Cour de justice de l’Union européenne, le 13 mars 2014, n°C-204/13

Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les conditions d’exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. La Cour précise l’articulation entre les activités préparatoires à une activité économique et la nécessité d’un lien avec une opération en aval ouvrant droit à déduction.

En l’espèce, un associé d’une société civile dissoute avait acquis une partie de la clientèle de celle-ci. Il a ensuite constitué une nouvelle société civile, dont il était l’associé principal, et a mis gratuitement cette clientèle à la disposition de la nouvelle entité afin que celle-ci l’exploite dans le cadre de son activité professionnelle. L’administration fiscale a cependant refusé à cet associé le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée qu’il avait acquittée lors de l’acquisition de ladite clientèle.

Saisi du litige, le juge de première instance a fait droit à la demande de l’associé. L’administration fiscale a alors formé un recours devant la juridiction supérieure, laquelle a décidé de surseoir à statuer. Cette juridiction a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle afin de déterminer si le droit de l’Union, et notamment le principe de neutralité, permet à un associé de déduire la taxe d’amont afférente à l’acquisition d’un bien lorsque celui-ci est destiné à être mis immédiatement et gratuitement à la disposition d’une nouvelle société qu’il contrôle. La question posée visait en particulier à déterminer si la jurisprudence antérieure de la Cour, relative aux frais d’investissement exposés par des associés avant la constitution d’une société, était transposable à une telle situation.

À la question de savoir si un associé qui acquiert une clientèle pour la mettre gratuitement à la disposition d’une nouvelle société peut déduire la taxe payée en amont, la Cour de justice répond par la négative. Elle juge que les dispositions de la sixième directive « doivent, au regard du principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée, être interprétées en ce sens qu’un associé d’une société civile de conseil fiscal qui acquiert de cette société une partie de la clientèle avec pour seul objectif de mettre celle-ci directement et gratuitement à la disposition d’une société civile de conseil fiscal nouvellement constituée, dont il est le principal associé, pour que cette dernière exploite ladite clientèle à titre professionnel, sans pour autant que celle-ci entre dans le patrimoine de la société nouvellement constituée, n’est pas en droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée payée en amont sur l’acquisition de la clientèle en question ».

La solution retenue par la Cour repose sur une application stricte des conditions d’ouverture du droit à déduction (I), ce qui la conduit à écarter toute extension d’une jurisprudence antérieure plus favorable (II).

I. Le rappel des conditions strictes du droit à déduction

La Cour de justice fonde sa décision sur les mécanismes fondamentaux du système commun de la taxe sur la valeur ajoutée. Elle rappelle que le droit à déduction est subordonné à l’affectation du bien ou du service à une opération en aval taxée. Cette exigence conduit à rejeter la déduction lorsque l’opération en aval est une mise à disposition gratuite (A), sans que le coût d’acquisition puisse être rattaché aux frais généraux de l’assujetti (B).

A. L’exigence d’un lien direct et immédiat avec une opération en aval taxée

Le droit à déduction de la taxe d’amont est conditionné, en principe, par l’existence d’un « lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction ». Ce principe cardinal du système de la taxe sur la valeur ajoutée garantit que la déduction ne bénéficie qu’aux opérations qui s’inscrivent dans un cycle économique soumis à l’impôt. La taxe qui a grevé les éléments du prix d’une opération est ainsi déduite, assurant la neutralité de l’impôt pour les assujettis.

Dans le cas d’espèce, l’opération en aval consistait en la mise à disposition gratuite de la clientèle à la nouvelle société. Or, la Cour constate que cette opération « ne relève pas du champ d’application de la TVA ». En effet, une prestation effectuée sans contrepartie financière n’est pas une opération réalisée à titre onéreux et ne peut, dès lors, être qualifiée d’activité économique au sens de la directive. La Cour souligne que la mise à disposition étant « gratuite », elle ne peut être regardée comme « l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence ». Faute d’opération en aval taxable, le lien direct et immédiat est rompu, ce qui fait obstacle à l’exercice du droit à déduction.

