En droit des marques de l’Union européenne, l’appréciation du risque de confusion entre deux signes constitue un exercice délicat, fondé sur une analyse globale de multiples facteurs. Un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, rendu le 25 janvier 2007, vient illustrer la rigueur du contrôle qu’elle exerce sur l’application des critères d’évaluation par les juridictions inférieures. En l’espèce, une société avait déposé une demande d’enregistrement pour la marque verbale « ARCOL » afin de désigner des produits tels que des agents d’enrobage. Le titulaire d’une marque verbale antérieure, « CAPOL », enregistrée pour des produits identiques ou similaires, a formé une opposition à cet enregistrement. L’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) a d’abord rejeté cette opposition, mais sa chambre de recours a ensuite infirmé cette décision, jugeant qu’il existait un risque de confusion. Saisi par la société déposante, le Tribunal de première instance des Communautés européennes a, par un arrêt du 10 novembre 2004, rejeté le recours en confirmant l’analyse de la chambre de recours. Le Tribunal a estimé que, malgré une faible similitude visuelle, la similitude phonétique moyenne entre les signes, combinée à l’identité des produits, suffisait à engendrer un risque de confusion dans l’esprit du public. C’est dans ce contexte que la société déposante a formé un pourvoi, posant à la Cour de justice la question de savoir si le Tribunal avait commis une erreur de droit dans son appréciation de la similitude des signes et, par conséquent, dans son évaluation globale du risque de confusion. La Cour de justice a répondu par l’affirmative, considérant que le Tribunal avait appliqué de manière erronée les principes régissant la comparaison des marques, ce qui a vicié l’ensemble de son analyse. En conséquence, la Cour a annulé l’arrêt du Tribunal ainsi que la décision de la chambre de recours.
La décision de la Cour de justice clarifie la méthodologie à appliquer lors de la comparaison des signes (I), tout en affirmant l’étendue de son contrôle sur la qualification juridique des éléments factuels (II).
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I. Une méthodologie clarifiée de la comparaison des signes
La Cour de justice rappelle que l’appréciation du risque de confusion doit être globale, mais elle précise la hiérarchie des éléments à prendre en compte. Elle met ainsi en lumière le poids prépondérant de l’attaque des signes (A) et la portée relative de la similarité des produits (B).
A. La prépondérance de l’attaque des signes dans la comparaison phonétique
Le raisonnement du Tribunal de première instance reposait sur l’idée qu’une similitude phonétique moyenne existait entre « ARCOL » et « CAPOL », principalement en raison de leur structure en deux syllabes et de leur terminaison commune « -col ». La Cour de justice censure cette analyse, estimant qu’elle constitue une erreur de droit. Elle souligne que « s’agissant de la similitude phonétique, l’éventuelle prédominance de l’attaque des signes dans la perception qu’en a le public pertinent doit être prise en compte ». Pour la Cour, le public pertinent attache généralement plus d’importance à la partie initiale des mots.
Dans le cas présent, les différences phonétiques entre les syllabes initiales « AR » et « CA » étaient suffisamment marquées pour neutraliser la ressemblance créée par la syllabe finale commune. En accordant un poids excessif à cette terminaison, le Tribunal a méconnu la manière dont le consommateur moyen perçoit les marques verbales courtes. Cette approche réaffirme un principe essentiel : dans une marque verbale, tous les éléments n’ont pas la même force distinctive, et l’analyse ne peut se contenter d’un décompte mécanique des ressemblances et des différences.
B. La portée limitée de l’identité des produits
Le Tribunal avait également jugé que l’identité des produits en cause pouvait compenser le faible degré de similitude des marques. La Cour de justice, sans remettre en cause le principe d’interdépendance, en limite la portée. Si l’identité des produits exige un examen plus rigoureux de la similitude des signes, elle ne saurait pour autant créer un risque de confusion là où les signes eux-mêmes sont suffisamment distincts. En jugeant que le Tribunal avait commis une erreur en concluant à une similitude phonétique moyenne, la Cour vide de sa substance l’application du principe d’interdépendance.
La conclusion est claire : pour qu’il y ait risque de confusion, un seuil minimal de ressemblance entre les marques doit être atteint, et ce, indépendamment de la similarité des produits. L’identité des produits ne peut avoir pour effet de « neutraliser les différences entre les signes ». En statuant ainsi, la Cour rappelle que le monopole conféré par la marque protège le signe en lui-même et que la comparaison des signes demeure le cœur de l’analyse.
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L’intervention de la Cour ne se limite pas à un simple rappel méthodologique ; elle constitue également une affirmation de la rigueur de son contrôle sur l’appréciation des juges du fond.
II. L’affirmation d’un contrôle de droit approfondi
La Cour de justice, tout en respectant la souveraineté du Tribunal dans l’appréciation des faits, exerce une censure rigoureuse sur la qualification juridique de ces derniers (A). Cette censure la conduit à statuer elle-même sur le fond du litige, démontrant ainsi toute la portée de son office (B).
A. La censure d’une qualification juridique erronée des faits
En principe, le pourvoi devant la Cour de justice est limité aux questions de droit. L’appréciation de la similitude entre deux marques relève, en grande partie, d’une analyse factuelle qui échappe à son contrôle. Toutefois, la Cour peut intervenir lorsque le Tribunal a dénaturé les faits ou, comme en l’espèce, lorsqu’il leur a donné une qualification juridique erronée. En jugeant que l’analyse phonétique du Tribunal était viciée, la Cour ne substitue pas sa propre appréciation des faits, mais elle contrôle la conformité du raisonnement juridique suivi.
Elle considère que déterminer si des signes présentent une similitude phonétique moyenne n’est pas une simple constatation factuelle, mais une qualification juridique qui doit être correctement motivée au regard des principes directeurs. La Cour estime que le Tribunal « a commis une erreur de droit en considérant que les signes en conflit présentaient une similitude phonétique moyenne ». Cette censure témoigne d’une conception stricte de l’erreur de droit, permettant à la Cour d’exercer un contrôle approfondi sur la logique et la cohérence de la motivation des arrêts du Tribunal, garantissant ainsi une application uniforme du droit des marques.
B. Le règlement du litige au fond
Ayant annulé l’arrêt du Tribunal, la Cour de justice aurait pu renvoyer l’affaire devant ce dernier. Elle choisit cependant de statuer définitivement sur le litige, considérant que l’état de la procédure le permet. Elle procède à sa propre appréciation globale et conclut qu’en l’absence de similitude phonétique et compte tenu de la faible ressemblance visuelle, il n’existe pas de risque de confusion, malgré l’identité des produits. Par conséquent, elle annule non seulement l’arrêt attaqué, mais aussi la décision de la chambre de recours de l’Office qui avait initialement fait droit à l’opposition.
Cette décision finale confère à l’arrêt une portée pratique considérable. Au-delà de sa valeur de principe sur la méthodologie de comparaison, il met un terme définitif à un litige de plusieurs années et assure la sécurité juridique pour le déposant de la marque. Il envoie également un signal clair à l’Office et au Tribunal sur la nécessité de motiver de manière circonstanciée leurs analyses, particulièrement en ce qui concerne la perception des marques par le public. Cet arrêt n’est donc pas une simple décision d’espèce ; il constitue un précédent important pour l’évaluation du risque de confusion entre marques verbales courtes.