Par un arrêt du 22 octobre 2009, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’étendue de la marge d’appréciation reconnue aux États membres pour l’octroi d’indemnités compensatoires en faveur des exploitants agricoles situés dans des zones défavorisées. En l’espèce, un exploitant agricole s’est vu refuser le bénéfice d’une telle indemnité pour les années 1996 à 1998 au motif qu’il percevait une prestation sociale d’ancienneté de la part du fonds de pension de son ancien employeur. Après avoir obtenu l’aide pour les années 1994 et 1995, le rejet de ses demandes ultérieures par l’administration compétente a été contesté. La juridiction administrative de première instance saisie du litige a annulé la décision de refus, estimant que la prestation perçue par l’exploitant n’était pas assimilable à une pension de retraite ou de préretraite. Saisie en appel par les autorités régionales, la juridiction de renvoi a sursis à statuer afin de soumettre une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si le droit communautaire s’opposait au refus d’octroi de l’indemnité compensatoire à un exploitant au motif que celui-ci perçoit une pension, et en particulier une pension d’ancienneté. La Cour répond que les règlements applicables confèrent aux États membres la faculté d’accorder cette indemnité mais ne les empêchent pas de refuser son versement dans une telle situation. La solution retenue par la Cour, qui clarifie la marge d’appréciation des États membres (I), a pour effet de renvoyer au droit national la responsabilité de définir précisément les conditions d’exclusion (II).
I. La clarification de la marge d’appréciation des États membres dans l’octroi des indemnités compensatoires
La Cour de justice fonde son raisonnement sur une interprétation littérale des textes communautaires, reconnaissant une faculté d’action aux États membres (A) tout en opérant une distinction claire entre les conditions d’éligibilité à l’aide et les conséquences attachées à la perception d’une pension (B).
A. La reconnaissance d’une faculté d’octroi conditionnée par le droit de l’Union
La Cour souligne que les articles 17 et 18 du règlement n° 950/97 emploient le verbe « pouvoir », ce qui démontre la nature discrétionnaire de l’aide pour les États membres. L’article 17 dispose que ceux-ci « peuvent instituer un régime d’aides », tandis que l’article 18, paragraphe 1, précise qu’ils « peuvent accorder l’indemnité compensatoire » aux exploitants remplissant certaines conditions objectives, comme une surface minimale d’exploitation et un engagement de poursuite de l’activité. La juridiction de l’Union en déduit logiquement que « le législateur communautaire a donc conféré à ces derniers une faculté d’appréciation dans ce domaine ». De surcroît, l’article 18, paragraphe 2, autorise expressément les États à prévoir des « conditions complémentaires ou limitatives ». Le règlement établit ainsi un cadre, fixant des objectifs et des conditions minimales, mais laisse aux autorités nationales le soin de décider de l’opportunité et des modalités précises de l’octroi de l’indemnité, pourvu que les objectifs généraux de maintien de l’activité agricole et de l’entretien de l’espace naturel soient respectés.
B. La distinction entre conditions d’éligibilité et conséquences de la perception d’une pension
La Cour analyse ensuite les dispositions spécifiques relatives aux pensions de retraite ou de préretraite pour en déterminer la portée exacte. L’article 18, paragraphe 1, libère l’exploitant de son engagement de cinq ans s’il perçoit une telle pension, et l’article 19, paragraphe 3, exclut le cofinancement communautaire dans ce cas. La Cour juge que ces dispositions « portent non pas sur la faculté des États membres d’accorder une indemnité compensatoire lorsque l’exploitant perçoit une pension de retraite ou de préretraite, mais seulement sur les conséquences d’une telle perception ». Autrement dit, le droit de l’Union ne pose pas d’interdiction de principe au cumul de l’indemnité avec une pension. Il se limite à aménager le régime de l’aide lorsque ce cumul se présente. Par conséquent, la décision d’exclure ou non un bénéficiaire percevant une pension, qu’il s’agisse d’une pension de retraite, de préretraite ou d’une autre prestation sociale comme une pension d’ancienneté, relève de la faculté d’appréciation laissée aux États membres en vertu des articles 17 et 18 du règlement.
L’interprétation ainsi donnée par la Cour consacre une application mesurée du principe de subsidiarité (II), en renvoyant à l’ordre juridique interne la charge de fixer les contours de son propre régime d’aides (B).
II. La portée de la solution : entre subsidiarité et responsabilité nationale
En validant la possibilité pour un État membre d’édicter des règles plus strictes que le cadre communautaire, la Cour affirme le rôle du principe de subsidiarité dans la mise en œuvre de la politique agricole (A). Elle en tire la conséquence logique que la détermination finale du droit applicable relève de la seule responsabilité du législateur et du juge nationaux (B).
A. L’affirmation du principe de subsidiarité dans la mise en œuvre de la politique agricole
La décision commentée constitue une illustration classique de la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres. Le règlement communautaire fixe des objectifs généraux, à savoir « assurer la poursuite de l’activité agricole et, ainsi, le maintien d’un minimum de peuplement ou l’entretien de l’espace naturel dans certaines zones défavorisées ». Cependant, il laisse aux États la liberté de moduler les instruments pour atteindre ces buts. Cette approche est particulièrement pertinente dans le domaine des prestations sociales, dont les régimes et la terminologie varient considérablement d’un État à l’autre. En refusant d’imposer une définition uniforme de ce qui constitue une pension faisant obstacle au versement de l’aide, la Cour évite d’interférer avec les systèmes de sécurité sociale nationaux. Elle permet ainsi à chaque État d’adapter le dispositif d’aide agricole en cohérence avec les spécificités de son propre droit social, pourvu que les conditions posées soient objectives et non discriminatoires.
B. Le renvoi à la responsabilité du législateur et du juge nationaux
La conséquence directe de cette solution est de placer la juridiction de renvoi face à ses propres responsabilités interprétatives. La Cour de justice rappelle en effet avec fermeté qu’« il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la portée de dispositions nationales, cette mission incombant à la juridiction de renvoi ». La question de savoir si la législation sicilienne, qui exclut les titulaires de pensions de retraite ou de préretraite, doit être interprétée comme excluant également les titulaires d’une pension d’ancienneté est une question de pur droit interne. La portée de l’arrêt est donc de clarifier le cadre européen pour mieux délimiter le champ d’application du droit national. Il incite les États membres à faire usage de la faculté qui leur est offerte avec précision et clarté dans leur législation de transposition. Si un État souhaite exclure du bénéfice de l’aide les agriculteurs percevant certaines prestations sociales, il doit le faire de manière explicite, la Cour de justice n’admettant pas une telle exclusion par simple analogie ou extension des règles communautaires.