La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision rendue le 13 mars 2014, précise le champ d’application des exemptions techniques prévues pour les transports routiers. Un véhicule appartenant à une société commerciale a été intercepté alors qu’il acheminait du gravier destiné à des travaux de réparation de la voirie publique. L’entreprise ne disposait pas du tachygraphe requis par la réglementation sociale européenne pour contrôler les temps de conduite et de repos du conducteur du camion. Le tribunal administratif de Tartu a rejeté le premier recours en considérant que la simple mention de véhicule d’entretien ne suffisait pas à justifier la dispense. La cour d’appel de Tartu a par la suite décidé de surseoir à statuer pour interroger les juges européens sur la notion d’entretien de la voirie. Le problème de droit consiste à savoir si le transport de matériaux de construction bénéficie de la dérogation prévue pour les services d’intérêt public général. La Cour décide que le transport doit être entièrement et exclusivement lié aux travaux et constituer une activité accessoire pour être dispensé de tachygraphe. L’examen de cette décision invite à analyser l’interprétation restrictive de la dérogation avant d’étudier les conditions pratiques de sa mise en œuvre par le juge.
I. Une interprétation restrictive de la dérogation fondée sur l’intérêt public
A. La nécessité d’un lien exclusif avec l’activité d’entretien
Les juges rappellent que les dispositions dérogatoires du règlement ne sauraient être interprétées de façon à étendre leurs effets au-delà de ce qui est strictement nécessaire. Le bénéfice de la dispense d’utilisation du tachygraphe suppose que le transport soit « entièrement et exclusivement lié » à la réalisation d’une mission de service public. En l’espèce, le transport de gravier vers un chantier de voirie répond théoriquement à cette exigence d’exclusivité dès lors que le matériau est réservé aux travaux. Cette condition d’exclusivité garantit que la dérogation ne profite pas à des activités purement commerciales qui ne participeraient pas directement à l’entretien de la voirie nationale. Le lien organique entre le chargement et le but d’intérêt général poursuivi par l’autorité publique constitue le premier pilier du raisonnement de la Cour.
B. La préservation d’une concurrence non faussée entre les entreprises
L’exemption de l’appareil de contrôle ne doit pas conférer d’avantage économique indu aux entreprises privées agissant pour le compte d’une autorité de service public. La Cour souligne que dispenser un prestataire privé des coûts liés à l’installation d’un tachygraphe pourrait fausser la concurrence sur le marché du transport routier. Le règlement vise à harmoniser les conditions de travail pour éviter que certains opérateurs ne tirent profit d’une réglementation sociale moins contraignante que leurs concurrents. L’interprétation stricte de la notion de service public permet ainsi de maintenir un équilibre entre les impératifs de sécurité routière et les principes du marché. Cette approche téléologique renforce la protection des conducteurs tout en assurant une saine émulation entre les acteurs économiques intervenant dans le secteur des travaux publics.
II. L’application concrète des critères de distance et d’accessoirité
A. Le transport de matériaux comme activité purement accessoire aux travaux
La Cour précise que le véhicule doit être directement utilisé pour répandre le matériau sur la chaussée pour bénéficier de l’exemption prévue par le règlement. Le simple transport de gravier ne saurait être regardé comme une activité d’entretien si le déplacement demeure le but principal de l’opération de conduite réalisée. Pour bénéficier de la dérogation, le transport doit « demeurer accessoire » aux travaux de voirie eux-mêmes, lesquels doivent constituer le cœur de la mission du conducteur. Une extension de la dispense à des transports longs et fréquents risquerait de porter atteinte à l’objectif d’amélioration des conditions de travail du personnel roulant. Le critère de l’accessoirité permet ainsi de limiter la dérogation aux seules interventions techniques urgentes ou géographiquement restreintes qui caractérisent l’entretien normal des routes.
B. L’appréciation souveraine du juge national au regard du contexte local
Le juge national doit vérifier si le déplacement respecte l’exigence de distance limitée en tenant compte des particularités géographiques et climatiques de la région concernée. Les juges européens soulignent que les distances entre les agglomérations peuvent varier considérablement selon la densité de population des différents États membres de l’Union. Il appartient à la cour d’appel de Tartu d’apprécier souverainement si le trajet de dix kilomètres séparant le camion du chantier présente un caractère accessoire. Les conditions météorologiques et la nécessité d’intervenir rapidement pour réparer la voirie abîmée constituent des éléments de fait indispensables à la qualification juridique finale. Cette marge de manœuvre laissée à la juridiction de renvoi assure une application proportionnée de la norme européenne aux réalités concrètes des services de voirie.