Cour de justice de l’Union européenne, le 13 mai 2015, n°C-536/13

Par un arrêt en date du 13 mai 2015, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a statué sur l’articulation entre le règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 et les sentences arbitrales produisant les effets d’une injonction anti-procédure. En l’espèce, un accord d’actionnaires conclu entre une société et un État membre prévoyait une clause compromissoire pour le règlement de tout litige. L’État membre a néanmoins saisi ses juridictions nationales afin de diligenter une enquête sur la gestion de la société dans laquelle les deux parties détenaient des participations. Estimant cette action contraire à la clause d’arbitrage, la société a engagé une procédure arbitrale auprès de l’institut d’arbitrage de la chambre de commerce de Stockholm.

Le tribunal arbitral a rendu une sentence faisant droit à la demande de la société. Il a constaté une violation de la clause compromissoire et a enjoint à l’État membre de retirer ou de réduire certaines de ses prétentions devant la juridiction nationale. La société a alors cherché à obtenir la reconnaissance et l’exécution de cette sentence arbitrale devant les juridictions de l’État concerné. Le Lietuvos apeliacinis teismas a rejeté cette demande, au motif notamment que la sentence portait atteinte à la compétence de la juridiction étatique déjà saisie et violait ainsi l’ordre public. Saisi d’un pourvoi, le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas a sursis à statuer et a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice.

Il était ainsi demandé à la Cour si le règlement n° 44/2001 devait être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une juridiction d’un État membre reconnaisse et exécute, ou refuse de reconnaître, une sentence arbitrale interdisant à une partie de présenter certaines demandes devant une juridiction de cet État. La question centrale portait sur la possible atteinte au pouvoir de la juridiction étatique de statuer sur sa propre compétence, pouvoir protégé par le règlement, par une sentence qui, elle, émane d’une procédure d’arbitrage exclue du champ d’application de ce même règlement.

La Cour de justice répond que le règlement n° 44/2001 ne régit pas la reconnaissance et l’exécution, dans un État membre, d’une sentence arbitrale prononcée par un tribunal arbitral dans un autre État membre. Par conséquent, le règlement ne s’oppose ni à la reconnaissance et à l’exécution d’une telle sentence, ni à leur refus. Cette solution réaffirme l’étanchéité entre le champ d’application du règlement et celui de l’arbitrage (I), tout en la distinguant des situations antérieures où des injonctions provenaient de juridictions étatiques (II).

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**I. L’étanchéité réaffirmée entre le règlement et le droit de l’arbitrage**

La Cour fonde sa décision sur une application stricte du champ d’application du règlement n° 44/2001, ce qui la conduit à considérer que l’exclusion de l’arbitrage est le critère déterminant (A). En conséquence, le principe de confiance mutuelle, fondamental dans le système du règlement, ne saurait être invoqué pour paralyser les effets d’une sentence arbitrale (B).

**A. L’exclusion formelle de l’arbitrage comme critère dirimant**

L’argumentation de la Cour repose sur une lecture littérale de l’article 1er, paragraphe 2, sous d), du règlement n° 44/2001, qui exclut l’arbitrage de son champ d’application. Pour déterminer si un litige relève de ce champ, seule la nature de l’objet du litige doit être prise en considération. Or, en l’espèce, la procédure nationale ne porte pas sur un conflit de compétence entre juridictions de différents États membres, mais sur la reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale. La Cour souligne que ce processus ne relève pas du droit de l’Union.

Elle affirme en effet que « la procédure de reconnaissance et d’exécution d’une sentence arbitrale telle que celle en cause au principal relève du droit national et du droit international applicables dans l’État membre dans lequel cette reconnaissance et cette exécution sont demandées, et non du règlement n° 44/2001 ». Cette approche confirme que le règlement a pour seule vocation de régir les conflits de compétence entre les juridictions des États membres. Les tribunaux arbitraux n’étant pas des juridictions étatiques, une sentence qu’ils prononcent se situe en dehors du système de coopération judiciaire mis en place par le règlement. La qualification de cette sentence d’« anti-suit injunction » par la juridiction de renvoi n’y change rien, car son origine arbitrale la place d’emblée hors du périmètre du droit de l’Union sur la compétence judiciaire.

