorce, d’annulation du mariage ou de rupture d’un partenariat enregistré ».

La relation entre la mère et son partenaire n’ayant été ni un mariage, ni un partenariat enregistré, mais une simple cohabitation, elle ne peut se prévaloir de cette disposition. La Cour refuse ainsi d’étendre par analogie le bénéfice de la protection accordée aux conjoints ou partenaires enregistrés à des situations de fait, même lorsque des enfants sont issus de l’union. Cette position réaffirme une distinction nette entre les formes d’union juridiquement reconnues et les autres, limitant ainsi la portée du droit de séjour dérivé après la rupture de la vie commune. De même, le principe général de non-discrimination posé à l’article 18 TFUE ne saurait être invoqué, car la ressortissante d’un État tiers ne tire aucun droit de séjour autonome du droit de l’Union dans cette situation.

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II. La réaffirmation des limites à la protection des ressortissants d’États tiers liés à un citoyen de l’Union

Au-delà de l’analyse technique des règlements, l’arrêt met en lumière les frontières de la citoyenneté européenne et de ses effets indirects. La Cour explore une voie alternative fondée sur la scolarisation de l’enfant, mais en souligne le caractère conditionnel (A), avant de rappeler que le principe de non-discrimination ne peut être invoqué qu’en présence d’un lien de rattachement suffisant au droit de l’Union (B).

A. La portée conditionnelle du droit de séjour fondé sur la scolarisation de l’enfant

La Cour examine, à la suggestion de la Commission, si un droit de séjour pourrait découler de l’article 12 du règlement n° 1612/68. Cette disposition garantit l’accès des enfants de travailleurs de l’Union à l’enseignement dans l’État membre d’accueil. La jurisprudence a déduit de cet article un droit de séjour pour l’enfant poursuivant sa scolarité, ainsi que pour le parent qui en assume la garde effective, et ce même après le départ du travailleur migrant. Un tel droit de séjour aurait placé la mère dans le champ d’application du droit de l’Union, lui ouvrant droit à l’égalité de traitement pour l’octroi des prestations sociales.

Cependant, la Cour constate qu’elle ne dispose d’aucune information sur la scolarisation effective de l’enfant de nationalité française en Belgique. Faute d’éléments factuels suffisants, elle juge cette question hypothétique et refuse de se prononcer sur les conséquences d’un tel droit de séjour. Cette prudence méthodologique, bien que juridiquement fondée, a pour effet de laisser la juridiction de renvoi sans réponse complète sur cette voie potentielle. Elle illustre que le bénéfice des droits dérivés dépend étroitement des circonstances factuelles de chaque espèce et que le statut de citoyen de l’Union d’un enfant ne crée pas un droit de séjour inconditionnel pour son parent ressortissant d’un État tiers.

B. La primauté du lien de rattachement au droit de l’Union pour l’application du principe de non-discrimination

Enfin, la Cour écarte l’application des articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne relatifs à l’égalité en droit et à la non-discrimination. Elle se fonde sur une jurisprudence bien établie selon laquelle les droits fondamentaux garantis par l’ordre juridique de l’Union ne s’appliquent que dans les situations régies par le droit de l’Union.

Ayant conclu qu’aucun des instruments spécifiques du droit de l’Union (règlements sur la sécurité sociale, directives sur le droit de séjour) ne s’appliquait à la situation de la mère pour la période concernée, la Cour en déduit logiquement que cette situation se trouve en dehors du champ d’application du droit de l’Union. Par conséquent, la Charte ne peut être invoquée pour contester la législation nationale belge. Cet arrêt réaffirme avec force que la citoyenneté de l’Union d’un enfant ne suffit pas à attirer l’ensemble de la situation familiale dans la sphère du droit de l’Union et à déclencher l’application de ses principes fondamentaux. Il confirme ainsi les limites des droits dérivés et la persistance de la compétence des États membres en matière de sécurité sociale en l’absence d’un facteur de rattachement clairement établi.

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Hassan KOHEN
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