Cour de justice de l’Union européenne, le 13 juin 2019, n°C-505/18

Par un arrêt du 13 juin 2019, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’un renvoi préjudiciel par le Conseil d’État, a précisé la portée d’une décision de la Commission européenne ordonnant la récupération d’aides d’État. En l’espèce, une société coopérative agricole avait perçu, entre 1998 et 2002, des aides financières destinées à soutenir la filière de production de cerises d’industrie. Ces fonds publics, versés par l’office interprofessionnel compétent, transitaient par un comité économique agricole spécifique à cette filière. À la suite d’une enquête, la Commission européenne a adopté, le 28 janvier 2009, une décision déclarant incompatibles avec le marché commun les aides octroyées par la France entre 1992 et 2002 dans le cadre de « plans de campagne » dans le secteur des fruits et légumes, et a ordonné leur récupération. En exécution de cette décision, l’établissement public national succédant à l’office a émis un titre de recettes à l’encontre de la société coopérative pour un montant incluant le principal des aides perçues et les intérêts.

La société a contesté ce titre de recettes devant les juridictions administratives. Après avoir été déboutée en première instance par le tribunal administratif de Nîmes le 20 janvier 2015, puis en appel par la cour administrative d’appel de Marseille le 18 avril 2016, elle a formé un pourvoi en cassation. Devant le Conseil d’État, la requérante soutenait que la décision de la Commission ne lui était pas applicable. Elle avançait deux arguments principaux : d’une part, le comité économique par lequel les aides avaient transité n’était pas mentionné dans la liste des huit comités économiques visés au considérant 15 de la décision de 2009 ; d’autre part, le mécanisme de financement de ces aides différait de celui décrit par la Commission, car il reposait exclusivement sur des subventions publiques, sans contributions volontaires de la part des producteurs. Face à cette difficulté d’interprétation, le Conseil d’État a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si la décision de 2009 devait être interprétée comme couvrant les aides en question malgré ces particularités. La Cour de justice a répondu par l’affirmative, estimant que ni l’absence de mention explicite du comité intermédiaire, ni les modalités spécifiques de financement ne permettaient de soustraire ces aides au champ d’application de l’ordre de récupération.

La solution retenue par la Cour, qui étend le périmètre de la récupération au-delà des entités explicitement citées, confirme une approche large de l’obligation de recouvrer les aides illégales (I). Cette interprétation pragmatique renforce l’effectivité du droit de l’Union en matière d’aides d’État, en prévenant les stratégies d’échappement fondées sur des particularismes administratifs ou financiers (II).

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I. La confirmation d’une conception extensive de l’obligation de récupération

La Cour de justice adopte une lecture large de la décision de la Commission en écartant les arguments fondés sur des divergences factuelles entre le cas d’espèce et la description générale du régime d’aides. Elle considère ainsi que l’absence de mention expresse de l’intermédiaire est indifférente (A) et que les modalités spécifiques de financement de l’aide sont non pertinentes pour déterminer le champ de l’obligation de restitution (B).

A. L’indifférence de l’absence de mention expresse de l’intermédiaire

La Cour juge que le fait que le comité économique en cause ne figure pas dans la liste des huit comités cités au considérant 15 de la décision de 2009 ne suffit pas à l’exclure du champ de la récupération. Son raisonnement repose sur la nature même d’une décision qui condamne un régime d’aides. La Cour rappelle que de telles décisions « sont adressées à l’État membre responsable et non aux bénéficiaires de l’aide ». Conformément à son article 5, la décision de 2009 était adressée à la République française, à qui il incombait « de prendre les mesures nécessaires pour récupérer les aides déclarées incompatibles […] auprès de leurs bénéficiaires et ainsi de déterminer les organismes ayant bénéficié de ces aides ».

Cette approche est cohérente avec la jurisprudence constante selon laquelle, « dans le cadre d’un programme d’aides, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques du programme en cause ». L’analyse de la Commission n’a pas à s’étendre à chaque cas individuel d’octroi ; cette vérification n’intervient qu’au stade de la récupération par les autorités nationales. Dès lors, le dispositif de la décision de 2009, qui vise de manière générale « les aides d’État octroyées dans le cadre des “plans de campagne” aux producteurs de fruits et légumes », n’est pas « circonscrit aux seuls huit comités économiques agricoles mentionnés au considérant 15 de cette décision ». Le fait que le comité en question soit de même nature juridique que les autres et ait poursuivi des objectifs identiques, à savoir « faciliter l’écoulement des produits français en manipulant le prix de vente ou les quantités offertes sur les marchés », suffisait à le faire entrer dans le champ du régime d’aides condamné.

