Cour de justice de l’Union européenne, le 13 mars 2014, n°C-155/13

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision remarquée le 13 mars 2014 concernant la réglementation des contingents tarifaires agricoles. Ce litige s’inscrit dans le cadre du régime des certificats d’importation pour l’ail d’origine chinoise défini par le règlement communautaire numéro 341/2007. Plusieurs sociétés commerciales ont procédé à des importations en utilisant des certificats permettant de bénéficier d’un tarif douanier préférentiel durant les années 2007 et 2008. Ces importateurs avaient acquis la marchandise auprès d’un opérateur tiers avant de la lui revendre immédiatement après son dédouanement effectif sur le territoire européen. L’administration douanière a émis des avis de recouvrement au motif que ces opérations successives visaient à contourner l’interdiction de transfert des droits de certificats. Les requérantes ont contesté ces rectifications devant la Commission régionale fiscale de Venise-Mestre qui a alors interrogé la Cour sur la validité de telles pratiques commerciales. La question posée portait sur l’interprétation de l’interdiction de transmission des droits provenant des certificats face à des cessions répétées de marchandises entre opérateurs. La Cour de justice énonce que le droit communautaire ne s’oppose pas par principe à ces reventes successives sauf en présence d’un montage artificiel frauduleux. Il convient d’analyser d’abord l’absence d’interdiction générale des transactions sur les marchandises importées avant d’étudier les critères de caractérisation de l’abus de droit.

I. L’absence d’interdiction de principe des transactions sur les marchandises

A. Le respect formel des conditions de mise en libre pratique

Les importateurs concernés possédaient des certificats d’importation obtenus de manière régulière conformément aux exigences prévues par la réglementation de l’Union européenne applicable. Ces opérateurs ont procédé au dédouanement des marchandises en satisfaisant l’ensemble des conditions administratives requises pour l’octroi d’un tarif douanier réduit. La Cour souligne que « toutes les conditions formelles d’octroi du tarif préférentiel étaient satisfaites » au moment de l’entrée de l’ail sur le territoire. Le droit de l’Union n’interdit pas explicitement à un détenteur de certificat d’acheter un produit avant son importation pour le revendre ultérieurement. La validité juridique des contrats de vente successifs n’était pas remise en cause par les autorités nationales saisies du litige lors des procédures initiales.

B. La distinction entre cession de droits et vente de produits

Le règlement interdit formellement la transmission des droits attachés aux certificats afin d’éviter la spéculation et de protéger la concurrence entre les opérateurs. Les juges précisent que l’interdiction réglementaire « ne réglemente pas la situation où le titulaire de certificats d’importation à taux réduit achète une marchandise » pour la revendre. La simple vente d’un produit ne peut être assimilée à une cession illicite du titre d’importation lui-même tant que l’importateur assume ses obligations. L’activité commerciale normale permet la libre circulation des produits agricoles à l’intérieur du marché unique après l’acquittement des taxes douanières prévues par les textes. La Cour préserve ainsi la liberté contractuelle des entreprises agricoles en refusant une extension automatique de l’interdiction de transfert aux transactions portant sur les biens.

II. Le critère de l’artificiosité caractérisant l’abus de droit

A. L’identification d’un montage visant l’obtention d’un avantage indu

L’existence d’une pratique abusive suppose la réunion d’un élément objectif montrant que l’objectif de la réglementation n’est pas atteint malgré le respect des formes. Le but essentiel des opérations litigieuses doit être d’obtenir un avantage contraire aux finalités du droit communautaire en créant artificiellement les conditions de son octroi. La Cour rappelle que « les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes de l’Union » pour tirer un profit illégitime de ces dispositions. Un montage est considéré comme abusif s’il permet à un opérateur ayant épuisé ses propres contingents d’étendre son influence commerciale de manière détournée. Le juge doit examiner si les transactions visent uniquement à bénéficier d’une exonération fiscale qui n’aurait pas été accordée dans des circonstances économiques ordinaires.

B. La nécessaire vérification des justifications économiques par le juge national

Il appartient aux juridictions nationales d’apprécier la réalité des risques commerciaux assumés par les différents intervenants lors des étapes d’achat et de revente. L’absence de profit réel ou l’existence de prix de vente inférieurs aux tarifs du marché constituent des indices sérieux d’un caractère purement artificiel. Les juges doivent vérifier si les opérations sont « dénuées de toute justification économique et commerciale » pour les importateurs titulaires des certificats utilisés lors du dédouanement. La présence d’un intérêt réel à importer ou la fixation d’un prix permettant de tirer un bénéfice substantiel peuvent écarter la qualification de fraude. L’analyse globale des faits doit inclure toutes les circonstances entourant l’importation pour déterminer si la volonté des parties était de contourner les règles.

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Hassan KOHEN
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