Cour de justice de l’Union européenne, le 13 mars 2012, n°C-380/09

Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la légalité des mesures restrictives de gel de fonds appliquées à la filiale d’une entité iranienne désignée pour son soutien à la prolifération nucléaire. En l’espèce, une banque contrôlée par l’État iranien avait été identifiée par le Conseil de l’Union européenne comme une entité apportant un appui aux programmes nucléaire et de missiles de ce pays. En conséquence, sa filiale à 100 %, une société anonyme de droit britannique, a également vu ses fonds et ressources économiques gelés, en application de la réglementation européenne visant à mettre en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. La décision de gel des avoirs de la filiale n’était fondée que sur ce lien de propriété, sans allégation d’une participation propre de celle-ci aux activités de prolifération.

La filiale a contesté son inscription sur la liste des entités sanctionnées devant le Tribunal de l’Union européenne, qui a cependant rejeté son recours. Le Tribunal a estimé que le règlement applicable imposait au Conseil de geler les fonds d’une entité dès lors qu’il était établi qu’elle était détenue ou contrôlée par une entité impliquée dans la prolifération, ne lui laissant aucune marge d’appréciation quant à l’opportunité d’une telle mesure. La filiale a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant notamment que le Tribunal avait commis une erreur de droit dans son interprétation du règlement, dans son appréciation de la proportionnalité de la mesure, dans la définition du critère de contrôle et dans l’évaluation de la suffisance de la motivation de l’acte du Conseil. La question centrale posée à la Cour était donc de savoir si le droit de l’Union autorise le gel automatique des avoirs d’une filiale du seul fait de son lien de propriété avec une entité désignée, sans évaluation individualisée de son propre comportement.

La Cour de justice a rejeté le pourvoi, validant l’approche du Conseil. Elle a confirmé que le règlement imposait bien une obligation de geler les fonds des entités détenues par une personne désignée, sans qu’une appréciation distincte de l’implication de la filiale ne soit requise. La Cour a cependant rectifié le raisonnement du Tribunal concernant le critère de la détention, tout en jugeant que cette erreur était sans incidence sur la solution du litige. L’arrêt conduit ainsi à examiner la consécration d’un mécanisme de sanction fondé sur le lien capitalistique (I), avant d’étudier les clarifications apportées aux conditions de sa mise en œuvre (II).

I. La consécration d’un mécanisme de gel automatique des fonds

La Cour confirme l’interprétation selon laquelle la réglementation anti-prolifération instaure un gel obligatoire des fonds des filiales d’entités désignées (A), une solution dont elle défend la compatibilité avec le principe de proportionnalité (B).

A. Le caractère obligatoire de la sanction pour les entités détenues

L’appelante soutenait que le Tribunal avait commis une erreur de droit en jugeant que l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 423/2007 imposait au Conseil de geler ses fonds sans disposer d’une marge d’appréciation. La Cour de justice écarte cet argument en se fondant sur une interprétation littérale de la disposition. Elle relève que le texte prévoit que « sont gelés tous les fonds » des personnes et entités citées en annexe, ce qui ne laisse place à aucun pouvoir discrétionnaire une fois les conditions d’inscription remplies.

La Cour opère une distinction claire entre deux étapes du raisonnement du Conseil. La première étape, qui consiste à déterminer si une entité est « détenue ou contrôlée » par une entité impliquée dans la prolifération, comporte une appréciation au cas par cas. La seconde, en revanche, est automatique : dès lors que le lien de détention ou de contrôle est établi, le gel des fonds s’impose. La Cour souligne que cette obligation ne nécessite pas de démontrer que l’entité détenue « participe elle-même à cette prolifération ». La logique retenue est donc purement préventive et structurelle, visant à neutraliser un canal potentiel de contournement des sanctions, indépendamment de toute conduite illicite avérée ou même suspectée de la part de la filiale.

B. Une appréciation restrictive de la proportionnalité de la mesure

L’appelante contestait le caractère proportionné d’un tel mécanisme automatique, arguant que des mesures moins attentatoires à son droit de propriété et à sa liberté d’entreprise auraient pu atteindre le même objectif. La Cour rejette cette argumentation en réaffirmant la primauté de l’objectif de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Elle estime que le gel des fonds des filiales est à la fois approprié et nécessaire pour garantir l’efficacité des sanctions visant l’entité mère.

La Cour considère en effet qu’il « existe un risque non négligeable que celle-ci exerce une pression sur les entités qu’elle détient ou contrôle, pour contourner l’effet des mesures qui la visent ». En validant ce postulat d’un risque général de contournement inhérent au lien de propriété, elle justifie l’absence de nécessité d’une analyse individualisée du risque. Les mesures alternatives proposées par l’appelante, telles que la surveillance des transactions, sont jugées inefficaces. Cette approche démontre une forte déférence envers le législateur de l’Union et le Conseil dans le domaine des mesures restrictives, où les impératifs de sécurité l’emportent manifestement sur les droits économiques individuels.

II. La clarification des critères de mise en œuvre des sanctions

Au-delà de la validation du principe de l’automaticité, la Cour précise le critère de fond justifiant l’inscription sur la liste (A) ainsi que les exigences formelles qui s’y attachent (B).

A. L’autosuffisance du critère de la détention capitalistique

Le troisième moyen du pourvoi portait sur une erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal dans l’application du critère de « détention ou contrôle ». De manière notable, la Cour de justice censure sur ce point le raisonnement des premiers juges. Le Tribunal avait en effet estimé qu’il fallait rechercher si, du fait de sa détention, la filiale pouvait être amenée, « avec une probabilité non négligeable », à contourner les mesures visant sa société mère. La Cour juge qu’en ajoutant cette condition, le Tribunal a commis une erreur de droit.

Elle clarifie que l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement prévoit deux critères alternatifs : la détention ou le contrôle. Dans le cas d’une filiale intégralement détenue, le critère de la détention est suffisant en lui-même. La Cour énonce ainsi que « lorsqu’une entité est détenue à 100 % par une entité considérée comme participant à la prolifération nucléaire, la condition de détention […] est remplie ». Nul besoin pour le Conseil de prouver l’existence d’un contrôle effectif ou d’un risque de contournement. Cette rectification simplifie considérablement le critère d’application des sanctions, renforçant la portée de la présomption liée au lien capitalistique. Cette erreur de droit est cependant jugée sans incidence sur l’issue du litige, le Tribunal ayant in fine rejeté le moyen de l’appelante.

B. Une conception pragmatique de l’obligation de motivation

L’appelante reprochait enfin au Conseil un défaut de motivation, la décision de gel de ses fonds ne contenant pas de raisons « individuelles et spécifiques ». La Cour écarte cet argument et valide l’analyse du Tribunal selon laquelle la motivation était suffisante. Elle juge que l’acte du Conseil remplissait son office en indiquant sa base légale, à savoir l’article 7, paragraphe 2, du règlement, et en mentionnant explicitement l’appelante comme étant une filiale de l’entité mère désignée pour sa participation à la prolifération.

Selon la Cour, « la mention de [l’appelante] comme filiale de [l’entité mère], fait nécessairement connu de [l’appelante] et qui n’avait jamais été contesté, était suffisante ». Ces éléments permettaient à la société sanctionnée de comprendre les motifs de son inscription et d’exercer utilement son droit au recours. Cette approche pragmatique de l’obligation de motivation montre que, lorsque la sanction découle automatiquement d’un critère objectif et connu de l’intéressé, comme le lien de filiation, des développements circonstanciés sur la situation individuelle de la filiale ne sont pas requis.

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Hassan KOHEN
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