**B. Le rejet de l’atteinte au principe de confiance mutuelle**

La juridiction de renvoi suggérait que la reconnaissance de la sentence arbitrale pourrait porter atteinte à l’effet utile du règlement et au principe de confiance mutuelle entre les juridictions des États membres. La Cour écarte cet argument en rappelant que ce principe gouverne les relations entre les institutions judiciaires des États membres. Une sentence arbitrale ne saurait donc porter atteinte à ce principe, car elle n’émane pas d’une juridiction d’un autre État membre.

Selon la Cour, « il ne saurait être question d’une violation de ce principe par l’ingérence d’une juridiction d’un État membre dans la compétence d’une juridiction d’un autre État membre », puisque l’injonction a été prononcée par un tribunal arbitral. La confiance mutuelle n’est donc pas affectée. De plus, la Cour estime que le droit d’accès à un tribunal n’est pas non plus menacé, car la partie visée par l’injonction arbitrale conserve la faculté de s’opposer à sa reconnaissance et à son exécution devant le juge national. C’est à ce dernier qu’il appartient de contrôler, au regard de son droit procédural et des conventions internationales applicables, notamment la Convention de New York de 1958, la validité de ladite sentence.

**II. La portée de la solution au regard des injonctions anti-procédure**

La solution retenue par la Cour, si elle peut sembler simple, revêt une importance particulière lorsqu’on la met en perspective avec sa jurisprudence antérieure sur les injonctions anti-procédure. Elle opère une distinction nette avec les injonctions prononcées par une juridiction étatique (A) et consacre la compétence du juge national pour apprécier la validité d’une sentence arbitrale, y compris au regard de l’ordre public de l’Union (B).

**A. La distinction fondamentale avec une injonction d’origine juridictionnelle**

Cet arrêt doit être lu à la lumière de la jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Allianz et Generali Assicurazioni Generali* du 10 février 2009 (C-185/07). Dans cette affaire, la Cour avait jugé qu’une injonction prononcée par la juridiction d’un État membre interdisant à une partie de poursuivre une procédure devant une juridiction d’un autre État membre était incompatible avec le règlement. Une telle injonction portait directement atteinte à la compétence de la seconde juridiction et sapait le principe de confiance mutuelle.

Dans le présent arrêt, la Cour prend soin de distinguer les deux situations. La différence fondamentale réside dans l’origine de l’injonction : dans un cas, elle émane d’une juridiction étatique soumise au règlement, dans l’autre, d’un tribunal arbitral qui y est étranger. La Cour note également que les effets juridiques diffèrent, car le non-respect de l’injonction juridictionnelle dans l’affaire *Allianz* exposait à des sanctions prononcées par une juridiction, ce qui n’est pas le cas pour la sentence arbitrale en l’espèce, dont l’exécution dépend du juge de l’exequatur. La Cour circonscrit ainsi la prohibition des injonctions anti-procédure aux seules relations inter-juridictionnelles au sein de l’Union.

**B. La compétence préservée du juge national de l’exequatur**

En déclarant le règlement n° 44/2001 inapplicable, la Cour ne donne pas pour autant un blanc-seing aux sentences arbitrales qui entraveraient l’accès à la justice étatique. Elle renvoie la question de la reconnaissance et de l’exécution au droit national et au droit international, en l’occurrence la Convention de New York. C’est donc au juge de l’État requis qu’il appartient de statuer, en se fondant sur les motifs de refus prévus par cette convention, notamment la contrariété à l’ordre public.

Le dispositif de l’arrêt est clair : « le règlement […] ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction d’un État membre reconnaisse et exécute, ni à ce qu’elle refuse de reconnaître et d’exécuter, une sentence arbitrale ». Cette formulation neutre laisse entière la faculté pour le juge national de refuser la reconnaissance s’il estime que la sentence arbitrale viole des principes fondamentaux de son ordre juridique, ce qui peut inclure des principes du droit de l’Union constituant l’ordre public. En définitive, l’arrêt ne résout pas le fond du litige mais clarifie les instruments juridiques applicables, confirmant que le contrôle des sentences arbitrales s’opère au stade de l’exequatur, et non à travers le prisme du règlement sur la compétence judiciaire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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