B. Le rejet de l’imputation aux frais généraux de l’assujetti

La Cour de justice examine ensuite si le droit à déduction pourrait être ouvert par une autre voie. La jurisprudence admet en effet qu’un droit à déduction peut exister « même en l’absence d’un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval », lorsque les coûts engagés font partie des frais généraux de l’assujetti. Ces coûts sont alors considérés comme des éléments constitutifs du prix de l’ensemble de son activité économique.

Cependant, pour que cette exception s’applique, il aurait fallu que le coût d’acquisition de la clientèle puisse être rattaché à une activité économique propre de l’associé lui-même, telle que son activité de gérant de la nouvelle société. La Cour relève que la juridiction de renvoi a elle-même « écarté cette hypothèse de son raisonnement ». Par conséquent, la Cour de justice ne poursuit pas l’analyse sur ce point, mais cette mention confirme implicitement que l’acquisition de la clientèle n’était pas intrinsèquement liée à une activité économique personnelle de l’associé ouvrant droit à déduction. Le coût ne pouvait donc être intégré à ses frais généraux, fermant ainsi la seule autre voie qui aurait pu potentiellement justifier la déduction.

Après avoir réaffirmé les conditions classiques du droit à déduction, la Cour s’attache à distinguer la situation d’espèce d’une jurisprudence antérieure invoquée par la juridiction de renvoi.

II. Le refus d’une conception extensive des exceptions au mécanisme de déduction

La juridiction nationale s’interrogeait sur la possibilité d’appliquer par analogie une jurisprudence autorisant la déduction de frais d’investissement engagés avant la création d’une société. La Cour de justice rejette fermement cette analogie en procédant à une interprétation restrictive de sa jurisprudence antérieure (A) et en soulignant la portée des choix juridiques opérés par l’assujetti (B).

A. Une distinction rigoureuse avec la jurisprudence antérieure

La juridiction de renvoi se demandait si la motivation retenue dans un arrêt antérieur, concernant la récupération de la taxe pour des opérations effectuées en vue d’une activité économique future, était transposable. Dans cette affaire passée, les associés n’avaient pu déduire la taxe relative à un apport en nature à une société, car l’opération était exonérée, et la société elle-même n’avait pu le faire, créant une rupture de la neutralité de l’impôt. La Cour avait alors jugé que le droit de l’Union s’opposait à une telle situation où le droit à déduction était entièrement perdu.

Dans la présente décision, la Cour prend soin de distinguer les deux situations. Elle relève que, dans l’affaire antérieure, l’opération en aval, bien qu’exonérée, relevait du champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée. En revanche, dans le cas présent, la mise à disposition gratuite est une opération qui se situe hors de ce champ. Cette distinction est fondamentale : le principe de neutralité ne saurait s’appliquer pour corriger les effets d’une opération non imposable. En outre, la Cour note d’autres différences factuelles, comme le fait que la nouvelle société était déjà créée lors de l’acquisition de la clientèle et que celle-ci n’a pas été formellement apportée à son patrimoine. Le raisonnement de l’arrêt antérieur n’est donc « pas transposable ».

B. La portée déterminante du montage juridique choisi par l’assujetti

Enfin, la Cour de justice achève son raisonnement en relevant un point essentiel. Elle observe que l’associé a délibérément choisi de mettre la clientèle à disposition à titre gratuit. D’autres solutions juridiques, qui auraient pu ouvrir un droit à déduction, étaient envisageables mais n’ont pas été retenues. Cette remarque souligne que le principe de neutralité n’a pas pour vocation de remédier aux conséquences d’un montage juridique choisi par l’assujetti, lorsque ce montage le place en dehors des conditions d’exercice du droit à déduction.

Contrairement à la situation de l’affaire antérieure, où la réglementation nationale semblait créer une impossibilité structurelle de déduire la taxe, la législation en cause ici ne s’opposait pas en elle-même à la déduction. C’est le choix de l’assujetti qui a fait obstacle à l’application du mécanisme. Le principe de neutralité, rappelle la Cour, « est non pas une règle de droit primaire, mais un principe d’interprétation ». Il ne permet pas d’étendre le champ d’application du droit à déduction à l’encontre d’une disposition claire de la directive. En refusant de neutraliser les conséquences fiscales du choix de l’assujetti, la Cour réaffirme que les opérateurs économiques restent responsables de la structuration de leurs opérations.

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Hassan KOHEN
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