La Cour de justice de l’Union européenne, dans une décision préjudicielle, vient préciser l’application du principe de non-discrimination entre les travailleurs à durée déterminée et ceux à durée indéterminée. En l’espèce, une salariée a été employée durant de nombreuses années par le même employeur en vertu d’un contrat à durée indéterminée. Après avoir mis fin à cette relation de travail d’un commun accord, les parties ont conclu un nouveau contrat, cette fois à durée déterminée, pour le même poste. Quelques années plus tard, l’employeur a résilié ce contrat en appliquant un délai de préavis de deux semaines, conformément à une clause du contrat autorisée par la législation nationale pour les contrats à durée déterminée de plus de six mois.
La salariée a saisi une juridiction polonaise en soutenant que cette rupture était discriminatoire. Elle estimait qu’en raison de son ancienneté totale, elle aurait dû bénéficier d’un préavis de trois mois, applicable aux travailleurs en contrat à durée indéterminée. La juridiction de renvoi, constatant que le droit national prévoyait un délai de préavis fixe et plus court pour les contrats à durée déterminée par rapport aux délais variables et potentiellement plus longs pour les contrats à durée indéterminée, a interrogé la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, annexé à la directive 1999/70/CE, s’oppose à une telle réglementation nationale qui établit une différence de traitement pour le calcul du délai de préavis selon la nature du contrat de travail.
À cette question, la Cour répond par l’affirmative. Elle juge que la clause 4, point 1, de l’accord-cadre interdit une réglementation nationale qui prévoit, pour la résiliation des contrats à durée déterminée, un délai de préavis fixe et plus court, sans tenir compte de l’ancienneté, alors que pour les contrats à durée indéterminée, ce délai est fonction de l’ancienneté et peut être plus long, dès lors que les deux catégories de travailleurs se trouvent dans une situation comparable.
Cette solution conduit à examiner la manière dont la Cour étend le principe de non-discrimination aux modalités de rupture du contrat de travail (I), avant d’analyser la sévérité de son contrôle sur les justifications d’une différence de traitement (II).
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I. L’extension du principe de non-discrimination aux modalités de rupture du contrat
La Cour de justice adopte une interprétation large du champ d’application de l’accord-cadre en y incluant le délai de préavis (A), ce qui l’amène à définir une méthode d’appréciation concrète pour établir l’existence d’une discrimination (B).
A. L’inclusion du délai de préavis dans la notion de « conditions d’emploi »
Pour déterminer si le principe de non-discrimination est applicable, la Cour devait d’abord s’assurer que le délai de préavis relève des « conditions d’emploi » au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre. En se fondant sur les objectifs du texte, qui visent à « améliorer la qualité du travail à durée déterminée en assurant le respect du principe de non-discrimination », la Cour rappelle que cette notion ne saurait être interprétée de manière restrictive. Elle affirme que le critère décisif est celui de la relation de travail entre un travailleur et son employeur.
Le raisonnement de la Cour est clair : exclure les conditions de résiliation du contrat de la notion de « conditions d’emploi » reviendrait à « réduire, au mépris de l’objectif assigné à ladite disposition, le champ d’application de la protection accordée aux travailleurs à durée déterminée contre les discriminations ». Pour conforter son analyse, elle procède par analogie avec d’autres textes du droit de l’Union, notamment les directives relatives à l’égalité de traitement en matière d’emploi, qui incluent expressément les « conditions de licenciement » dans leur champ. Cette démarche confirme une volonté d’harmoniser la portée des protections accordées aux travailleurs, quel que soit le fondement de la discrimination potentielle. En qualifiant ainsi le délai de préavis de condition d’emploi, la Cour ouvre la voie à une comparaison directe entre les droits des travailleurs à durée déterminée et ceux des travailleurs à durée indéterminée.
B. La caractérisation de la discrimination par la comparaison des situations
Une fois le champ d’application de la protection confirmé, la Cour se tourne vers l’examen de la comparabilité des situations, étape essentielle pour déceler une différence de traitement. Elle rappelle qu’il appartient au juge national d’apprécier si le travailleur à durée déterminée se trouve dans une situation comparable à celle d’un travailleur à durée indéterminée du même établissement. Cette comparaison doit se fonder sur « un ensemble de facteurs, tels que la nature du travail, les conditions de formation et les conditions de travail ».
Dans le cas d’espèce, la Cour fournit une indication forte à la juridiction de renvoi. Elle suggère que « le fait que ladite requérante a occupé auparavant le même poste, en étant employée par un contrat de travail à durée indéterminée, peut constituer un indice permettant de conclure que sa situation de travailleur à durée déterminée était comparable à celle d’une personne engagée à durée indéterminée ». Une fois cette comparabilité établie, la différence de traitement devient manifeste : la salariée n’a bénéficié que d’un préavis de deux semaines, alors qu’un travailleur permanent avec une ancienneté équivalente aurait eu droit à un délai plus long. La seule distinction reposant sur la nature temporaire du contrat, la Cour conclut à l’existence d’une différence de traitement.
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II. Le rejet des justifications fondées sur la nature du contrat
La Cour de justice exerce un contrôle strict sur les raisons invoquées pour justifier la différence de traitement, en écartant celles qui reposent sur la nature même du contrat à durée déterminée (A), ce qui confère à sa décision une portée considérable pour la protection des travailleurs précaires (B).
A. Le refus d’une justification par la nature temporaire de l’emploi
Face à la différence de traitement constatée, la Cour examine si celle-ci peut être justifiée par des « raisons objectives » au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre. Le gouvernement polonais avançait que la distinction se justifiait par la différence de nature et d’objet entre les deux types de contrats, le contrat à durée indéterminée offrant une plus grande stabilité. La Cour rejette cet argument de manière catégorique.
Elle réaffirme avec force sa jurisprudence constante selon laquelle « le recours à la seule nature temporaire du travail n’est pas susceptible de constituer une raison objective ». Justifier une différence de traitement par un critère général et abstrait lié à la durée même de l’emploi viderait les objectifs de la directive de leur substance. La Cour souligne qu’une telle approche « reviendrait à pérenniser le maintien d’une situation défavorable aux travailleurs à durée déterminée ». En refusant que la précarité inhérente au contrat à durée déterminée serve de prétexte à une réduction des droits du travailleur, elle réaffirme que la protection contre la discrimination doit s’appliquer à l’ensemble des conditions de travail, y compris au moment de la rupture.
B. La portée de la décision : vers une convergence des droits à la rupture
En censurant une réglementation nationale qui module le délai de préavis uniquement en fonction de la nature du contrat, la Cour de justice envoie un signal clair aux États membres. La solution retenue implique que l’ancienneté d’un travailleur, critère objectif et lié à l’expérience acquise auprès d’un employeur, ne peut être ignorée pour les travailleurs à durée déterminée si elle est prise en compte pour les travailleurs permanents se trouvant dans une situation comparable. La décision impose donc une convergence des droits liés à la rupture du contrat de travail.
La portée de cet arrêt est significative. Il empêche que le contrat à durée déterminée devienne un outil permettant de priver les salariés d’une protection fondamentale liée à la fin de leur relation de travail. La stabilité de l’emploi, qui est l’apanage du contrat à durée indéterminée, ne saurait justifier une instabilité accrue dans les conditions de rupture pour les autres travailleurs. Cette jurisprudence renforce ainsi l’idée que le contrat à durée déterminée doit être une modalité d’emploi équivalente en droits au contrat de droit commun, et non une forme d’emploi dérogatoire et moins protectrice sur des aspects aussi essentiels que le préavis.