B. La non-pertinence des modalités spécifiques de financement

Le second argument de la requérante, tiré de la différence du mécanisme de financement, est également rejeté par la Cour. La décision de 2009 décrivait un système cofinancé par des fonds publics et des « contributions volontaires des producteurs ». Or, l’aide litigieuse était financée uniquement par des subventions de l’office national. La Cour estime que cette circonstance ne change rien à la nature de l’aide. Elle souligne que l’élément déterminant est que les aides « ont été accordées au moyen de ressources d’État », ce qui suffit à les qualifier d’« aide d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

Plus encore, la Cour transforme l’argument de la requérante en une confirmation de son obligation de rembourser. Elle relève que le fait d’avoir « obtenu un régime plus avantageux que celui dont auraient bénéficié les autres bénéficiaires » en échappant à la contribution professionnelle n’est pas « une circonstance de nature à la faire échapper au champ d’application de la décision 2009/402 ». Loin d’être un élément disculpatoire, cette particularité aggrave la distorsion de concurrence subie par les opérateurs n’ayant pas bénéficié d’une telle aide ou ayant dû y contribuer financièrement. La Cour neutralise ainsi toute tentative de se prévaloir d’une irrégularité interne au régime d’aide pour se soustraire à l’obligation de restitution imposée par le droit de l’Union.

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II. Le renforcement de l’effectivité du droit des aides d’État

En privilégiant l’objectif de la décision de la Commission sur les détails de sa rédaction, la Cour assure la primauté de la substance sur le formalisme procédural (A). Cette solution a une portée significative pour l’identification future des bénéficiaires de régimes d’aides complexes, en clarifiant la charge qui pèse sur les autorités nationales (B).

A. La primauté de la substance sur le formalisme procédural

L’arrêt du 13 juin 2019 est une illustration du pragmatisme de la Cour de justice, qui refuse de laisser le formalisme faire échec à l’application effective du droit de la concurrence. En acceptant les arguments de la requérante, la Cour aurait créé une brèche, permettant aux bénéficiaires d’aides illégales d’échapper à la restitution en se fondant sur des omissions ou des imprécisions dans la description d’un régime d’aides par la Commission. Une telle solution aurait rendu la récupération des aides d’autant plus difficile que les régimes sont complexes, fragmentés ou opaques, incitant potentiellement les États membres à ne pas fournir une information complète à la Commission lors de l’enquête.

La Cour rappelle également que les droits de la défense des bénéficiaires ne sont pas méconnus. Elle souligne que la notion d’« intéressé » au sens du règlement n° 659/1999 « se réfère à un ensemble indéterminé de destinataires » et que la publication d’un avis d’ouverture de procédure au Journal officiel de l’Union européenne « est un moyen adéquat » pour informer toutes les parties potentiellement concernées. Il n’est donc pas requis de notifier individuellement chaque bénéficiaire potentiel d’un régime d’aides. En faisant prévaloir l’efficacité de la récupération, la Cour réaffirme que l’objectif principal est le rétablissement de la situation concurrentielle antérieure à l’octroi de l’aide.

B. La portée de la solution pour l’identification des bénéficiaires d’un régime d’aides

Cet arrêt, bien qu’il s’agisse d’une décision d’espèce, a une portée didactique importante. Il confirme que la responsabilité d’identifier l’ensemble des bénéficiaires d’un régime d’aides déclaré incompatible incombe entièrement à l’État membre concerné. Le périmètre de la récupération est défini par les caractéristiques objectives de l’aide et non par l’énumération, nécessairement imparfaite, des entités ou des modalités dans la décision de la Commission. La solution oblige les autorités nationales à une analyse fonctionnelle et non formelle des aides versées, en recherchant toutes les entreprises qui ont bénéficié d’un avantage financé par des ressources publiques dans le cadre d’un même dispositif.

La décision renforce ainsi la sécurité juridique pour les concurrents des bénéficiaires, qui peuvent avoir confiance dans le fait que la restitution sera complète. Elle constitue également un avertissement pour les entreprises qui, tout en sachant qu’elles bénéficient d’un avantage public dans un secteur sous surveillance, pourraient espérer échapper au remboursement grâce à des particularismes administratifs. La Cour précise que la finalité de l’aide, ici la gestion de crise sur un marché agricole, et son origine étatique sont les seuls critères pertinents. Toute autre considération, qu’elle tienne à l’identité de l’intermédiaire ou aux détails du financement, est inopérante.

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Hassan KOHEN
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